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«Internet n’est pas entré dans la tête des politiciens»

En Suisse, les campagnes politiques sont encore faites essentiellement avec des moyens traditionnels. Keystone

Environ 3000 candidats, parmi lesquels quelques Suisses de l’étranger, participeront aux élections fédérales d’octobre. Mais peu d’entre eux feront usage d’une stratégie de communication moderne et professionnelle. Une erreur, selon le politologue Mark Balsiger. Interview.

Spécialiste de la communication politique, Mark Balsiger vient de publier un livre – Wahlkampf – aber richtig (Campagne électorale – mais efficace) – dans lequel il présente cinq campagnes couronnées de succès. Il propose également une série de conseils aux candidats, parmi lesquels l’utilisation des nouveaux médias.

swissinfo.ch: Avant toute chose, combien faut-il investir pour une campagne électorale efficace?

Mark Balsiger: Il faut compter de 20’000 à 200’000 francs. Il s’agit d’une estimation très large, car le budget dépend de différents facteurs. Notamment du canton dans lequel le candidat se présente: dans les grands cantons, comme Zurich, Berne ou Vaud, il faut davantage de ressources financières, vu que la concurrence y est plus forte et que l’électorat à convaincre y est beaucoup plus large.

Par ailleurs, il faut faire une distinction entre les candidats. Ceux qui sont déjà élus peuvent se contenter de quelques milliers de francs, du moment qu’ils profitent d’un bonus important: ils sont généralement déjà présents depuis des années dans les médias et disposent d’un bon réseau de contacts. Les nouveaux candidats doivent en revanche se construire une image, un profil. Et pour cela aussi, il leur faut de l’argent.

swissinfo.ch: Quelles sont les autres principales clefs du succès?

M. B. : Il faut avant tout beaucoup de temps, souvent au moins une année. Celui qui pense pouvoir limiter sa campagne aux 6 à 8 dernières semaines ne peut pas y arriver. Les autres points importants sont le niveau de popularité dont le candidat dispose déjà, son réseau de contacts et sa capacité médiatique.

Il faut mettre au point une stratégie de communication efficace. Avec quel message et avec quels moyens puis-je atteindre le mieux mon électorat potentiel? Il ne sert à rien de disperser ses ressources financières sur trop de vecteurs publicitaires.

swissinfo.ch: Concernant la stratégie, il n’y a aujourd’hui encore que peu de candidats qui ont recours à des spécialistes de la communication. Pourquoi?

M. B. : En Suisse, l’investissement en argent et en spécialistes externes pour une campagne reste assez modeste par rapport à l’Allemagne, à la France ou aux Etats-Unis. La plupart des candidats se contentent donc de l’aide de quelques connaissances.

Jusqu’à présent, avoir recours à des volontaires est assez peu répandu, du moment que ce travail est peu valorisé dans notre pays. Aux Etats-Unis, celui qui soutient un candidat dans la course à la Chambre peut le faire valoir dans son curriculum vitae. En Suisse, en revanche, celui qui déclare avoir travaillé six mois gratuitement pour un député ne recueille guère de lauriers.

swissinfo.ch: L’utilisation de moyens de communication modernes semble aussi plutôt en retard en Suisse.

M. B.: Je dirais que chez nous, la communication politique se trouve encore dans une phase de transition. Les campagnes électorales sont surtout conduites avec des moyens traditionnels, comme il y a 20 ou 30 ans. On privilégie des instruments plus classiques comme les débats, les annonces dans la presse ou les affiches. Mais de cette manière, les candidats risquent de ne toucher que peu de personnes, notamment parce que le lien entre les électeurs et les partis s’est beaucoup étiolé.

La communication politique en est à ses premiers pas sur Internet, où l’on trouve depuis des années déjà une grande masse de personnes. Chaque jour, des millions de Suisses utilisent les nouveaux médias pour chercher des informations de tout type, dont l’actualité politique. Je crois qu’Internet n’est pas encore entré dans la tête des politiciens suisses. Beaucoup en reconnaissent l’importance, mais si nous regardons leurs pages, nous constatons qu’elles sont peu intéressantes et, souvent, ni interactives ni mises à jour.

swissinfo.ch: De quelle manière les candidats devraient-ils se servir d’Internet?

M. B.: Ils devraient avant tout se limiter à des canaux très populaires – en Suisse, je dirais Facebook et Twitter – afin de ne pas disperser leur énergie. Ils devraient par ailleurs s’y prendre longtemps à l’avance pour se créer un vaste réseau de contacts: il ne sert à pas grand-chose d’enregistrer son profil quelques semaines seulement avant les élections.

Beaucoup de politiciens font en outre l’erreur de vouloir utiliser ces canaux comme des instruments de publicité. Les blogs et les «médias sociaux» ne peuvent avoir du succès que s’ils sont utilisés sur un mode interactif pour construire un dialogue avec les utilisateurs. Mais ceci aussi demande beaucoup de temps et de travail.

swissinfo.ch: Concernant la Cinquième Suisse, comment évaluez-vous la possibilité qu’un Suisse de l’étranger soit pour la première fois élu?

M. B.: Les chances d’être élu sont extrêmement réduites, du moment que les Suisses de l’étranger ne peuvent pas être continuellement présents dans les médias comme les autres candidats. Ils peuvent uniquement compter sur le fait d’être des candidats exotiques, mais, de cette manière, ils risquent de n’attirer l’attention que pour une période limitée.

Pour avoir du succès, une candidature devrait être soutenue de manière massive par un grand parti. Mais jusqu’à présent, ceux-ci ont intégré des concitoyens de l’étranger sur leur liste surtout pour attirer les voix de la Cinquième Suisse.

Selon moi, il faudrait donc créer une circonscription spéciale pour les Suisses de l’étranger, comme cela se fait dans d’autres pays. Je crois que la présence de quelques expatriés au Parlement pourrait être bénéfique pour la politique nationale. De plus, cela permettrait de renforcer le lien émotionnel entre la Suisse et ses concitoyens à l’étranger.

Diplômé en sciences politiques et en histoire de l’Université de Berne et en journalisme de l’Université de Cardiff, Mark Balsiger a d’abord travaillé comme journaliste auprès de différents médias, notamment la Radio suisse alémanique DRS.

Après diverses activités dans le domaine des relations publiques et de la formation à la communication, il dirige depuis 2002 l’agence Border Crossing, spécialisée dans le conseil en communication.

Il est notamment l’auteur de deux livres consacrés aux campagnes électorales. Le dernier – Wahlkampf – aber richtig (Campagne électorale – mais efficace) a été publié en janvier dernier en version allemande.

Le 23 octobre, le peuple suisse est appelé à renouveler les deux Chambres du Parlement.

Le Conseil national, qui compte 200 députés, est la Chambre qui représente le peuple suisse. Chaque canton y envoie un nombre d’élus proportionnellement à sa population.

Le Conseil des Etats, qui compte 46 sénateurs, est la Chambre des cantons. Chaque canton à droit à deux sièges et chaque demi-canton à un siège, indépendamment du nombre d’habitants.

Les Suisses de l’étranger peuvent aussi participer aux élections fédérales, soit comme candidats, soit comme électeurs. Plus de 135’000 expatriés sont inscrits sur les registres électoraux.

A la différence de certains autres pays, la Suisse n’a pas institué de circonscription électorale pour ses citoyens qui résident à l’étranger. Jusqu’à présent, aucunSuisse de l’étranger n’a jamais été élu au Parlement.

(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

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