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Suisse-UE: le scénario «casse-cou» se dessine

Les négociations entre la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga et Bruxelles s'annoncent ardue. Keystone

Berne et Bruxelles tentent toujours de trouver une solution à l’amiable au problème de la libre circulation des personnes. La clause de sauvegarde envisagée par le gouvernement suisse a cependant peu de chances d’être avalisée par l’Union européenne.

«Cela reste difficile»: la présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga, l’a elle-même confirmé le 8 décembre, à l’issue d’une visite surprise à Bruxelles, où elle a rencontré le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn (dont le pays préside actuellement l’Union européenne), et le chef négociateur de la Commission européenne, Christian Leffler. Les «consultations» que Berne et Bruxelles mènent afin de trouver une solution au casse-tête de la libre circulation des personnes sont sinon vouées à l’échec, du moins porteuses de peu d’espoir.

Les données du problème sont connues: la Suisse s’est perdue dans un invraisemblable imbroglio, après que le peuple eut adopté, le 9 février 2014, l’initiative «contre l’immigration de masse».

La Constitution helvétique donne désormais jusqu’au 9 février 2017 au gouvernement et au Parlement pour instaurer un nouveau système de contingentement de l’immigration en Suisse. Pour l’UE, c’est tout à fait incompatible avec les dispositions de l’accord bilatéral sur la libre circulation des personnes, conclu en 1999. Moralité: à défaut de trouver un compromis, de nombreux accords, reliés entre eux par une «clause guillotine», risquent de tomber.

Clause de sauvegarde

Le 4 décembre, le gouvernement suisse a précisé ses objectifs: il souhaite négocier avec l’Union une «clause de sauvegarde», dont les contours demeurent flous. Elle permettrait à Berne de limiter temporairement et de manière ciblée les autorisations de séjour accordées aux ressortissants de l’UE au cas où certains seuils d’immigration seraient dépassés.

«On s’est lancés dans un exercice d’équilibrisme précaire», commente l’avocat d’affaires Jean Russotto, observateur très averti des relations entre la Suisse et l’UE, à Bruxelles.

La clause de sauvegarde imaginée par la Suisse repose sur une interprétation de l’article 14 de l’accord sur la libre circulation des personnes. Il s’agirait de définir avec précision les «difficultés sérieuses d’ordre économique ou social» qui permettraient éventuellement à la Suisse d’appliquer des «mesures appropriées, (…) limitées dans leur champ d’application et leur durée, pour remédier à la situation. »

«Une fois que les critères seront définis, forcément avec finesse, reste à savoir qui décide de quoi», relève Jean Russotto. C’est là que le bât blesse. L’article 14 prévoit que toute décision doit être prise «de commun accord» au sein du comité mixte, composé de représentants suisses et européens, chargé de gérer l’accord sur la libre circulation des personnes.

Passage en force?

Le hic, c’est que l’Union est hostile au principe des contingents. Et que la Suisse, de son côté, est dorénavant obligée (nouvel article 121a de la Constitution) de contrôler l’immigration «de manière autonome». Bref, souligne l’avocat, «il ne faut pas être grand clerc pour deviner qu’il y a plus de 50% de chances que la Suisse appliquera son plan B»: l’adoption d’une clause de sauvegarde unilatérale, que le Ministère de la justice a d’ailleurs été chargé d’élaborer d’ici au début de mars 2016.

Ce scénario, casse-cou, paraît d’autant plus probable que les vingt-huit Etats membres de l’UE n’ont pas encore accordé à la Commission européenne l’autorisation formelle de négocier quoi que ce soit avec les autorités suisses. Les ambassadeurs des Vingt-Huit en ont débattu le 9 décembre, mais sans prendre la moindre décision. «Pour eux, l’établissement de quotas demeure inacceptable», nous rapporte-t-on.

Alors que le temps presse, pour Berne, la procédure risque d’être d’autant plus lente et compliquée dans l’Union que le club communautaire doit résoudre un autre casse-tête, beaucoup plus important à ses yeux: celui du Royaume-Uni, dont les autorités ont décidé d’organiser un référendum sur l’appartenance à l’UE en 2017 au plus tard.

Otage de Londres

Même si elle n’est pas membre de l’UE, «la Suisse est prise en otage par Londres», affirme-t-on à Bruxelles.

Le Royaume-Uni souhaite lui aussi limiter l’immigration sur son territoire, même celle de ressortissants d’autres pays de l’UE. Ses exigences sont toutefois moins fondamentales que celles de Berne: il n’est pas question, pour lui, de fixer des quotas de main-d’œuvre étrangère, mais plutôt de limiter par exemple l’accès des travailleurs non britanniques à l’aide sociale, pendant quatre ans. 

«Il n’y a aucun consensus» sur cette demande – pourtant moins lourde à avaler que celle formulée par Berne –  au sein des Etats membres de l’UE, a déclaré le 7 décembre leur président, Donald Tusk.

Le Polonais ne nourrit aucun espoir de résoudre les «divergences politiques substantielles» qui oppose le Royaume-Uni à ses partenaires sur cette question avant février 2016. «Le danger, note Jean Russotto, c’est que Londres pourrait évidemment exiger Me too si, d’ici-là, les Vingt-Huit font d’importantes concessions à Berne.» Autrement dit: le bras de fer n’est pas fini.

Etau institutionnel

Le 4 décembre, le Conseil fédéral a souligné qu’un accord à l’amiable avec l’UE sur la clause de sauvegarde permettrait à la Suisse de ratifier le protocole qui étendrait à la Croatie, le 28e Etat membre de l’Union, le champ d’application de l’accord sur la libre circulation des personnes.

«Il s’agit là de l’une des conditions à remplir pour que la Suisse puisse continuer à participer au programme de recherche européen Horizon 2020 » au-delà de 2016, a insisté le gouvernement.

Si l’on prend le problème dans l’autre sens, cela signifie donc qu’en l’absence de solution commune, la Suisse ne pourra toujours pas ratifier ce protocole et que ses chercheurs seront exclus de l’important programme de R&D de l’Union, dès 2017.

Berne fera donc l’impossible pour trouver un compromis avec l’Union, qui n’est  pas dupe. Les Européens utiliseront-ils ce levier pour arracher des concessions à la Suisse, en particulier dans le domaine institutionnel? Ils veulent, entre autres, établir un mécanisme efficace de règlement des différends avec Berne, qui accorderait un rôle prédominant à la Cour de justice de l’UE.

La détermination de la Suisse à prévoir une clause de sauvegarde, dans l’accord sur la libre circulation des personnes, ne les incitera évidemment pas à revoir leurs ambitions à la baisse.

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