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Un Suisse à la présidence du Kosovo?

Avant d'être un politicien, Behgjet Pacolli est surtout un homme d'affaires très puissant. Keystone

Behgjet Pacolli, milliardaire suisse d’origine albanaise, pourrait accéder à la présidence du Kosovo, à la faveur de l’officialisation d’une coalition politique au sommet d’un Etat qui a fêté jeudi ses trois ans d’indépendance. Portait d’un émigré atypique, aux amitiés sulfureuses.

L’annonce officielle de la coalition conclue entre le parti démocrate (PdK) du Premier ministre Hashim Thaçi, le fondateur de l’Alliance pour un nouveau Kosovo (AKR), Behgjet Pacolli et plusieurs petites formations politiques d’obédience serbe pourrait bien tomber sous peu.

Si l’accord passé entre PdK et AKR, annoncé en primeur par les chaînes de télévision et la presse kosovares, est officialisé – de l’avis de plusieurs observateurs sur place,  rien ne devrait barrer la route à ce pacte – l’alliance en question permettrait de former une coalition forte de 65 sièges sur les 120 que compte le parlement à Pristina.

Scénario inquiétant

Le cas échéant, l’homme d’affaires albano-suisse Behgjet Pacolli accéderait à la présidence du pays, alors que Hashim Thaçi, l’ancien porte-parole de la guérilla de l’UCK, serait confirmé au poste de premier ministre.

Un scénario qui inquiète Ueli Leuenberger, fin connaisseur de ce pays, pour avoir notamment fondé l’université albanaise de Genève. «Je ne suis pas convaincu que ce gouvernement lutterait contre la corruption, l’un des principaux fléaux au Kosovo, actuellement », a déclaré le député Vert et président du parti écologiste, interrogé par swissinfo.ch.

«Mais je jugerai monsieur Pacolli sur ses actes», a encore tenu à souligné l’édile, qui se rend régulièrement dans ce pays et qui se mobilise depuis de nombreuses années pour la diaspora kosovare en Suisse, qui n’a «jamais bénéficié du soutien de Behgjet Pacolli», glisse encore le politicien au passage.

«Berlusconi des Balkans»

Behgjet Pacolli, qui passe pour un véritable bienfaiteur aux yeux de certains dans son pays d’origine, est le Kosovar le plus riche du monde. Mais il est aussi l’un des Suisses les plus fortunés de son pays d’adoption. Selon les sources, on lui prête un chiffre d’affaires annuel qui oscille entre 1,5 et 3 milliards de francs.

Lui-même affirme réaliser «un bénéfice de 1,4 million de francs par jour». Une somme colossale, fruit des ses activités les plus diverses au sein de l’empire Mabetex (près de 16’000 employés dans le monde), dont le siège est à Lugano, et qui vont de la construction au show-business, en passant par la finance, l’hôtellerie de luxe (un 5 étoiles au Tessin) et les médias (le journal populaire Lajm et une chaîne de télévision).

Behgjet Pacolli, malgré son train de vie flamboyant, reste aussi discret que mystérieux dans son Tessin d’adoption. Il vit au Sud des Alpes depuis près de 35 ans et aime rappeler ses débuts comme employé à la plonge dans un restaurant de Hambourg, où il s’était installé après quitté son village natal de Marvci, à l’ouest du Kosovo, alors qu’il n’avait que 17 ans.

Amitiés controversées

Dans les années nonante, cet émigré parti de rien, qui a construit sa fortune en Russie et dans les anciennes provinces soviétiques, se retrouve soudainement enlisé dans le scandale dit du Russiagate, qui ébranle le clan de Boris Eltsine.

Behgjet Pacolli, qui avait décroché un juteux contrat pour la transformation intérieure du Kremlin, est soupçonné par la procureure Carla Del Ponte, d’avoir distribué de juteux pots-de-vin. Il aurait notamment ouvert des crédits illimités, via des cartes de crédits, aux deux filles de l’ex-dirigeant russe dans une banque de Lugano. Faute de preuve, le Parquet de la Confédération boucle son instruction.

Plus récemment, le nom du sulfureux Tessinois a refait la une, dans le cadre du rachat de la «Villa Romantica», à Melide au Tessin, par la famille Nazarbaïev. La transaction immobilière, qui passe par un enchevêtrement de sociétés off shore, n’a cependant pas été remise en question par la justice helvétique pour l’heure.

