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Barclays accusée de spéculer sur le dos des plus pauvres

Les «Oscars de la honte» ont été remis en marge du World Economic Forum de Davos. Keystone

La banque britannique Barclays et la firme minière brésilienne Vale ont été distinguées comme les pires entreprises de l'année par les Public Eye Awards, vendredi en marge du WEF. Elles sont accusées de faire d’énormes profits en exploitant les plus pauvres.

«Pour protéger notre environnement et notre société, il est nécessaire de respecter deux conditions fondamentales: la création de nouvelles règles étatiques pour empêcher les abus d’un côté, un plus grand engagement de la part des individus et des entreprises afin de garantir une vraie responsabilité et réduire le fossé entre riches et pauvres de l’autre.»

Hôte d’honneur de l’édition 2012 des Public Eye Awards, le Prix Nobel d’économie Joseph E. Stiglitz a souligné l’importance revêtue par ce prix de la honte, qui a permis d’identifier «quelques-unes des multinationales les plus irresponsables de 2011». Joseph E.Stiglitz s’est dit étonné de voir à quel point les activités de ces entreprises sont omniprésentes dans notre vie quotidienne. Il a également estimé que la liste des candidatures aurait pu être facilement rallongée.

«Certes, des entreprises ont réussi à donner le bon exemple, mais d’autres se sont obstinées sur le mauvais chemin. Dans le secteur financier, par exemple, certains instituts se sont lancés dans une politique de prêts rapaces et ont pris des risques exagérés. Sans parler des banques qui ont reçu une aide étatique sans aucune exigence de contrepartie, avant de trahir la confiance de ceux qui croyaient à un changement de route possible».

Et c’est précisément un institut financier qui a été distingué cette année par les Public Eye Awards, remis par deux organisations non gouvernementales suisses (ONG), la Déclaration de Berne et Greenpeace. La banque britannique Barclays a été distinguée par le jury pour «s’être enrichie sur le dos des plus pauvres». «Barclays a spéculé sur les produits agricoles, provoquant des fluctuations drastiques des prix des denrées alimentaires de base comme le maïs, le soja ou le blé», a commenté Amy Horton, du World Development Movement, l’ONG qui a présenté la candidature de Barclays.

Le public sanctionne Vale

Comme le veut la tradition, le public a également pu remettre son prix. Et pour la première fois, on a pu assister à un mano a mano indécis jusqu’au dernier vote entre le japonais Tepco – accusé de négligence dans la gestion de la centrale nucléaire de Fukushima – et le groupe minier brésilien Vale, en raison de sa participation à la construction d’un barrage controversé au cœur de l’Amazonie.

«Le barrage de Belo Monte va forcer près de 40’000 personnes à quitter leur maison, tandis que la déviation du cours des fleuves va provoquer d’énormes dégâts sur l’écosystème environnant», a expliqué le directeur de Greenpeace International Kumi Naidoo.

Les deux multinationales ont rejeté les accusations (voir ci-contre) et ont décliné l’invitation des organisateurs à assister à la remise du prix. Jusqu’à présent, aucun représentant d’une société épinglée n’est jamais venu récupérer son prix dans la station grisonne.

Pression accrue

Depuis huit ans, les Public Eye Awards donnent la parole aux victimes des violations des droits humains et des désastres environnementaux provoqués par les multinationales. La cérémonie se déroule à Davos, lieu de rencontre par excellence des leaders économiques et politiques de la planète. «Cette initiative permet aux ONG locales d’acquérir une visibilité et une légitimité accrues», souligne François Meienberg, de la Déclaration de Berne.

«Les Public Eye Awards permettent aux organisations locales d’élargir leur réseau de soutien et de renforcer l’impact de leurs actions», ajoute-t-il. Une observation également partagée par Amy Horton: «Grâce aux Public Eye Awards, nous pourrons accroître la pression sur Barclays et sur le gouvernement britannique afin qu’il crée des règles plus claires en matière de régulation financière».

L’an dernier, l’entreprise FoxConn, qui fournit du matériel d’assemblage pour des géants comme Apple, figurait parmi les entreprises sélectionnées par les Public Eye Awards. La société a été surnommée «la fabrique du suicide», en raison du nombre important de ses employés qui se sont donnés la mort en Chine. «Début janvier, relève François Meienberg, FoxConn a admis la nécessité d’améliorer les conditions de travail de son personnel. Il serait excessif d’affirmer que ce petit pas en avant est le résultat des Public Eye Awards, mais la résonance internationale autour du cas a certainement permis de mettre l’entreprise sous pression».

