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Bruxelles veut renégocier l’accord sur la fraude

Keystone

Cinq ans après sa signature, l'accord bilatéral sur la lutte contre la fraude entre la Suisse et l'Union européenne n'est pas encore ratifié par tous les Etats-membres. Pourtant, la Commission veut déjà le renégocier.

Renégocier l’accord sur la fraude est la principale nouveauté contenue dans la communication au Parlement et au Conseil pour «améliorer la bonne gouvernance en matière fiscale». Car pour le reste, le texte est surtout une compilation d’intentions déjà dévoilées ces derniers mois, comme la volonté d’en finir avec le secret bancaire à l’intérieur de l’Union, ou celle d’élargir le champ d’application de la directive sur la fiscalité de l’épargne.

Pourquoi rouvrir l’accord sur la fraude, âprement négocié au sein du paquet des «Bilatérales II» ? Parce qu’il faut bien mettre en musique l’acceptation par la Suisse des standards de l’OCDE sur l’échange d’information à la demande.

Aux yeux de Lazslo Kovacs, commissaire à la Fiscalité, le meilleur instrument pour y arriver c’est l’accord bilatéral sur la fraude. Et de prendre comme exemple l’accord que l’UE négocie avec le Liechtenstein, autrefois considéré comme l’un des Etats les plus rebelles en la matière, et désormais érigé en modèle de coopération après avoir plié sous la pression des grands pays de l’UE, Allemagne en tête.

Il faudrait adapter l’accord à la nouvelle donne, en y incluant la fiscalité directe et en y précisant les modalités de l’échange. Les critères de l’OCDE sont en effet assez généraux. Il faut définir les conditions qui motivent la demande d’information, le modus operandi, etc

Pas de guerre contre la Suisse

«Il est beaucoup mieux d’avoir un accord entre l’UE et la Suisse et non 27 accord bilatéraux», affirme le commissaire hongrois, en allusion aux accords de double imposition que la Suisse a déjà commencé à négocier avec certains pays de l’UE. En fait, les experts de la Commission se méfient d’une Suisse négociant en ordre dispersé et à son avantage avec chaque Etat-membre.

Mais attention, précise Laszlo Kovacs: «La Commission ne mène pas une guerre contre la Suisse. Notre objectif est d’inclure les principes de la bonne gouvernance en matière fiscale au niveau global».

«Nous disons que le secret bancaire ne peut pas être utilisé comme prétexte pour ne pas livrer d’information à la demande, ce qui a pour effet de protéger ceux qui font de l’évasion, de la fraude fiscale ou du blanchiment d’argent, poursuit le commissaire hongrois. La Suisse comprend notre position. J’ai hâte de rencontrer les politiciens suisses à ce sujet. Je ne crains pas qu’ils se montrent hostiles à nos intentions.»

«Quand on veut, on peut»

Hostiles sur le fond, peut-être pas. Sur la forme par contre, Micheline Calmy-Rey n’a pas attendu la publication du texte pour allumer les contre-feux: « Aujourd’hui, nous n’avons aucune raison de renégocier l’accord sur la fraude» a déclaré la cheffe de la diplomatie helvétique dès les premières fuites.

Comment dans ces conditions obliger les diplomates suisses à rouvrir la boite de Pandore ? «Ça, c’est du ressort des Etats membres. On peut trouver les moyens», dit on dans l’entourage du commissaire à la Fiscalité, sur le mode «quand on veut, on peut…»

Laszlo Kovacs s’est en tout cas dit convaincu «à 100%» d’obtenir un mandat de renégociation de la part des ministres des Finances de l’Union à qui il présentera une demande, le 5 mai prochain. Toutefois, le Luxembourg et la Belgique ont déjà dit qu’ils s’y opposeraient.

«La Commission n’en a pas la compétence. Et elle doit apprendre à travailler de manière pragmatique et réaliste. En voulant mettre des propositions très fondamentales sur la table en matière fiscale, on se heurte à la règle de l’unanimité», lâche Didier Reynders, vice-Premier ministre et ministre des Finances belge.

«Ce sera une vraie discussion politique», réplique-t-on à la Commission en rappelant que si certains feront de la résistance, d’autres ont clairement annoncé leur intention d’accroitre la lutte contre la fraude.

Nouvelles pressions en vue

L’idée de conférer de nouvelles compétences à la Commission dans un domaine aussi sensible n’est donc pas encore acquise. Mais à ce stade, deux réflexions s’imposent:

– La Suisse compte sur l’aide du Luxembourg et de l’Autriche, deux pays à secret bancaire. Or les alliances ne tiennent que tant que les pays ont des intérêts communs. Le fait qu’ils soient dans l’UE, au contraire de la Suisse, les pressions et les «deals» passées à l’intérieur de l’UE peuvent par exemple faire évoluer l’agenda du petit Luxembourg.

– La volonté de renégocier s’inscrit dans la tendance actuelle de chasse à la fraude fiscale, qui ferait perdre 200 milliards d’euros à l’Union. On l’a vu avec le vote à une large majorité au Parlement européen du rapport Hamon qui réclame la fin rapide du secret bancaire. Et on l’on voit bien que le thème est de plus en plus présent dans la campagne pour les élections européennes, en France et en Allemagne notamment.

D’ici au scrutin du 7 juin, on n’a donc pas fini d’entendre associer les mots Suisse, secret bancaire et fraude fiscale.

swissinfo, Alain Franco à Bruxelles

Article 26 . En prenant la décision historique, le 13 mars dernier, d’assouplir son secret bancaire en matière fiscale dans ses rapports avec l’étranger, la Suisse a aussi retiré l’importante réserve qu’elle avait formulée il y a plusieurs années déjà à l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique).

Jamais. Cet article prévoit que dans l’intérêt de la lutte contre la fraude, un Etat ne peut «en aucun cas» refuser de livrer à une administration étrangère des renseignements sur un contribuable « parce que ceux-ci sont détenus par une banque (…) ».

Soupçon. Or actuellement, la Suisse ne livre de tels renseignements qu’en cas de soupçon « d’escroquerie fiscale » (et pas de simple « soustraction »: évasion fiscale).

Fraude. Selon l’article 26 désormais accepté par Berne, les renseignements à livrer doivent être « vraisemblablement pertinents » en rapport avec un éventuel délit de fraude.

Hameçonnage. Tout le problème va consister maintenant à fixer des critères d’interprétation de cette notion. La Suisse veut à cet égard éviter qu’un Etat étranger puisse réclamer arbitrairement des renseignements sur un grand nombre de contribuables sans soupçons concrets (« hameçonnage »).

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