Mabetex… planétaire

Behgjet Pacolli ne cache pas son admiration pour l’homme fort à la tête de la république du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev, auquel il est lié par une «profonde amitié», dit-il. Mabetex a aussi obtenu de vertigineux contrats publics à Astana, la nouvelle capitale du Kazakhstan, surgie du sol par la volonté de son dirigeant.

Les murs de son bureau de Lugano-Paradiso sont ornés de nombreuses photos grand format, illustrant les deux hommes, avec pour coulisses les fastueuses constructions payées à grand renfort de pétrodollars.

Et Mabetex est omniprésente sur la planète. De la construction de centres commerciaux en Chine à des hôpitaux en Russie, en passant par des hôtels à Cuba ou encore des centres thermaux en Croatie, l’empire tessinois construit sans relâche.

Réputation douteuse

Un business global et autant de contrats, décrochés grâce notamment à son entregent et à sa parfaite maîtrise de sept langues étrangères, comme aime à le rappeler celui qui dit avoir étudié le marketing. Mais un succès qui lui vaut aussi une réputation douteuse. Même au Kosovo.

«Espion des Serbes», «Agent du Kremlin» ou encore «Cinquième pilier de la mafia russe» ne sont que quelques-uns des sobriquets choisis par ses détracteurs, qui ne lui pardonnent pas ses amitiés avec le bloc ennemi historique de sa terre natale.

Behgjet Pacolli n’en a que faire. Il sait se protéger derrière le mur invisible mais infranchissable gardé par son clan familial. Autant de frères, cousins et neveux, placés à des postes clés dans l’empire Mabetex, et qui lui vouent une loyauté et une reconnaissance sans bornes.

Avec Micheline Calmy-Rey

Mais surtout, le Luganais d’adoption, qui dit avoir pris sa retraite à l’aube de sa soixantaine, sait aussi faire jouer la corde sensible du pouvoir et apparaître au bon moment et au bon endroit.

Comme lors de l’inauguration, le 28 mars 2008, de l’ambassade de Suisse au Kosovo, voulue par le ministère suisse des Affaires étrangères (DFAE). Les images retransmises ce jour-là par les chaînes de télévision montraient une cheffe du DFAE tout sourire, coupe de champagne à la main, côte à côte avec un Behgjet Pacolli qui raffole de se faire photographier avec les puissants de ce monde.

Une soif de reconnaissance, comme en témoignent les nombreuses photographies qui ornent les murs de son bureau de Lugano-Paradiso, décorés à l’orientale, théâtre de la réussite de ce personnage resté aussi insondable qu’atypique.

Autre mystère: en cas d’accès à la présidence, Behgjet Pacolli va-t-il quitter Lugano avec femme et enfant ou, au contraire, faire la navette entre le Tessin et Pristina, à bord de son jet privé?

Ancienne province serbe, le Kosovo a proclamé unilatéralement son indépendance le 17 février 2008.

Les élections du 12 décembre dernier, les premières depuis l’indépendance, ont fait office de test politique pour le petit pays. Hashim Taçi, le leader du parti démocratique du Kosovo (PDK), a remporté le scrutin, mais sans gagner la majorité au Parlement.

La population du Kosovo compte près de trois millions de personnes.

Quelque 25’000 personnes environ s’exilent chaque année à l’étranger en raison du fort taux de chômage qui gangrène le pays. Ceux qui ont la chance de travailler (un adulte sur trois) ne gagnent généralement guère plus de 200 euros par mois en moyenne.

Trois ans après son indépendance, le Kosovo est  toujours l’une des économies les plus faibles d’Europe et reste très dépendant de l’étranger.

Durant la première campagne électorale, Behgjet Pacolli s’est engagé à créer quelque 100’000 emplois en cas d’élection. Il a en outre financé la construction d’écoles, d’hôpitaux et fait des promesses de dons à de nombreux compatriotes démunis.

Environ 170’000 Kosovares vivent en Suisse. La Confédération reste le premier choix des candidats à l’exil.

Selon Ueli Leuenberger, proche de la diaspora kosovare en Suisse, cette dernière n’aurait jamais bénéficié du soutien de Behgjet Pacolli.

La principale cause d’émigration vers la Suisse est et reste le regroupement familial.

La Suisse est l’un des principaux bailleurs de fonds du Kosovo.

Depuis 1990, elle a injecté plus de 600 millions de francs pour la stabilité politique, économique et le développement de ce petit Etat des Balkans.

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