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Déplacés internes: «Un travail de loin pas suffisant»

Le monde compte un chiffre stable de 26 millions de déplacés à la suite de conflits et toujours plus de déplacés en lien avec le changement climatique. Keystone

Les personnes déplacées dans leur propre pays sont toujours plus nombreuses et la réponse du système international trop partielle. Le juriste suisse Walter Kälin tire le bilan de ses deux mandats de trois ans ans comme Représentant du Secrétaire général de l’ONU.

Professeur de droit constitutionnel et international à l’Université de Berne, expert internationalement reconnu, Walter Kälin est aussi un des architectes du Conseil des droits de l’homme.

swissinfo.ch: Les personnes déplacées dans leur propre pays sont toujours plus nombreuses dans le monde. Pourquoi?

Walter Kälin: On parle d’un chiffre assez stable depuis dix ans de 26 millions de déplacés à la suite de conflits et de violences. On les trouve en Afrique – 11 millions -, en Asie, au Moyen Orient, en Amérique mais aussi en Europe, avec deux ou trois millions de déplacés, résultat surtout des guerres des Balkans et du Caucase du Sud.

Par contre, le nombre de personnes déplacées à la suite de catastrophes naturelles est clairement en train d’augmenter. Haïti par exemple, après le séisme de janvier, compte deux millions de déplacés.

Mais l’augmentation est surtout due à l’accroissement des catastrophes liées aux effets du changement climatique. Une estimation pour l’an dernier chiffre à 36 millions le nombre de déplacés. En comparaison, les réfugiés, y compris palestiniens, sont 16 millions.

swissinfo.ch: Ces personnes déplacées internes sont-elles suffisamment protégées?

W.K.: Non. D’un côté, le cadre juridique universel est faible. Il n’existe pas de convention sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Contrairement aux réfugiés, pour lesquels il y a une convention.

Mais cela ne veut pas dire qu’ils restent sans protection. Ils peuvent invoquer les droits humains. De plus, un texte important des Nations unies – les Principes directeurs sur les déplacements internes – est aujourd’hui reconnu par les Etats.

Au niveau régional, l’adoption d’une convention africaine sur les personnes déplacées en Afrique est encourageante. Le nombre de pays qui commencent à intégrer les déplacements internes dans leur législation va également croissant. Mais tout cela est insuffisant, beaucoup reste à faire.

swissinfo.ch: Après deux mandats, estimez-vous avoir atteint vos objectifs?

W.K.: Partiellement. Un de mes objectifs était de renforcer le cadre juridique. Au début de mon mandat, les principes directeurs étaient contestés par plusieurs gouvernements. Ils ont été acceptés par le biais de résolutions unanimes comme cadre normatif à appliquer.

J’ai aussi le plaisir de voir que, suite à mes missions, plusieurs pays ont élaboré des stratégies, voire des lois. Mais d’autres pays n’ont rien fait. Leur manque de volonté ou de capacités reste une de mes préoccupations.

Quant à l’amélioration de la situation sur le terrain, j’ai eu quelques succès. Il existe aussi des situations extrêmement problématiques où les déplacés continuent à souffrir, sans accès ni moyens pour l’assistance.

swissinfo.ch: Plus précisément…

W.K.: Le Népal, par exemple. J’y suis allé lors de ma première mission en 2005. Depuis, les parties au conflit ont conclu un accord de paix. A l’époque, j’avais contacté les deux parties et fait des propositions pour intégrer la dimension des personnes déplacées dans l’accord de paix. Cela a été fait. Un très grand nombre de déplacés ont pu rentrer.

Lors de ma première visite en République centre-africaine, des gens se cachaient toujours dans la forêt, l’armée brulait les villages. Grâce à un effort concerté, pas seulement à ma visite, ces violations ont cessé. Des responsables des forces armées ont été retirés des régions concernées. Les organisations humanitaires se sont installées. Aujourd’hui, la situation n’est pas normalisée, mais l’amélioration est visible.

En Géorgie, au début de mon travail, un grand nombre de personnes étaient installés dans centres collectifs surpeuplés, sans hygiène. Depuis, le gouvernement a accepté, sur ma recommandation, un plan d’action. Aujourd’hui, on est en train de fournir à ces gens des appartements et des maisons. On cherche à les intégrer économiquement.

A l’inverse, la RDC reste un point noir. Dans l’est du pays, la situation n’a pas bougé pour les personnes déplacées. La violence continue. Des violations graves des droits de l’homme sur la population civile explique la fuite qui se poursuit de nombreuses personnes.

