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«La pression sur la Suisse va augmenter»

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L'un est un ardent défenseur des accords bilatéraux; l'autre est franchement eurosceptique. L'ambassadeur Alexis Lautenberg et le financier Tito Tettamanti ont croisé leur regard sur les rapports que la Suisse entretient avec l'Union européenne (UE).

C’est dans le plus europhobe des cantons suisses, le Tessin, et quelques jours seulement après l’annonce de l’aboutissement formel du référendum contre la reconduction des accords bilatéraux et l’extension de la libre circulation à la Bulgarie et à la Roumanie que s’est déroulé le débat. La soirée, qui était organisée par le parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit) tessinois a fait salle comble à l’Université de la Suisse italienne.

«Le mois dernier, les fonctionnaires européens ont franchi un pas très important. Ils ont abrogé un décret sur la taille des courgettes!» Passé un premier instant de stupeur, le public accouru vendredi soir à Lugano comprend qu’il s’agit d’une provocation comme Tito Tettamanti en a le secret. En particulier lorsqu’il s’agit de fustiger l’UE.

Trop de lobbyistes

«Dommage que dans la foulée ils n’en aient pas fait autant pour les patates et les tomates!», poursuit, sur un ton faussement sérieux, le milliardaire tessinois, avant d’entrer dans le vif de son discours, et de s’en prendre aux mécanismes du pouvoir européen.

«Près de 35’000 fonctionnaires sont employés auprès de l’UE. Or, 15’000 à 20’000 personnes actives à Bruxelles se trouvent aussi être des lobbyistes. Ce chiffre et cette proportion donnent le vertige», enchaîne Tito Tettamanti.

«Cette situation est révélatrice du fonctionnement du pouvoir au sein de l’UE. A l’échelle européenne, il n’existe pas de vrai débat démocratique; à Bruxelles, on prend les décisions au sommet et ensuite seulement, on va consulter plus bas pour voir ce qu’on en pense», insiste encore le célèbre financier avant de dénoncer: «C’est ce qu’on appelle une technocratie et non une démocratie.»

La bonne méthode

Un avis que ne partage pas un autre Tessinois d’origine, l’ambassadeur de Suisse en Grande-Bretagne. Alexis Lautenberg a été chef de la Mission suisse auprès de l’Union européenne et négociateur de la première heure des Accords bilatéraux I.

«Tels des pompiers, nous avions été dépêchés à Bruxelles, pratiquement au lendemain du refus du peuple suisse d’adhérer à l’Espace économique européen (EEE), le 6 décembre 1992, se souvient le diplomate. La négociation d’accords bilatéraux en vue de l’intégration de la Suisse dans l’UE étaient alors un expédient. Aujourd’hui, c’est devenu une méthode efficace», affirme Alexis Lautenberg.

L’ancien négociateur rappelle ensuite les trois phases qui ont successivement jalonné la construction des accords. «Il y a d’abord eu le choix de la matière et la définition des compétences des interlocuteurs; la seconde étape a été marquée par le débat sur la fiscalité de l’épargne, la fraude et l’espace Schengen».

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Accords bilatéraux

Ce contenu a été publié sur Les accords bilatéraux I et II règlent les relations entre la Suisse et l’Union européenne (UE) dans différents secteurs. L’UE est le partenaire le plus important de la Suisse que ce soit au niveau économique, politique ou culturel. En 1992, les Suisses avaient refusé en votation d’adhérer à l’Espace économique européen (EEE). La voie des…

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Nouveaux défis

Se tournant vers le présent et l’avenir, Alexis Lautenberg souligne que la troisième phase regarde «les enjeux européens importants pour la Suisse qui se jouent actuellement sur les marchés de l’énergie».

«Même si dans le domaine de l’électricité, notre pays a toujours été une plateforme importante, nous devons rester vigilants, plaide-t-il. Il suffit de se rappeler du black out du 28 septembre 2003 qui avait frappé l’Italie et de ses conséquences.»

Quant aux effets de la crise des marchés financiers qui frappe la planète, Alex Lautenberg estime que ce tournant «va changer beaucoup de choses. A commencer par l’euro qui donnait des signes d’affaiblissement ces derniers jours.»

«Plus de pression sur la Suisse»

«Par ailleurs, nous avons vu ces jours un gouvernement européen prendre des décisions rapides et très claires, bien loin des cacophonies du passé. Et l’on doit s’attendre à ce que cette manière de conduire les affaires change encore beaucoup de choses à l’avenir», prévient le diplomate.

«La décision du gouvernement suisse de jeudi pourrait voir la pression fiscale de Bruxelles sur la Suisse augmenter et renforcer l’approche solidaire des Etats membres autour de ce dossier», redoute encore Alexis Lautenberg.

Thèmes économiques mis à part, l’ambassadeur conclut son discours en rappelant que «l’Union a subi des modifications très importantes. De 15 Etats membres elle est passée à 27. Les questions qui se posent aujourd’hui ne touchent plus le marché unique mais l’environnement, la sécurité (interne) et l’accroissement fulgurant de la concurrence globale».

swissinfo, Nicole della Pietra à Lugano

Le Tessin est le plus eurosceptique des cantons suisses. On l’appelle régulièrement «Sonderfall (cas particulier) tessinois» pour les positions de ses citoyens face à l’intégration de la Suisse dans l’UE.

Le référendum sur la reconduction des accords bilatéraux et l’extension de la libre circulation à la Bulgarie et à la Roumanie avait été initialement lancé par la Ligue des Tessinois (“Lega” en italien, parti de la droite populiste).

Le référendum a formellement abouti le 5 octobre dernier. Les citoyens suisses devront se prononcer le 8 février 2009.

Alexis P. Lautenberg est né en 1945 à Zurich. Il est originaire de Bâle et d’Ascona au Tessin. Il est marié et père de trois enfants.

Il entre en 1974 au Département fédéral des Affaires étrangères. Sa carrière diplomatique l’a notamment conduit à Varsovie, Bonn, Rome et Londres, où il est ambassadeur de Suisse en Grande-Bretagne depuis 2004.

Le diplomate a aussi occupé de nombreuses fonctions en Suisse et à l’étranger dans le domaine de la finance et de la lutte contre le blanchiment d’argent.

Alexis Lautenberg a conduit les négociations de l’Uruguay round de 1990 à 1991. Et de 1994 à 1999, il a occupé la fonction de chef de la Mission suisse à Bruxelles et à Bruges.

De 1993 à 1999, il a été chef de la délégation suisse auprès de l’UE.

Tito Tettamanti est né en 1930 au Tessin. Il vit à Lugano, Londres et Monaco.

Il obtient un doctorat en droit à l’Université de Berne en 1957. Il est élu au gouvernement tessinois en 1959 (PDC) et se retire en 1961 suite à un scandale.

Tito Tettamanti a construit sa fortune dans l’immobilier et dans la restructuration d’entreprises dont United Airlines et Gillette.

Il entre dans le capital-actions de Saurer à la fin des années 80, puis dans celui de Sulzer. En 2005, il investit une partie de sa fortune dans les entreprises Ascom et SIG Holding. Il est aussi le principal actionnaire des éditions Jean Frey AG.

Auteur de plusieurs ouvrages sur le capitalisme et le libéralisme, il s’est aussi rendu célèbre pour ses positions anti européennes.

Sa fortune est estimée à plus de 400 millions d’euros.

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