Demande de règles plus sévères

Sans base légale, les actions de dénonciation risquent toutefois de rester impunies dans les pays où l’accès à la justice n’est pas garanti. Pour cette raison, une cinquantaine d’ONG suisses ont lancé récemment la campagne «Droits sans frontière», qui exige du gouvernement suisse l’introduction de règles contraignantes pour que les multinationales ayant implanté leur siège en Suisse s’engagent à respecter les droits humains et les standards environnementaux. Ces entreprises doivent également être amenées à vérifier que leurs propres filiales, joint-venture ou fournisseurs, en fassent autant.

«La responsabilité sociale des entreprises reste un principe volontaire, mais les violations perpétrées dans les pays pauvres démontrent que l’autorégulation n’est pas suffisante», souligne Michel Egger, porte-parole de la campagne et représentant d’Alliance Sud. «Il faut supprimer la séparation entre maison-mère et filiale, de manière à ce que les entreprises implantées en Suisse soient responsables juridiquement des actions commises par leurs filiales à l’étranger».

Les victimes se verraient ainsi garantir un accès accru à la justice, car elles pourraient aller directement frapper à la porte de la maison-mère. Pour le moment, cette séparation entre siège principal et filiale est présente dans pratiquement tous les pays, admet Michel Egger. «Nous sommes pourtant convaincus que les autorités suisses – tout comme les multinationales – devraient jouer un rôle pionnier dans ce domaine. D’une part parce que chaque scandale impliquant une entreprise suisse nuit à l’image de l’économie nationale, et d’autre part parce que la Suisse a fait de la défense des droits humains un pilier de sa politique étrangère».

Contrairement à l’Open Forum, les Public Eye Awards ne sont pas un événement parallèle officiel du WEF. Il s’agit d’une manifestation alternative au Forum économique mondial de Davos, très critique vis-à-vis de la mondialisation, et étroitement lié au Forum social mondial.

Nés en 2000 pour dénoncer les dérives du WEF, les Public Eye Awards remettent les «Oscars de la honte» aux sociétés considérées comme les plus irresponsables de l’année. Un prix est attribué par le jury, l’autre par le public. Pour l’édition 2012, le jury a décerné son prix à la banque britannique Barclays, tandis que le public a porté son choix sur le géant minier Vale.

Les six candidatures soumises au vote du public et du jury ont été sélectionnées parmi la quarantaine de propositions présentées par différentes ONG internationales.

Barclays (finance, Grande-Bretagne): Augmentation du prix des biens alimentaires – au-travers d’une spéculation massive – au détriment des pays les plus pauvres.

Freeport-McRoRan (activités minières, USA): Violations des droits humains et dommages environnementaux à Gransberg (Indonésie), une des plus grandes mines du monde. La Suisse est le cinquième partenaire commercial de la société.

Samsung (électronique, Corée du Sud): Utilisation de produits hautement toxiques dans l’usine, sans avertissement ni protection des employés.

Syngenta (agrochimie, Suisse): Commercialisation agressive de produits prohibés en Suisse au Sud du globe. Utilisation de produits toxiques dommageables pour l’homme et l’environnement.

Tepco (énergie, Japon): Négligence dans la gestion des centrales nucléaires et désinformation après la catastrophe de Fukushima.

Vale (activités minières, Brésil): Violations répétées des droits humains et exploitation sauvage de la nature et de l’environnement.

(Source: Public Eye Awards)

Contactée par swissinfo.ch, la porte-parole de Barclays Aurélie Leonard s’est distanciée des Public Eye Awards, précisant qu’«un nombre considérable d’études ont démontré que les flux financiers ont un impact minime, sinon nul, sur les variations des prix».

«Les facteurs qui influencent les prix des denrées alimentaires sont complexes et multiples, des conditions météorologiques extrêmes, en passant par les interdictions d’exportation jusqu’à l’augmentation de la demande de la part des marchés émergents».

Contacté par le site businness-humanrights.org, Vale a de son côté rejeté les accusations de violation des droits humains, rappelant son engagement pour un commerce durable. L’entreprise brésilienne a également souligné qu’elle ne détenait que 9% de participation directe dans le projet de construction du barrage de Belo Monte.

(Traduction de l’italien: Samuel Jaberg)

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