En Somalie, où j’ai effectué une mission en novembre dernier, les combats et les déplacements continuent. L’accès humanitaire s’est nettement réduit depuis un an et la situation est extrêmement difficile pour la population civile, déplacés compris. On ne voit pas vraiment que faire dans un tel contexte.

swissinfo.ch: En général, le représentant du Secrétaire général a-t-il les moyens et la latitude d’action nécessaires?

W.K.: Les moyens sont limités. Il s’agit d’un poste volontaire, à temps partiel, et l’appui fourni par les Nations unies est là pour quelques missions. Mais face à la dimension du problème, cela n’est pas suffisant.

Heureusement, j’ai pu établir un contact très étroit avec des partenaires comme l’OCHA [Bureau de coordination des affaires humanitaires] ou le Haut-commissariat pour les réfugiés. Ces organisations ont souvent donné suite, sur le terrain, à mes recommandations. Cette collaboration a très fortement facilité ma tâche.

Il ne m’est possible de visiter un pays que sur invitation du gouvernement. Dans les pays visités, je n’ai pas rencontré de problèmes particuliers, l’accueil a été positif. Avec parfois des discussions très dures, mais c’est normal.

Les déplacés se trouvent souvent dans des régions de conflit armé et la question de la sécurité s’est parfois posée. Je n’ai pas toujours pu y accéder, ce qui a compliqué le travail.

swissinfo.ch: Quels sont les défis se posant à ce stade?

W.K.: D’abord, j’espère que mon successeur pourra dialoguer avec les pays concernés mais entretiendra aussi des relations avec les autres composantes des Nations unies, particulièrement les agences humanitaires. Sans quoi ses activités seront limitées.

Pour les personnes déplacées, un grand défi consiste à renforcer le cadre juridique pour leur protection. Mais en soi, cela n’est pas suffisant. Sans une volonté politique de mise en œuvre, pas de résultat. Certains pays n’ont pas cette volonté de s’attaquer au problème du déplacement interne.

On se trouve souvent dans des situations de conflit armé. Les gouvernements concernés sont affaiblis. Et même s’il y a volonté politique d’agir, la capacité n’existe pas. Les appuyer devient une véritable nécessité. C’est un autre défi énorme.

Il faut, en troisième lieu, renforcer la réponse du système international. Si beaucoup d’organisations des Nations unies et les ONG font un travail admirable, il est loin d’être suffisant.

Environ deux tiers des personnes déplacées à la suite de conflits restent déplacées pour dix, quinze, vingt ans, car il n’existe pas de pont entre l’action humanitaire urgente et l’action de développement.

Trouver une solution durable, c’est réintégrer les personnes déplacées chez elles ou leur trouver d’autres endroits de vie où elles puissent d’intégrer. Mais franchement, les mécanismes existants, les systèmes de financement et l’expérience des organisations concernées sont trop faibles.

Pierre-François Besson, swissinfo.ch

Droit. Walter Kälin est né à Zurich en 1951 et s’est formé aux universités de Fribourg, Berne et Harvard. Il est professeur de droit constitutionnel et international à l’Université de Berne.

Internes. Représentant spécial depuis 2004 du Secrétaire général de l’ONU sur les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays, il aura effectué deux mandats.

Expert. Spécialiste du droit des réfugiés et de la protection internationale des droits de l’homme mais aussi du droit constitutionnel, il multiplie les tâches d’expert (Confédération, UNHCR, ONG, etc).

Koweït. En 1991-1992, il a été le Rapporteur spéciale de la Commission des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme au Koweït sous occupation irakienne.

Inédit. Il a aussi été le premier Suisse à siéger au Comité des droits de l’homme de l’ONU entre 2003 et 2008.

Selon Walter Kälin, le mandat onusien attaché aux déplacés internes sera renouvelé. Mais de «représentant du Secrétaire général», il deviendra «rapporteur spécial», élu par le Conseil des droits de l’homme, qui n’existait pas en 2004.

Cela n’affaiblira pas le successeur du Suisse dans son travail avec les pays, juge ce dernier. Mais le soutien du système des Nations Unies, au-delà du Haut-commissariat aux droits de l’homme, pourrait devenir beaucoup plus problématique.

«J’étais représentant du Secrétaire général pour les droits de l’homme des personnes déplacées. Un titre qui me donnait un accès très direct au système des Nations Unies à ses échelons les plus élevés», indique Walter Kälin.

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