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Tempête sur la place des Nations à Genève

La "Chaise cassée" de l'artiste suisse Daniel Berset, en train d'être réinstallée sur la place des Nations, en février dernier. Keystone

Une simple plaque commémorative menace de ternir l'inauguration jeudi à Genève de la place bordant le siège européen des Nations Unies par la présidente de la Confédération.

Ce petit monument honore le diplomate français René Cassin présenté comme «l’artisan» de la Déclaration universelle des droits de l’homme, en oubliant une personnalité comme Eleanor Roosevelt, l’épouse du président américain.

Cette omission a semé la consternation parmi certains défenseurs des droits de l’homme, furieux d’une telle légèreté à l’égard du rôle majeur de la femme du président américain Franklin Roosevelt.

Eleanor Roosevelt fut en effet la présidente de la première Commission de droits de l’homme de l’ONU – créée en 1946. Elle diriga également le comité de rédaction de la déclaration universelle des droits de l’homme. Un document fondateur que l’Assemblée générale de l’ONU a adopté en décembre 1948.

Le discours de Micheline Calmy-Rey

Le suisse Jean Ziegler est l’un de ceux que cette plaque irrite. Le rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation déclare à swissinfo que cette omission est «stupide, infondée historiquement et une atteinte à l’égalité des sexes.».

L’ancien parlementaire socialiste estime que les autorités de la ville de Genève doivent, soit retirer la plaque en l’honneur de René Cassin, soit en poser une autre pour Eleanor Roosevelt.

Jean Ziegler précise également avoir aborder la question avec Micheline Calmy-Rey, présidente de la Confédération suisse et ministre des affaires étrangères. Une ardente défenseuse des droits humains qui s’exprimera le 29 mars lors de l’inauguration de la place des Nations qui vient d’être entièrement rénovée.

Selon Jean-Philippe Jeannerat, porte-parole de la ministre, Micheline Calmy-Rey abordera le sujet lors de cette inauguration.

Un oubli pénible

C’est Anne Herdt qui a mobilisé les mécontents. Cette militante des droits de l’homme qualifie l’affaire d’ «oubli pénible». Une omission qu’elle a tenté de corriger en écrivant au Conseil municipal de la ville de Genève , à la présidente de la Confédération, à d’anciens diplomates américains et à la Haut commissaire de l’ONU pour des droits de l’homme, Louise Arbour.

«Cette plaque va effacer de la conscience du public le rôle de ceux qui ont contribué à la Déclaration universelle des droits de l’homme », affirme Anne Herdt, tout en précisant qu’elle ne veut pas dévaluer celui de René Cassin.

Le rôle d’autres personnalités

«Cette affaire est d’autant plus malvenue que beaucoup de voix remettent aujourd’hui en cause l’universalité de ces droits au nom de leur culture particulière, plaide Anne Herdt. Il est donc très dommageable que cette plaque attribue ce texte fondateur uniquement à un Occidental, qui plus est un homme. Cela renforce la remise en cause du caractère universel de la Déclaration. »

Un avis que partage George Gordon-Lennox. Le représentant de l’ONG Reporters sans frontières auprès de l’ONU reconnaît le rôle essentiel joué par René Cassin, tout en insistant sur les contributions d’autres personnalités.

«Les touristes visitant la place des Nations vont penser que le diplomate français est l’unique auteur de la Déclaration », insiste George Gordon-Lennox.

De son coté, Christian Ferrazino, responsable de l’aménagement à la ville de Genève, a expliqué, dans une lettre envoyée à Anne Herdt que c’est la Fondation René Cassin qui a approché les autorités genevoises l’année dernière pour demander la pose d’une plaque en l’honneur du diplomate français.

Une plaque pour Eleanor?

Dans ce courrier, le responsable genevois assure que cette plaque dédiée à René Cassin n’a pas pour ambition de commémorer la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Reconnaissant le manque de modèles féminins dans nos «sociétés patriarcales », Christian Ferrazino affirme, toujours dans cette lettre, que les autorités de la ville sont ouvertes à la pose d’une plaque en l’honneur d’Eleanor Roosevelt sur la place des Nations ou ailleurs à Genève.

Informé de la polémique par swissinfo, Maxime Joinville-Ennezat rétorque que ces critiques sont simplement erronées. Le président de la Fondation René Cassin assure que le diplomate français est bien l’auteur de l’avant-projet de la Déclaration et qu’il a joué un rôle moteur dans sa genèse et son adoption.

Et Maxime Joinville-Ennezat de conclure: «René Cassin n’était pas la seule personnalité derrière ce projet. Mais il était au premier rang. René Cassin s’est également démené pour que l’ensemble des délégations gouvernementales adoptent la Déclaration universelle des droits de l’homme. »

swissinfo, Adam Beaumont à Genève
(Traduction de l’anglais : Frédéric Burnand)

Selon l’ONU, c’est son propre secrétariat sous les conseils de John Humphrey qui a rédigé le modèle qui a servi de document de travail pour le Comité de rédaction de la déclaration dirigé par Eleanor Roosevelt.

Le Comité de rédaction était composé de huit personnalités, d’Australie, du Chili, de Chine, de France, du Liban, de l’Union des Républiques socialistes soviétiques, de Grande-Bretagne et des Etats-Unis.

Depuis 1948, la Déclaration a été traduite en plus de 300 langues. L’année prochaine marque le soixantième anniversaire de ce texte qualifié de « Magna Carta pour toute l’humanité».

René Cassin, diplomate français et juriste, a reçu le prix de Nobel de la paix en 1968 pour son rôle dans la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

A cette occasion, René Cassin a fait spécifiquement référence à Eleanor Roosevelt pour son rôle de leader dans la réalisation du document.

De 1924 à 1938, René Cassin a représenté la France au sein de la Société des Nations. Un rôle qu’il a également joué au sein de l’Organisation des Nations Unies de 1946 à 1968.

L’épouse de Franklin D. Roosevelt a été l’une des plus actives et influentes femmes de président de l’histoire de la Maison Blanche.

Après la mort de son mari en 1945, elle a été nommée par le président Truman à tête de la délégation des Etats-Unis à l’Assemblée générale de l’ONU, un poste qu’elle a occupé jusqu’en 1953.

Eleanor Roosevelt a été présidente de la Commission de droits de l’homme de l’ONU de 1946 à 1951.

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