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A l’ambassade, le souvenir de Besenval

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C'est au 142 rue de Grenelle que se dresse l'ambassade de Suisse, qui fut préalablement l'hôtel particulier d'un célèbre Suisse du 18e siècle, Pierre-Victor de Besenval.

Visite guidée, entre le souvenir de ce militaire libertin et une rencontre avec le maître actuel des lieux, l’ambassadeur François Nordmann.

A deux pas des Invalides, la rue de Grenelle. Une rue tranquille, vouée au labeur institutionnel: Mairie du 7e Arrondissement, Ministère de l’éducation, Ministère de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, Ambassade de la République de Corée… et Ambassade de Suisse.

La représentation suisse en France a une histoire particulière: c’est à Paris que fut établie la toute première légation helvétique permanente, suite à la création de la République helvétique par Bonaparte en 1798.

Et c’est en 1938 qu’elle quittera le siège de l’avenue Hoche pour s’installer rue de Grenelle, dans un hôtel particulier construit en 1702 par l’abbé Chanac de Pompadour et surtout, acheté en 1767 par le baron Pierre-Victor de Besenval, originaire de Soleure.

Militaire et libertin

Pierre-Victor de Besenval, qui, après avoir gravi toute la hiérarchie des Gardes Suisses sous Louis XV, deviendra un haut responsable de l’armée de Louis XVI. Et un très proche confident de Marie-Antoinette.

«Ses Mémoires indiquent l’ironie qu’il manifeste à l’égard des puissants, quand il dit qu’on ne peut parler de rien avec eux ! Parole extraordinaire que je rappelle à chaque fois que je fais visiter l’ambassade, pour bien marquer que des rois aux monarques contemporains, il n’y a pas grande différence», commente l’historien Pascal Payen-Appenzeller.

Par ailleurs, Besenval est un tombeur. «Nous sommes au siècle des lumières. Il a vécu en ménage à trois avec Monsieur de Ségur dont la femme était sa maîtresse et dont il a eu son fils Alexandre. Il était l’ami des comédiennes… c’était Don Juan ! C’est un grand collectionneur, un homme de culture. Et l’amour fait partie de la culture», se réjouit l’historien.

La trajectoire de ce militaire libertin sera marquée par la date du 14 juillet 1789. Alors commandant militaire de l’Ile-de-France et de la garnison de Paris, il n’interviendra pas à la Bastille.

Perçu comme un traître par les royalistes, il est néanmoins considéré comme un suppôt de Louis XVI par les révolutionnaires et sera d’ailleurs arrêté fin juillet 1789, alors qu’il s’enfuit en Suisse. Jugé en novembre pour haute trahison contre la Nation, il est acquitté en 1790.

Comment l’ambassadeur de Suisse en poste aujourd’hui juge-t-il cet épisode délicat? «Si Besenval est resté l’arme au pied au Champ de Mars, c’est pour deux raisons: d’abord, il n’ a pas reçu l’ordre d’intervenir. Ensuite, il aurait eu de grandes difficultés à faire marcher ses troupes françaises, qui sympathisaient avec le peuple de Paris», constate François Nordmann.

Qui reste pragmatique: «Par ailleurs, il serait très inconfortable pour moi, aujourd’hui, d’être ambassadeur d’un pays qui aurait contribué à reprendre la Bastille !»

Un lieu privilégié

Une ambassade qui peut se référer à un personnage historique national, c’est une chance. «C’est le cas avec cet hôtel, qui en plus, a sa valeur propre. C’est la plus belle ambassade de Suisse à l’étranger», constate François Nordmann.

Le lieu est en effet magnifique, avec notamment ses trois pièces d’apparat. Le «Salon des perroquets» et sa cheminée 18e siècle. Le «Salon de la tapisserie», où trône le fameux renouvellement de l’alliance entre la France et les Suisses, en 1663 à Notre-Dame de Paris, en présence de Louis XIV, un prêt de l’Etat français. Enfin, la salle à manger.

