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Les régionalistes français face au «déni de démocratie»

Pour calmer un peu les Alsaciens, l'Assemblée nationale a déjà désigné Strasbourg comme capitale de la future région ALCA. AFP

D’aucuns estiment parfois que l’on vote trop souvent en Suisse et que le peuple se prononce sur des sujets trop compliqués. Ce sont là des préoccupations qu’aimeraient bien avoir les régionalistes français. Pour eux, le problème est inverse: ils estiment ne pas pouvoir se faire entendre. Reportage à Dannemarie, dans le Haut-Rhin.

Une grosse vingtaine de personnes sont réunies dans les locaux de l’ancienne mairie de Dannemarie, une  localité du Sundgau située à quelque 40 kilomètres de la frontière bâloise. Devant le bâtiment, le drapeau rouge et blanc de l’Alsace et celui blanc et noir parsemé de mouchetures d’hermine de la Bretagne indiquent que les régions seront au cœur de la réunion.

Arrivé très en avance, je m’approche de quelques personnes – dont un homme en costume breton – pour prendre un peu l’ambiance. A peine ai-je prononcé deux mots de salutation que mon accent me trahit. Mais chez les régionalistes, mon statut de journaliste suisse m’attire plutôt la sympathie. D’une part, la presse étrangère s’intéresse à leurs préoccupations et surtout, la Suisse, c’est le pays du référendum…

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Le peuple, ce souverain suprême

Ce contenu a été publié sur La Suisse ne détient pas le monopole de la démocratie directe, mais c’est certainement le pays où celle-ci est pratiquée de la manière la plus intensive. Introduite au 19e siècle, cette participation directe aux décisions a constamment évolué au fil des décennies. Pour être précis, la démocratie suisse est qualifiée de semi-directe. Cela signifie que…

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Je provoque un certain étonnement parmi mes interlocuteurs en leur indiquant qu’en Suisse, il suffit de réunir 50’000 signatures de citoyens pour mettre sur pied un référendum. Et cet étonnement devient certain lorsque je précise que la décision populaire issue du référendum est «bien entendu» appliquée.

Une fusion contestée

Le référendum, c’est justement ce que réclame un collectif de citoyens alsaciens opposés au redécoupage de leur région. Le 17 décembre dernier, l’Assemblée nationale a accepté une loiLien externe qui réduit le nombre des régions françaises, les faisant passer de 22 actuellement à 13.

L’actuelle région Alsace sera fusionnée avec la Lorraine, la Champagne et les Ardennes pour donner naissance à une nouvelle région dont le nom n’a pas encore été défini, mais que l’on appelle communément de son acronyme ALCA (Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes). Les élections destinées à désigner les membres du législatif de la future région auront lieu en décembre.

Cette fusion provoque une certaine grogne en Alsace. «Ce sera une région grande comme deux fois la Belgique, explique Paul Mumbach, maire de Dannemarie et président de la Fédération démocratique alsacienne, un mouvement apolitique qui fédère les opposants. Une telle taille éloigne les citoyens des décideurs. Quatre millions d’électeurs, cela veut aussi dire des campagnes électorales à 5 ou 6 millions d’euros. On ne va donc plus trouver que les partis nationaux à consonance parisienne. Cela nous dérange, car la voix des régions ne pourra plus s’exprimer.»

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«Il n’y a aucune cohérence géographique, historique ou économique, estime pour sa part Jean-Georges Trouillet, vice-président et porte-parole du parti régionaliste Unser LandLien externe. Dans un ensemble plus grand, on ne pourra même plus défendre les miettes de ce qui nous reste en matière d’autonomie linguistique.»

Pas de référendum

Au fil des mois, le mouvement d’opposition a gagné en force. Sa principale revendication est l’organisation d’un référendum permettant aux Alsaciens de se prononcer directement sur la création de la région ALCA. Pour soutenir leur demande, ils ont multiplié les actions: manifestations, Alsaciennes portant la coiffe traditionnelle en public, élus du Conseil général du Haut-Rhin recouvrant leur bouche d’un bâillon aux couleurs de l’Alsace, etc.

Démocratie directe en débat

Le 28e Forum européen de Lucerne du 27 avril 2015 se penchera sur le thème de la démocratie directe. Pour swissinfo.ch, l’événement sera l’occasion de lancer officiellement son dossier spécial consacré à ce sujet. Cette plate-forme d’information en dix langues traite des discussions, des processus et des défis soulevés par les droits populaires, la participation civile et la démocratie participative.

