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Comment le système de milice suisse renforce l’identité – et attire les privilégiés en politique

Pompiers en action
Les pompiers en noir font partie des pompiers de milice, tandis que ceux en jaune sont professionnels. Outre l’armée et la politique, le principe de milice agit également au sein des sapeurs-pompiers de Suisse. Keystone / Martial Trezzini

Le principe de milice est une particularité de la démocratie suisse. S’il renforce le lien entre gouvernants et gouvernés, il est également source de «discrimination sociale».

En Suisse, des citoyens auraient déjà déménagé parce qu’ils avaient été élus à une fonction contre leur gréLien externe. Quiconque s’oppose à cette contrainte administrative peut recevoir une amende pouvant aller jusqu’à 5000 francs.

L’obligation d’exercer une fonction est la forme extrême du principe de milice. Elle fait néanmoins partie des particularités du système politique suisse. Aujourd’hui encore, dans certains cantons, il est possible d’accéder contre son gré à des fonctions locales, même si les occurrences sont rares.

Qu’est-ce que le système de milice suisse?

Le système de milice est un concept qui n’est utilisé que dans la démocratie suisse. Le principe de milice repose sur l’idée que les citoyens doivent exercer des fonctions publiques, chez les pompiers, en tant que juges non professionnels, au sein d’une commission scolaire ou d’un parlement.

Le principe est considéré en Suisse «comme le standard d’excellence de la participation», pour reprendre l’expression utilisée par les politologues Markus Freitag, Pirmin Bundi et Martina Flick Witzig dans Milizarbeit in der SchweizLien externe (le travail de milice en Suisse, 2019). La plupart des fonctions sont assorties de petites indemnités, ce qui contraste fortement avec le niveau élevé des salaires helvétiques.

L’idée fondamentale qui sous-tend ce principe est que, lorsque les citoyens assument des responsabilités sociales et politiques par conviction personnelle et tout en ayant une activité professionnelle, ils peuvent prendre des décisions de manière plus indépendante. Ils ne dépendent pas financièrement de leur fonction. Leur regard extérieur est également censé, espère-t-on, contribuer à éviter une trop forte croissance de la bureaucratie.

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Parallèlement, le système est censé empêcher que le fossé entre la population et la politique ne devienne trop grand. Lorsque ce sont les citoyens eux-mêmes qui assument la responsabilité politique, cela peut créer une proximité et une identification. Même sans mandat, les Suisses peuvent exercer une influence directe sur la politique par le biais des initiatives et des référendums.

Malgré ces avantages, le principe de la milice conduit souvent à ce que ce soit des personnes bien loties et disposant de suffisamment de temps qui assument des responsabilités politiques, constatent les politologues Wolf Linder et Sean Müller: la «gratuité ou la simple compensation entraîne une discrimination sociale qui est souvent ignorée».

Les différences dans la représentation des sexes qui persistent aujourd’hui encore sont parfois attribuées au principe de milice: seulement 0,5% des femmes contre 1,7% des hommes se sont engagés bénévolement dans des partis et des fonctions publiques en 2020.

En Suisse, les fonctions locales impliquent des réunions en soirée, tandis que ce sont surtout les femmes qui effectuent les travaux de soin. Si la politique locale était rémunérée comme un emploi normal, davantage de personnes pourraient se permettre de payer une garde d’enfants. Ou alors l’activité politique pourrait se dérouler pendant les heures de bureau.

Les racines militaires du système de milice

La notion de système de milice vient du domaine militaire et trouve ses racines dans la Rome antique et la cité-État d’Athènes. L’armée suisse est elle aussi organisée selon le principe de milice et non comme une armée professionnelle. Le théoricien italien de l’État Nicolas Machiavel voyait ainsi «dans l’ancienne Confédération la résurgence du principe romain de l’identité du citoyen et du soldat», selon l’expression du juriste Andreas KleyLien externe.

Avant même la fondation de l’État fédéral suisse, le principe était déjà devenu un pilier de la vie civile, que ce soit dans la gestion coopérative des terres comme dans la Landsgemeinde.

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Au 21e siècle, le système est considéré comme en déclin et en crise. Ce sont surtout les petites communes qui recherchent désespérément des politiciens. L’ouvrage Milizarbeit in der Schweiz décrit des «signes de lassitude», en particulier au niveau local.

Scepticisme à l’égard des politiciens professionnels

Tous les politiciens occupant des postes à responsabilité dans les petites localités exercent un autre emploi en parallèle. Pour la politique à un niveau supérieur, le principe de la milice implique un équilibre délicat: la politique n’est pas vraiment considérée comme une profession. Les membres du parlement d’une ville ou d’un canton ne perçoivent pas une compensation suffisante pour gagner leur vie avec leur seul mandat politique. Même au Parlement fédéral, beaucoup exercent une profession en dehors des semaines de session.

Nombre d’électeurs restent sceptiques lorsqu’une conseillère nationale ou un conseiller aux États n’exerce pas de profession en dehors de son mandat politique. En même temps, le Parlement fédéral n’est pas conçu pour un emploi à plein temps: selon une étude de 2017, le travail parlementaire correspond en moyenne à un emploi à mi-tempsLien externe. À cela s’ajoutent les campagnes électorales et les apparitions publiques, qui correspondent en médiane à un taux de travail de 24% (Conseil des États) ou 36% (Conseil national).

Ainsi, même au plus haut niveau, le travail parlementaire n’atteint pas nécessairement les 42 heures, ce qui correspond en Suisse à la durée hebdomadaire d’un emploi à temps plein.

Comparés à leurs collègues des pays voisins que sont l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie et la France, les parlementaires suisses gagnent nettement moins, et ce bien que les salaires soient généralement bien plus élevés en Suisse. Même dans des pays comme le Brésil et la Colombie, où le salaire moyen est encore plus bas, les politiciens gagnent plus que ceux en Suisse.

Mais les nombreuses professions et activités annexes entraînent une multitude de liens d’intérêts. L’organisation non gouvernementale Transparency International qualifie les parlementaires du Palais fédéral de «lobbyistes les plus influentsLien externe» et décrit une fusion entre le travail parlementaire et le lobbying.

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Les sept conseillers fédéraux qui forment le gouvernement suisse gagnent 477’668 francs, soit plus que le président des États-Unis ou le chancelier allemand. Sans parler des 12’000 francs reçus pour la présidence de la Confédération, fonction assumée par rotation annuelle.

Le système de milice suisse ne parvient donc pas à s’imposer au plus haut niveau du gouvernement. Il se reflète toutefois dans les parcours professionnels: à titre d’exemple, la ministre des Finances Karin Keller-Sutter a commencé sa carrière politique en tant que conseillère communale dans sa commune de résidence. Elle a siégé au parlement cantonal, au gouvernement cantonal et au parlement fédéral. Aujourd’hui, elle est conseillère fédérale et présidente de la Confédération cette année 2025.

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Texte relu et vérifié par Mark Livingston, traduit de l’allemand par Albertine Bourget/op

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