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«Un profond désenchantement s’est installé au Kosovo»

Affiche électorale de l'actuel chef du gouvernement kosovar Hashim Thaci à Pristina. Keystone

Les premières élections parlementaires du Kosovo ont lieu dimanche. Selon l’ambassadeur suisse à Pristina, Lukas Beglinger, le pays reste très dépendant de l’aide étrangère. Interview.

Le premier scrutin de ce type depuis l’indépendance constituera un test de maturité politique pour leur pays avant l’ouverture attendue d’un dialogue crucial avec la Serbie.

Quelque 1,6 million d’électeurs sont appelés à élire 120 députés au Parlement kosovar parmi 29 partis politiques engagés dans la course électorale, dont sept listes albanaises et huit listes serbes.

Ces derniers jours de la campagne ont été endeuillés mercredi par l’assassinat par des inconnus d’un militant kosovar appartenant à la minorité des Slaves islamisés du pays, distincts des Albanais. Il s’agit du premier incident sérieux de cette campagne. Pristina s’est déclaré toutefois persuadé qu’il n’affecterait pas le déroulement du scrutin.

Dans une interview réalisée par écrit, Lukas Beglinger, ambassadeur suisse à Pristina, constate que le pays reste très dépendant de l’aide étrangère.

swissinfo.ch: quelle est l’ambiance au pays avant les élections parlementaires?

Lukas Beglinger: L’ambiance de renouveau qui avait envahi le pays lors de l’indépendance en 2008 a fait place à un profond désenchantement. Les espoirs nés de la reconnaissance d’il y a deux ans, partiellement irréalistes il est vrai, ne sont aussi que partiellement réalisés. La situation économique et sociale reste précaire.

Une majorité de la population est consciente de l’importance des prochaines élections. Ce premier scrutin national du Kosovo indépendant posera des jalons importants pour l’avenir de ce jeune pays.

swissinfo.ch: La Suisse a été l’un des premiers pays à reconnaître le Kosovo après la déclaration d’indépendance. La stabilité de la République est importante pour Berne. Près de 170’000 Kosovars vivent en Suisse. L’indépendance a-t-elle changé quelque chose dans les mouvements migratoires?

L.B.: Comme nous nous y attendions, non, l’indépendance du Kosovo n’a pas changé les courants migratoires de façon significative, ni dans un sens ni dans l’autre.

En revanche, l’aide massive versée par la Suisse pour la reconstruction après la guerre a permis le retour de dizaines de milliers de réfugiés kosovars, même si la majorité de la diaspora préfère aujourd’hui rester dans notre pays. Le nombre de retours annuels, quelques centaines de personnes, est stable depuis plusieurs années.

Pour que le nombre de retours augmentent, il faudrait une amélioration sensible des conditions-cadres économiques et sociales au Kosovo. Cela ne s’est malheureusement pas produit jusqu’ici.

La principale cause de l’émigration vers la Suisse est le regroupement familial. Le manque de perspectives pousse les jeunes vers l’exil. La Suisse, avec son importante diaspora kosovare, est un pays de premier choix pour les candidats au départ. Mais nous n’avons constaté aucune augmentation notable des arrivées en Suisse.

swissinfo.ch: Le Kosovo est un des pays les plus pauvres d’Europe. Le chômage y est très élevé. Le manque de sécurité juridique et le problème de la corruption dissuadent les entreprises étrangères de venir s’installer. Que fait la Suisse pour changer cette situation?

L.B.: Les institutions kosovares et la population sont les premières compétentes pour mettre en place un Etat de droit qui fonctionne, pour combattre la corruption et pour encourager le développement de l’économie et de la société.

Dans son aide à la reconstruction, la Suisse, en tant qu’important partenaire du Kosovo, a consciemment choisi ses priorités sur les domaines problématiques (réforme de l’application des peines, cadastre et notaires, formation des autorités chargées des questions de migration, de la police et des communes, formation professionnelle, modernisation de l’agriculture, programme d’occupation, approvisionnement en eau et en électricité).

De plus, la Suisse participe à la Mission justice et police de l’UE au Kosovo (EULEX) et elle est sur le point de conclure un contrat de protection des investissements avec la République.

swissinfo.ch: La Suisse est l’un des plus importants pays donateurs au Kosovo. Depuis la fin 1990, elle a investi plus de 600 millions de francs pour la stabilité politique et économique, de même que pour le développement du Kosovo. Quels résultats concrets cette aide a-t-elle apporté?

L.B.: Au Kosovo, la Suisse passe pour un modèle et, dans bien des domaines, elle est l’image même de ce que la société kosovare voudrait atteindre.

Dans le domaine des infrastructures, notre soutien a montré des résultats concrets, par exemple sous la forme de maisons reconstruites, de conduites pour l’accès à l’eau potable pour quelque 300’000 personnes et pour un approvisionnement sûr en électricité dans la ville de province Gjilan.