En Suisse, les controverses suscitées par des décisions populaires ont inauguré un débat de fond sur ce qui peut être décidé, par qui, quand et comment.

D’autres pays, membres ou non de l’Union européenne (UE), connaissent également des expériences de démocratie directe, en tout cas au niveau local ou régional.

Cette mobilisation a porté ses fruits, puisque les opposants sont parvenus à réunir plus de 115’000 signatures demandant l’organisation d’un référendum en l’espace de six semaines seulement. Mais cela ne suffit pas. Le président de la région Alsace ne se considère pas compétent pour organiser un tel référendum et le préfet de la région rappelle que la loi sur les régions ne prévoit pas cette possibilité. Quant au Conseil constitutionnel, auprès duquel un recours avait été déposé, il a statuéLien externe que la fusion des régions était conforme à la Constitution.

Les opposants vont continuer la lutte au plan juridique en recourant auprès du Conseil d’Etat et du Conseil de l’Europe. Ils considèrent en effet que la France ne respecte pas la Charte européenne de l’autonomie localeLien externe, qui prévoit une consultation éventuellement populaire lorsque la structure d’une entité territoriale est modifiée.

Déni de démocratie

Parmi les personnes présentes à Dannemarie, ce refus d’organiser un référendum provoque de la frustration, voire de la colère. «On nous a privés de référendum, privés de démocratie, alors que la seule chose que l’on demande, c’est d’être consultés. Les Français ont passé outre les traités internationaux, ce qui est un grand déni de démocratie. Il y a vraiment un très gros problème en France et la démocratie n’est plus qu’un mot sans valeur», s’emporte Frédéric Turon, du collectif Alsaciens réunis.

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Beaucoup d’observateurs dressent depuis longtemps un tableau assez sombre d’une vie politique française de plus en plus marquée par l’abstentionnisme et le vote protestataire. Une analyse partagée par les Alsaciens opposés à la fusion.

«Comme il n’y a pas de vie démocratique, soit on ne vote plus, soit on vote Front nationalLien externe, déclare Jean-Georges Trouillet. Il ne manque désormais plus beaucoup de chose pour que le FN passe le stade du 2e tour dans des élections.»

«Les lois électorales font qu’une fois que les élus sont en place, on ne remet plus en cause les décisions et on ne consulte plus les citoyens, dénonce Paul Mumbach. C’est une réelle difficulté. Pour changer les choses, il y a certes les élections, mais on n’y croit plus. Aujourd’hui en France, 60% des électeurs ne vont plus voter; c’est une catastrophe. Et dans les 40% restant, il y a énormément de votes pour le FN. C’est un vote de rejet, un mode d’expression. Parfois, c’est dangereux; l’Histoire nous l’a montré.»

Un nouveau mai 68?

Si la voie des urnes est bouchée, faut-il craindre que l’on en arrive à des solutions plus musclées pour faire entendre sa voix?

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«Au regard du déni de démocratie, on est en droit de se poser la question, répond Raphaël Quemere, membre des Bonnets rougesLien externe, un mouvement de protestation qui est parvenu à faire reculer les autorités sur l’établissement d’une écotaxe routière. Il y a eu beaucoup de violence, car les Bretons ont bien senti que des processus institutionnels et administratifs n’auraient pas abouti. Ils se sont donc insurgés et ont brûlé les portiques écotaxes.»

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«En France, la démocratie directe, c’est la manifestation, et si cela ne suffit pas, la casse, déplore pour sa part Jean-Georges Trouillet. Lorsque vous empruntez les voies légales, on ne vous écoute pas.» Et Frédéric Turon d’ajouter: «A un moment, il faut s’attendre à la foudre. Cela peut amener la révolte. On n’est pas très loin d’un mai 68, que ce soit en Alsace ou dans d’autres régions.»

Un candidat régionaliste pour l’Elysée

Fondateur du mouvement des Bonnets rouges, Christian Troadec se lance dans la course à l’élection présidentielle française de 2017.

Le maire de Carhaix (Finistère) se présente comme un «candidat régionaliste».

Pour pouvoir se présenter à l’élection présidentielle, un candidat doit obtenir la signature de 500 maires issus de 30 départements différents.

Christian Troadec a débuté un tour de France des régions pour obtenir ces signatures. La première est celle du maire de Dannemarie (Haut-Rhin) Paul Mumbach.

Il faut remonter à 1974 pour trouver une candidature régionaliste à l’élection présidentielle. Le candidat de l’époque avait recueilli 19’000 signatures, soit 0,07% des voix.

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