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Comment assurer le financement du réseau routier suisse?

Malgré la densité du réseau suisse, certains tronçons d'autoroute sont réglièrement surchargés, comme ici à Mendrisio, au Sud du Tessin. Keystone

La Suisse dispose d'un des réseaux de transport les plus denses du monde. Mais l'entretien et le développement des infrastructures routières coûtent cher. Afin d'assurer à long terme leur planification et leur financement, le Conseil fédéral et le Parlement souhaitent inscrire dans la Constitution un fonds pour les routes nationales et le trafic d'agglomération (FORTA). La gauche et les Verts ne sont pas convaincus.

Les routes nationales sont actuellement financées par ce qu’on appelle communément la «caisse routière», qui est alimentée essentiellement par les impôts sur les huiles minérales et la vignette autoroutière. Mais les autorités mettent en garde contre un défaut de financement. Pourquoi?

Depuis 1960, le trafic individuel motorisé a plus que quintuplé en Suisse. Le nombre d’heures d’embouteillage augmente. Les coûts d’exploitation et d’entretien des infrastructures s’accroissent, en particulier parce que la société exige des mesures de protection toujours plus importantes, que ce soit pour l’environnement ou contre le bruit ou les risques.

Trois milliards pour le FORTA

Le FORTA disposera chaque année de plus de 3 milliards de francs. Ses recettes s’articulent de la manière suivante:

– surtaxe sur les huiles minérales: 1,9 milliard

– impôt sur les véhicules automobiles: 400 millions

– vignette autoroutière: 320 millions

– 10% de l’impôt sur les huiles minérales: 250 millions

– redevance sur les véhicules électriques dès 2020: 90 millions

– compensations des cantons pour l’intégration de routes cantonales dans le réseau des routes nationales: 60 millions

Simultanément, les recettes reculent. Les taxes sur les carburants n’ont plus été adaptées au renchérissement depuis des décennies et la surtaxe de 30 centimes par litre d’essence et de diesel n’a pas changé depuis 1974.

Déficit

Si l’on ne fait rien, le financement des routes nationales sera très prochainement déficitaire, explique le gouvernement. Le FORTA doit par conséquent recevoir des recettes supplémentaires qui lui soient aussi garanties pour l’avenir par une affectation contraignante.

L’argent alimentant ce fonds sera également utilisé pour éliminer les goulets d’étranglement aux endroits névralgiques et réaliser de grands projets tels que le contournement de Morges et l’autoroute de la vallée de la Glatt (ZH). Il n’ira toutefois pas seulement aux routes nationales: les projets d’agglomération en profiteront aussi.

Le gouvernement et une large majorité du Parlement soutiennent le nouveau fonds. Il permet d’éliminer les problèmes de circulation et de maintenir la capacité du réseau de transport, a relevé la ministre des transports Doris Leuthard devant la presseLien externe.

Au début, le FORTA n’a pas rencontré beaucoup d’opposition dans les milieux politiques. Après tout, il y a déjà un fond pour le Financement et l’aménagement de l’infrastructure ferroviaire (FAIF)Lien externe. Et, lors de la campagne de votation sur l’initiative dite «vache à lait» – qui voulait accorder des milliards de francs supplémentaires à la route – le FORTA a été présenté comme une alternative équilibrée que le peuple pourrait prochainement adopter.

Même la gauche et les écologistes n’ont pas formulé d’objections de principe contre le fonds routier. Mais depuis, le Parlement a tellement modifié le projet qu’il équivaut à un pillage de la Caisse fédérale, regrette la conseillère nationale socialiste Evi AllemannLien externe, présidente de l’Association transports et environnement (ATE), qui dirige la campagne pour le «non». Elle critique surtout le privilège que l’on accorde au trafic routier par rapport à d’autres tâches de l’Etat en inscrivant dans la Constitution des dépenses affectées sans limitation dans le temps. «En modifiant ainsi la Constitution, le financement dépasse les bornes. Il grève tellement la Caisse fédérale qu’il faudra économiser dans d’autres domaines, les transports publics en particulier».

