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Chamade en Russie: une navigation en zone stratégique

Le Chamade, un voilier qui navigue pour sensibiliser à la problématique du don d'organes. Marc Decrey

Le voilier suisse Chamade est arrivé dans le port de Murmansk, dans le Grand Nord russe. C'est la première étape d'un voyage maritime de deux mois, relaté sur swissinfo.ch, qui le conduira jusqu'à St Petersbourg, en empruntant le canal du Belomorsk qui relie la Mer Blanche à la Mer Baltique.

69°52’N, 33°32’E: c’est juste un point sur une carte marine, à 20 kilomètres des côtes russes, mais c’est un passage obligatoire, le point précis où selon les gardes-côtes russes, nous devons pénétrer dans les eaux territoriales de la Fédération de Russie.

Nous sommes en mer depuis 24 heures, depuis notre départ du port norvégien de Kirkenes, et nous entrons dans l’une des zones les plus stratégiques de la Russie, la région de Murmansk. C’est là qu’est basée la célèbre Flotte du Nord, et son armada de sous-marins nucléaires. C’est là aussi qu’était basé le fameux Koursk, de triste mémoire. Pas question donc d’y arriver comme un simple plaisancier.

Depuis des mois, nous avons dû préparer ce voyage, désigner un agent maritime et obtenir des autorisations. Nous avons dû aussi communiquer notre heure estimée d’arrivée (ETA) 24 heures, 12 heures et 2 heures à l’avance. Nous sommes décidément loin de la croisière de vacances, si ce n’était ce temps superbe et ce soleil de minuit il y a quelques heures, au large, en Mer de Barents.

4 brise-glace nucléaires, 1 porte-avion

A mesure que nous pénétrons dans le grand fjord de Kola, ce fjord de 70 kilomètres au fond duquel se cache Murmansk, la militarisation de la zone devient de plus en plus évidente. Des antennes partout, des ports militaires non inscrits sur les cartes marines, mais bien visibles au passage, et le navire des gardes-côtes qui vient faire une petite reconnaissance, avant que son équipage nous fasse des grands signes de bienvenue.

Puis au détour du fjord, le port de Murmansk apparaît. Nous passons devant quatre brise-glace nucléaires, un porte-avion, deux pétroliers, quelques grands cargos et d’innombrables navires de pêche. Par radio les autorités portuaires nous guident jusque dans la darse des remorqueurs. Nous finissons par nous amarrer au bout d’un ponton encombré de ferraille et de gravas, où nous attend la délégation de l’immigration et des douanes. Regards impassibles, uniformes impeccables et talons hauts pour les dames qui compliquent la tâche lorsqu’il faut franchir le parcours d’obstacle qui mène au bateau.

C’est qu’ici rien n’est prévu pour un voilier: ni l’amarrage, ni les formulaires officiels. La dernière visite d’un «yacht» remonte à l’an dernier, si leur mémoire est bonne! Alors on fait avec: liste d’équipage, liste de cargaison, liste d’équipement, déclaration de douane, certificats en tout genre, le tout en 5 ou 6 exemplaires. Les papiers s’amoncellent sur la table du carré et chacun s’y met pour trouver la manière adéquate.

Invités par Vladimir Poutine

Mais il y a un point qui bloque: «Personne ou organisation invitante?» Nous répondons «Vladimir Poutine», puisque notre projet est au bénéfice d’une autorisation exceptionnelle signée du Premier Ministre lui-même, et autorisant Chamade et son équipage de greffés à faire ce voyage destiné à encourager le don d’organe. «Mais on ne peut pas mettre Vladimir Poutine sur un formulaire, ce n’est pas possible!» La ligne restera blanche.

La délégation repart, mais les formalités ne sont pas encore finies. Reste encore la sécurité portuaire: encore des listes d’équipages, encore des photocopies de passeport. Car pas question d’entrer ou de sortir librement du port. La zone est fermée et il faut montrer patte blanche à chaque passage.

Hautement stratégique

Tout cela peut paraître exagéré, anachronique, post-soviétique, mais il ne faut pas oublier à quel point la région fut (et reste) hautement stratégique. Ne pas oublier que c’est ici que s’est jouée en partie la deuxième guerre mondiale. Que c’est à Mourmansk qu’arrivaient les convois de «Liberty ships» américains pour ravitailler en armes et munitions l’Armée Rouge. Qu’ici la résistance fut acharnée et que malgré trois offensives, l’armée allemande n’a jamais pu prendre la ville.

Ne pas oublier non plus la guerre froide durant laquelle l’armada nucléaire soviétique était (et reste) basée ici, faisant de la région l’une des plus grandes concentrations militaires du monde. Tout cela ne s’efface pas d’un trait de gomme, tout cela est encore dans les esprits et les réflexes.

Deux heures plus tard, tout est enfin terminé et nous pouvons partir à la découverte de cette ville de 350’000 habitants, située par 69° Nord, à plus de 350 kilomètres au nord du cercle polaire arctique. Nous sommes au début de l’été et le jour est donc permanent. Mais l’hiver ici est rude et le soleil ne se lève plus deux mois durant. La ville a été fondée en 1916 et développée de manière volontariste dans les années 30 par Staline qui voulait disposer d’un accès permanent à l’Océan Atlantique. Une ville à découvrir en quelques jours. Une ville dans laquelle nous avons aussi rendez-vous avec les autorités médicales.

Demain, nous devrions visiter le centre d’hémodialyse de la ville, et peut-être même rencontrer des greffés du rein. Gisèle Ceppi, notre équipière et greffée du rein il y a 10 ans, s’en réjouit déjà.

Marc Decrey, port de Murmansk en Russie, swissinfo.ch

A bord de leur voilier Chamade, Sylvie Cohen et Marc Decrey accueillent chaque année des greffés suisses pour les emmener à l’aventure dans le Grand Nord. Ils veulent ainsi sensibiliser la population suisse au don d’organe avec un slogan: «Le don c’est la Vie».

En 2007, des transplantés du cœur et des reins ont navigué en Ecosse. En 2008, l’aventure a conduit une greffée du cœur et un greffé du rein au Spitzberg, par 79° Nord, aux confins de la banquise.

Chamade est un voilier en aluminium de 12 mètres de long. Construit en 2006, il est équipé pour naviguer dans les eaux arctiques.

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