Mais les retombées sont aussi importantes dans des domaines plus invisibles. Ainsi, près de 4000 élèves d’écoles de formation professionnelle peuvent suivre, chaque année, une formation orientée sur la pratique. Dans le domaine communal, les autorités sont devenues clairement plus compétentes.

Nous travaillons aussi à promouvoir une vie commune pacifique entre les différents groupes ethniques en montrant la voie d’une législation adéquate, en promouvant la décentralisation politique et le travail par projets. Nous soutenons aussi le recensement prévu en 2011 et finançons une plateforme internet destinée à mobiliser la diaspora en faveur du développement du Kosovo.

swissinfo.ch: Dans quel domaine est-il, selon vous, le plus urgent d’agir?

L.B.: Le Kosovo devra répondre à d’importants défis politiques tant à l’intérieur que vis-à-vis de la communauté internationale. Il faut parvenir à finaliser un Etat de droit fonctionnant pour tous les citoyens et toutes les communautés du pays et mettre en place une économie compétitive qui propose suffisamment d’emplois pour une population en constante augmentation.

D’autre part, le Kosovo doit aussi réussir à surmonter son isolement politique. Une normalisation des relations avec la Serbie en est une condition sine qua non.

swissinfo.ch: Le manque de consensus sur le statut du Kosovo empêche aussi une coordination claire des organisations internationales. Est-ce que les projets de la Suisse sont décidés en concertation avec les autres pays et les autres organisations?

L.B.: La Suisse coordonne étroitement son aide avec les autres partenaires internationaux et avec le gouvernement kosovar. Elle participe aussi à de nombreux projets communs.

Le Kosovo reste hautement dépendant de l’aide internationale. Notre soutien suit le principe «aider à s’aider soi-même». C’est pourquoi nous sommes particulièrement intéressés à fournir des capacités et du savoir-faire aux Kosovars. Un exemple: dans le domaine de l’approvisionnement en eau, nous exigeons et encourageons une gestion et un entretien durables et professionnels.

swissinfo.ch: Que peut-on attendre du dialogue annoncé par la Commission européenne pour suivre les élections?

L.B.: Le dialogue entre le Kosovo et la Serbie est nécessaire. Il sera l’occasion de résoudre les nombreux problèmes qui rendent la vie difficile aux citoyens et de lancer une nouvelle phase de coopération constructive.

Si le Kosovo et la Serbie veulent concrétiser leurs ambitions d’adhérer à l’UE, elles ne peuvent pas se passer de ce dialogue.

Délais. Seule une minorité des Kosovars vivant en Suisse pourront participer aux élections. Raison à cela: le délai prévu pour les Kosovars de l’étranger est beaucoup trop serré. Ils n’ont eu que deux semaines pour s’inscrire à l’ambassade de leur pays à Berne. Les élections anticipées ont été annoncées le 2 novembre. Le délai d’inscription courait jusqu’au 16 novembre.

Volonté. «J’ai l’impression qu’il n’y a aucune volonté politique au Kosovo de laisser participer la diaspora aux élections», affirme ainsi Bashkim Iseni, directeur du site Internet albinfo.ch, qui fournit des informations sur l’actualité aux Albanais du Kosovo et d’Albanie.

Au moins trois nouveaux candidats kosovars de Suisse se présentent aux élections.

Behgjet Pacolli, naturalisé suisse, domicilié au Tessin. Le riche et médiatisé entrepreneur, leader de l’Alliance pour un nouveau Kosovo, a même des ambitions présidentielles.

Zize Pepshi, habitante du canton de Berne, se présente pour la Ligue Démocratique de Dardanie (LDD). Elle apparaît au 24e rang sur la liste du parti qui compte 110 candidats.

Faton Topalli, résidant dans le canton de Schaffhouse. Ce double-national se présente lui pour le Parti Autodetermination (“Vetëvendosje”). Il figure au 40e rang de cette jeune formation politique qui compte aussi 110 candidats.

Selon plusieurs sources des milieux albanophones en Suisse, au moins quatre candidats kosovars résidant en Suisse s’étaient annoncés pour le scrutin de dimanche. Deux se sont retirés depuis, selon ces sources. Les six principaux partis politiques au Kosovo ont tous une antenne en Suisse.

Source ATS

L’ancienne province serbe du Kosovo s’est déclarée indépendante le 17 février 2008.

Le gouvernement suisse a reconnu le Kosovo le 27 février 2008. Il a été l’un des premiers à le faire.

Près de 170’000 Kosovars vivent en Suisse, qui est aussi l’un des premiers pays donateurs de la République pour permettre sa reconstruction après la guerre.

(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)

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