Le projet prévoit effectivement de relever de 50 à 60% la part de la taxe de base sur les huiles minérales affectée de manière contraignante à la route. En outre, l’impôt d’importation sur les véhicules automobiles n’alimentera plus la Caisse fédérale générale, mais directement le FORTA. L’autre part de recettes supplémentaires proviendra du relèvement de la surtaxe sur les huiles minérales. Elle passera de 30 à 34 centimes par litre d’essence ou de diesel. Les autorités justifient cette hausse par la baisse de la consommation des véhicules. Selon Doris Leuthard, elle interviendra au plus tôt en 2019.

Demi-vache à lait

Les Verts critiquent aussi ce fonds et recommanderont probablement son rejet lors de leur assemblée des délégués à la mi-janvier. «Nous avons combattu l’initiative ‘vache à lait’ et elle a été largement rejetée par le peuple», relève la présidente du parti Regula RytzLien externe. Mais, dominé par le camp bourgeois, le Parlement n’a pas tiré les leçons de ce vote pourtant «très clair» et il a transformé le FORTA en une «demi-vache à lait». «Les finances publiques sont dans une situation précaire et il faut se battre pour chaque centime, mais il a adopté un projet si généreux qu’il conduira à un développement de la route», estime Regula Rytz.

Toutefois, la participation des socialistes et des Verts à la campagne pour le «non» est plutôt mitigée, que ce soit en termes d’engagement ou de financement. En outre, ils sont divisés: les représentants socialistes des cantons au Parlement sont, en majorité, favorables au projet.

Le FORTA a obtenu l’appui de la plus puissante association routière de Suisse, le Touring Club de Suisse (TCS). Les partis bourgeois le soutiennent aussi. «On enregistre 22’000 heures d’embouteillages par an en Suisse. Ce qui représente une perte de près de deux milliards de francs pour l’économie. Le FORTA est nécessaire pour adapter les infrastructures routières au trafic actuel», estime Walter WobmannLien externe. Le conseiller national de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) est particulièrement satisfait que la solution de la «demi-vache à lait» se soit imposée au Parlement. «Le FORTA débloque 700 millions de francs supplémentaires pour la route», indique-t-il, en relevant que cet argent sort de toute façon de la poche des automobilistes.

Cohésion nationale

Le Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit) recommande aussi de voter «oui». «Les transports publics et les transports individuels privés sont très bien développés en Suisse. Ils contribuent de manière décisive au succès économique du pays et permettent aux régions périphériques de ne pas perdre le contact avec les centres urbains», estime la conseillère nationale PDC Viola AmherdLien externe. «De bonnes voies de communication contribuent à la cohésion de notre pays».

L’urbanisation et le développement des transports dévorent chaque jour des surfaces vertes équivalentes à dix terrains de football. Les opposants estiment que si le FORTA libère davantage de moyens pour la route, il encouragera encore cette progression.  L’objectif du FORTA n’est pas de bétonner davantage, répond Viola Amherd, mais d’éliminer les goulets d’étranglement et d’assurer l’entretien des routes à long terme».

Interrogée sur la manière de compenser la perte de 650 millions de francs que représenterait pour la Caisse fédérale l’attribution directe de ces moyens à la route, la Valaisanne répond que «le trafic n’arrête pas d’augmenter. Il faut y faire face et prendre les mesures nécessaires, que ce soit dans l’aménagement du territoire ou les infrastructures». D’une manière ou d’une autre, il faudra bien les financer. Mais un fonds analogue à celui des transports publics permet une planification plus sûre, autant des infrastructures elles-mêmes que des finances fédérales. Mais la démocrate-chrétienne ne conteste pas que chaque nouveau fonds réduit la marge de manœuvre du Parlement en matière budgétaire.

Contenu externe

(Traduction de l’allemand: Olivier Hüther)

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