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Bonfol: les écologistes accusent la chimie bâloise

Une action de Greenpeace sur la décharge de Bonfol en mai 2000. Keystone Archive

Les écologistes décrient vertement le projet d’assainissement de la décharge jurassienne de Bonfol proposé par l’industrie chimique.

Le «Collectif Bonfol» parle de concept «bâclé». La chimie bâloise se justifie prudemment et attend la position du canton du Jura.

Dans le genre «descente en flammes», les écologistes regroupés au sein du Collectif Bonfol n’y sont pas allés de main morte. Vendredi matin à Bâle, ils présentaient leur analyse du projet d’assainissement de la décharge de Bonfol proposé par l’industrie chimique bâloise.

«Pas sérieux», «léger», «des kilos de rapports trafiqués pour amuser la galerie», «un exercice alibi»: Pro Natura, Greenpeace, le WWF, le syndicat SIB et les Verts français, n’ont vraiment rien retenu de positif dans ce projet.

Présenté en décembre dernier, celui-ci vise l’assainissement complet d’ici 2014 de la décharge de Bonfol, située dans le Jura, non loin de la frontière française, dans une région riche en étangs.

Site protégé



Le site de Bonfol est inscrit dans l’inventaire fédéral des paysages naturels d’importance nationale, comme l’a rappelé le représentant de Pro Natura.

Mais, entre 1961 et 1976, l’industrie chimique bâloise, regroupée depuis 1962 au sein de la «bci» («Basler Chemische Industrie») a entreposé à Bonfol 114’000 tonnes de déchets spéciaux, sur une superficie de quelque 20’000 m2.

Au début des années 80, des exfiltrations ont attiré l’attention sur le manque d’étanchéité de la fosse. Des travaux de confinement ont été effectués jusqu’en 1995.

280 millions de francs

Appelée à la table de négociations en 2000 par le gouvernement jurassien, la bci a créé une société d’exploitation idoine pour l’assainissement, la bci-Betriebs-AG. Le coût total de l’assainissement est estimé à 280 millions de francs.

Le projet retenu prévoit l’excavation des déchets, leur conditionnement dans une halle construite sur place puis leur transport en direction de fours d’incinération de déchets spéciaux à l’étranger.

Evaluation implacable

Le Collectif Bonfol a confié à deux experts une évaluation de ce projet. Les conclusions de leur rapport sont implacables.

«Le projet, écrivent-ils, ne correspond en aucune manière à l’état actuel de la technique d’assainissement de sites contaminés. Le déchiquetage des déchets prend le pas sur la sécurité au travail et les émissions sont à nouveau larguées sans filtration dans l’environnement».

Les experts comparent les normes prévues pour Bonfol à celles utilisées à Kölliken (Argovie), une autre décharge de la chimie bâloise. Là, pour être protégés d’émanations toxiques, les travailleurs doivent être équipés de bonbonnes à air avec conduites sous pression.

A Bonfol, ils n’auront «que» des masques à gaz qui ne retiennent pas tous les gaz, critiquent les experts. De même, pour les fûts, il est prévu à Bonfol un déchiquetage complet, tandis qu’à Kölliken, l’emballage et le contenu sont d’abord séparés.

Beaucoup d’inconnues

Les experts critiquent encore les approximations d’analyses faites par la bci. «Il est irresponsable de ne pas tenir compte des possibles émanations et des réactions chimiques qui vont se produire entre des dizaines de substances», note l’expert Jean-Louis Walther.

Pour les spécialistes mandatés par le Collectif, la bci passe comme chat sur braise sur de très nombreuses inconnues. Or, selon eux, elles exigent une bien plus grande prudence dans le traitement des déchets que ce qui est actuellement prévu.

«Nous ne savons pas ce qu’il y a sous la décharge. Et la bci ne rappelle même pas qu’en 1986 le fonds a été attaqué par des substances chimiques», critique encore Jean-Louis Walther.

La chimie ne conteste pas formellement

Présent lors de la conférence de presse, Michael Fischer, chef du projet d’assainissement, a essuyé ces salves de critiques avec une impassibilité apparente.

Malgré cela, il admet que la dureté des remarques le surprend un peu. Et refuse de rejeter les critiques concrètes, expliquant qu’il faut continuer à travailler pour élaborer les détails de l’assainissement.

Egalement prudent, le communiqué officiel de la bci ne condamne pas non plus la contre-expertise du Collectif, mais se contente de rappeler que la faisabilité du projet est largement reconnue.

La bci se dit ensuite «prête à discuter toute proposition d’amélioration avec le canton du Jura». Car ce dernier doit encore prendre position, début juin. Fin avril, l’Office cantonal compétent a néanmoins déjà averti qu’il demanderait des compléments avant de se prononcer définitivement.

La commune dans l’expectative

Une position qu’attend aussi avec impatience le porte-parole de la commune de Bonfol, Jean-Claude Hennet. «Pour nous, la question est de savoir pourquoi tels experts auraient tout faux et tels experts auraient tout juste».

«Le Collectif joue un rôle important dans tout le processus d’assainissement, ajoute-t-il, mais cela ne veut pas dire que tout ce qu’il dit est juste. Nous attendons la position du canton».

Un canton qui, selon le Collectif, est dans une situation délicate: «S’il demande des compléments comme il l’a annoncé, la bci lui dira de payer. Or le canton n’a aucun budget pour cela», explique Matthias Wüthrich de Greenpeace.

Qui va payer?

Le problème du financement risque de devenir brûlant. Le gouvernement fédéral, répondant à une question de deux députés bâlois, un socialiste et un écologiste, a donné en passant un coup de pouce à la chimie bâloise.

Pour le gouvernement, une collectivité ayant profité financièrement d’une décharge doit aussi participer à son assainissement. Or Bonfol a reçu environ 100’000 francs par année du temps de la décharge, rappelle une spécialiste du dossier.

Ces sommes ont toutefois surtout profité à un particulier impliqué dans le processus d’entreposage, et qui est décédé depuis.

swissinfo, Ariane Gigon Bormann, Bâle

En 2000, le ministre jurassien Pierre Kohler somme l’industrie chimique d’assainir définitivement la décharge.
Le Collectif Bonfol (Pro Natura, SIB, Greenpeace, WWF, les Verts français) est créé la même année.
En décembre 2003, l’industrie chimique bâloise (bci) présente un projet d’assainissement d’un coût de 280 millions de francs, à réaliser jusqu’en 2014.
Le Collectif Bonfol a évalué ce projet et arrive à la conclusion qu’il ne correspond pas aux normes en la matière, que ce soit pour la sécurité des travailleurs ou pour celle de l’environnement.
Le Collectif demande des corrections et le remplacement de la direction du projet par une structure indépendante, payée par la bci.

– La décharge de déchets spéciaux de Bonfol a été utilisée de 1961 à 1976 par l’Industrie Chimique Bâloise qui y a déposé 114’000 tonnes de déchets, sur une superficie de quelque 20’000 m2.

– La bci estime que 70% des déchets ont été déposés dans quelques 300’000 à 400’000 fûts, en grande partie endommagés lors de l’entreposage.

– Dans les années 1980/81, la bci a découvert que le recouvrement de la décharge n’était pas étanche.

– Pour y remédier, on a procédé à des travaux dans les années 1986 à 1995, pour un coût total de 28 millions de francs.

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