Pour s’immerger complètement dans l’époque de Monsieur de Besenval, encore faut-il passer par le petit boudoir, dit «Salon de l’alcôve»… le 18e siècle avait des charmes que le 21e ignore.

Et puis il y a le jardin, resté intouché malgré les transformations du lieu: Besenval avait fait ajouter par l’architecte Brongniart un étage à l’hôtel originel. «On n’a cessé de développer, sur le même terrain, avec, ce qui est rarissime, toujours le même jardin, celui de Chanac de Pompadour», commente Pascal Payen-Appenzeller.

Hors du club

Discussion avec l’ambassadeur dans l’un des élégants salons. «Un spectre hante l’Europe aujourd’hui, c’est de devenir une grande Suisse ! J’essaie de montrer que ce n’est pas un sort si malheureux que ça», relève François Nordmann.

Pourtant, l’idée que la Suisse pourrait être une sorte de modèle de gestion pour la diversité européenne est courante… «C’est une théorie qu’on entend en Suisse, guère ailleurs», répond-il, tout en relevant que la convention qui a rédigé la constitution européenne s’est penchée sur le fonctionnement de certaines institutions suisses, notamment le Conseil fédéral (gouvernement).

La non-appartenance de la Suisse à l’Union européenne rend-elle le travail de l’ambassadeur plus difficile? «Nous sommes exclus d’un grand nombre de cénacles, d’occasions de contacts. Nous ne sommes pas ‘membres du club’» constate François Nordmann.

«D’un autre côté, notre position est respectée. Mais on vérifie parfois s’il y a une évolution, on vibre avec nous à la veille de chaque référendum, et on se réjouit de tout ce qui sert à rapprocher la Suisse de l’Union européenne», ajoute-t-il.

«Les couches de l’histoire»

Rue de Grenelle, la Suisse enjambe plusieurs siècles de son histoire: «Ce qui est merveilleux, c’est que quand on entre dans l’ambassade, avec cette très belle tapisserie conçue par Le Brun, on est dans les couches de l’Histoire», relève Pascal Payen-Appenzeller.

«Cette histoire dans laquelle on s’introduit à la fin du 18è siècle avec Besenval, et dans laquelle on se réintroduit au milieu du 20e. On peut dire, très symboliquement, que c’est l’hôtel de l’alliance franco-suisse», conclut-il.

swissinfo, Bernard Léchot à Paris

Ambassade de Suisse, 142, rue de Grenelle – 75007 Paris (Métro: Invalides ou Varenne)
Une quarantaine de personnes, dont 5 diplomates, y travaillent.

Le Soleurois Pierre-Victor de Besenval (1721-1791) a grimpé toute la hiérarchie des Gardes suisses, de cadet (1731) à lieutenant-colonel (1767).

Au début des années 1760, il est mandaté par le duc de Choiseul pour entreprendre une réforme de l’armée.

En 1767, il achète l’hôtel Chanac de Pompadour, rue de Grenelle.

Commandant des troupes et garnisons de l’intérieur de la France (1781), Besenval est commandant militaire de l’Ile-de-France, des provinces limitrophes et de la garnison de Paris en 1789.

Arrêté fin juillet 1789 alors qu’il s’enfuit en Suisse, il est jugé en novembre pour haute trahison contre la Nation. Acquitté en mars 1790, il meurt à Paris en juin 1791.

Né en 1942 à Fribourg, il mène des études de droit à Fribourg et à Genève et entre au Département fédéral (ministère) des affaires étrangères en 1971.

1980: Conseiller d’ambassade à la Mission permanente de la Suisse auprès des Nations Unies à New York.

1984: Ambassadeur au Guatemala, au Costa Rica, au Honduras, au Nicaragua, au Salvador et au Panama, avec résidence à Guatemala Ciudad.

1987: Chef de la Délégation permanente de la Suisse auprès de l’UNESCO à Paris.

1994: Ambassadeur en Grande-Bretagne.

1999: Ambassadeur et Chef de la Mission permanente de la Suisse près les organisations internationales à Genève.

Depuis 2002: Ambassadeur de Suisse en France.

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