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Assurance-chômage: les artistes aux abois

De nombreuses professions artistiques ou para-artistiques risquent d'être touchées. swissinfo.ch

Si le oui l’emporte dimanche à l’issue de la votation sur la révision de la Loi sur l’assurance-chômage, comédiens, danseurs ou musiciens craignent d’en être les premières victimes. Dans les rangs des partisans de cette révision, la droite conservatrice réaffirme ses positions.

Branle-bas de combat dans le milieu du spectacle vivant en Suisse romande. Depuis plus de quinze jours, les appels dans les théâtres ainsi que les performances de rue à Lausanne et à Genève se multiplient, invitant le public à dire non à la révision de la Loi sur l’assurance-chômage (LACI) soumise à la votation fédérale, le 26 septembre.

Metteurs en scène, comédiens, scénographes, danseurs, musiciens et techniciens du spectacle sont donc en émoi: si la nouvelle loi venait à passer, c’en est fini de leur métier. Car avec cette 4e révision, il faudra avoir travaillé au moins 18 mois au cours des deux dernières années pour toucher des allocations chômage.

Les jeunes auront du mal

«Or, même les plus talentueux des artistes ont de la peine à remplir cette condition», fait observer le Syndicat suisse romand du spectacle (SSRS). Propos relayés par certains directeurs de compagnies théâtrales, comme Guillaume Béguin, qui souligne le danger dans un communiqué: «Tout au long de leur carrière, les professionnels du spectacle ont une succession de contrats de courte durée (en général moins de 3 mois) et des changements d’employeurs perpétuels. Ces contrats sont entrecoupés de périodes plus ou moins longues de chômage. C’est ce qu’on appelle l’intermittence».

Les intermittents, premières victimes, donc, de la nouvelle loi si le oui l’emportait? Certes, répond Anne Bisang, metteuse en scène et directrice de la Comédie de Genève. «La situation est grave pour tous les gens du métier, confie-t-elle, mais surtout pour les jeunes qui débarquent sur le marché et qui ont du mal à obtenir une succession d’emplois leur permettant d’ouvrir leurs délais-cadre. Il va y avoir une hécatombe. Beaucoup de ces jeunes seront tentés de quitter carrément la scène ou de bifurquer vers des professions parallèles, l’animation socioculturelle par exemple.»

Dans les milieux politiques, le sort des intermittents indiffère, déplore encore Anne Bisang. Et de citer l’exemple d’une émission récente de la Télévision suisse romande durant laquelle une autorité publique aurait affirmé que les intermittents ne forment qu’une toute petite frange de la société: 800 personnes.

«C’est ne pas tenir compte des dommages collatéraux, poursuit la directrice de la Comédie. Car hormis les quatre ou cinq mille intermittents romands, il faut compter les graphistes et autres artisans dont le travail est lié indirectement à la scène. Ils seront touchés eux aussi par la nouvelle loi.»

Quel remède?

Le remède alors? Il n’est pas à trouver forcément du côté de l’assurance-chômage, mais plutôt du côté des subventions culturelles qu’il faut réviser à la hausse, selon Anne Bisang. «Si la Confédération refuse, au cas où le oui l’emportait, de compenser le manque à gagner des artistes, si elle se garde d’injecter de l’argent dans les caisses des cantons, et bien, les cantons devraient faire un effort et se montrer plus généreux. Je pense ici au canton de Genève où le Département de l’emploi dispose d’une marge d’action importante.»

Contacté, le Département de l’emploi et de la solidarité à Genève répond qu’au sujet de la nouvelle loi, il faudrait plutôt chercher des réponses chez les responsables des partis politiques.

Les arguments de l’UDC

Difficile de trouver néanmoins des interlocuteurs politiques qui s’intéressent de près au problème des intermittents. Dans les rangs des partisans du oui, rares sont les personnes qui s’expriment à ce sujet, étayant leurs propos par des arguments solides. Nous avons pu joindre toutefois un membre de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), Eric Bertinat, député au parlement du Canton de Genève.

«L’assurance-chômage n’est pas faite pour combler le vide salarial des intermittents du spectacle, dit-il. Ceux-ci devraient s’organiser autrement, soit en créant leur propre caisse, soit en se recyclant dans un autre métier. Nous n’avons pas ménagé les agriculteurs dont beaucoup ont perdu leur entreprise parce qu’elle n’était plus rentable, je ne vois pas pourquoi on ferait aujourd’hui une exception pour une partie marginale de la société qui, tout compte fait, demande à la collectivité de la secourir financièrement ».

Position contrebalancée par les propos de Virginie Keller, Conseillère culturelle à la Ville de Genève, qui œuvre, quant à elle, à l’amélioration du sort des intermittents.

«Nous gérons 66 millions de francs de subventions annuelles qui vont dans des projets artistiques. A ce titre, je puis dire que nous nous montrons plus généreux que le Canton. Concernant les intermittents, nous avons beaucoup fait. Un outil existe déjà, il s’agit des Conventions de subventionnement. En clair, c’est un contrat qui engage les pouvoirs publics à aider financièrement, sur plusieurs années, une compagnie de théâtre ou de danse, un orchestre, une salle… Cette aide permet aux professionnels du spectacle de mettre sur pied des projets au long cours, mais aussi et surtout de salarier un certain nombre de postes au sein de leurs équipes.»

Le modèle germanique

Un salaire mensuel qui tombe régulièrement sur deux ou trois années évite justement au comédien, danseur ou musicien d’être fragilisé par les nouvelles dispositions de l’assurance-chômage. Or c’est ce salaire-là qui fait défaut à la grande majorité des comédiens et autres artistes de Suisse romande.

La Suisse alémanique, qui est quant à elle alignée sur le modèle allemand, ne souffre pas du même problème. «A Bâle, à Zurich ou à Berne, la plupart des professionnels du spectacle travaillent dans ce qu’on appelle en territoire germanophone les ‘Ensembles’, comme le Berliner à Berlin», explique Anne Bisang.

Car en Allemagne, comme dans les grandes villes d’Outre-Sarine, on pratique un théâtre de répertoire qui permet d’employer et de salarier à l’année des comédiens. En Suisse francophone, ce modèle-là est-il applicable?

«Il pourrait l’être si on disposait de plus d’argent, répond Virginie Keller. Avec 230 millions de francs vous pouvez salarier, par exemple, deux théâtres et deux orchestres, mais alors vous oubliez les compagnies indépendantes. On ne peut pas favoriser les uns au détriment des autres. Ici, à Genève, on a choisi une politique culturelle de la diversité».

Au Parlement, la révision de la Loi sur l’assurance-chômage a été acceptée par 91 voix contre 64 et 37 abstentions à la Chambre basse et par 32 voix contre 12 à la Chambre haute.

Le gouvernement soutient cette révision.

L’opposition à la révision provient essentiellement des partis de gauche et des milieux syndicaux.

Ces derniers ont obtenu facilement le référendum contre la révision en recueillant plus de 140’000 signatures, soit plus de 25’000 que le minimum légal.

Selon les chiffres officiels, la révision de la loi devrait permettre des recettes supplémentaires de l’ordre de 646 millions de francs et des économies de 622 millions, soit un gain annuel de 1,2 milliard.

Il est prévu que les comptes retrouvent les chiffres noirs d’ici une quinzaine d’années.

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