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«Une hausse des droits de douane isolerait la Suisse»

Lors de son voyage au Brésil, Johann Schneider-Ammann a notamment rencontre le ministre des Affaires étrangères Antonio Patriota. Keystone

Augmenter massivement les impôts douaniers, comme le Brésil l’a décidé en septembre pour lutter contre la force de sa monnaie, n’est pas une option pour la Suisse. C’est l’avis du ministre suisse de l’Economie Johann Schneider-Ammann.

Le mot «crise» ne passe jamais les lèvres du ministre libéral-radical en charge du Département fédéral de l’économie (DFE). Le Bernois préfère parler d’«affaiblissement». Le meilleur moyen de lutter contre ce dernier est de maintenir ouvertes les frontières (commerciales). C’est, entre autres, ce qu’il a expliqué à swissinfo.ch lors de son voyage en Amérique du Sud.

swissinfo.ch: Le commerce des produits agricoles fait aussi partie de l’accord de libre-échange que l’Association européenne de libre-échange et les pays du Mercosur aimeraient conclure. Que dites-vous aux paysans suisses qui craignent de subir une nouvelle concurrence?

Johann Schneider-Ammann: Le libre-échange agricole est un thème de discussions très disputé partout dans le monde. Au Brésil, nous avons exprimé notre souhait de lancer des discussions entre l’AELE et les Etats du Mercosur dans ce domaine. Les deux parties ont pu mettre leurs intérêts respectifs sur la table, dans le domaine agricole comme dans d’autres. Tout accord commercial doit refléter les intérêts des parties contractantes. Les paysans suisses n’ont pas à se faire de soucis.

swissinfo.ch: Comme la Suisse, le Brésil doit lutter contre la force de sa monnaie. Pouvez-vous vous inspirer de ce que le grand Etat sud-américain fait dans ce domaine?

J. S.-A. : Le Brésil est certes dans une situation semblable à la nôtre, le real étant, comme le franc suisse, surévalué. Le pays lutte toutefois contre deux autres éléments que la Suisse ne connaît pas: l’inflation et des taux d’intérêt relativement élevés.

Le gouvernement brésilien opère avec des baisses de taux pour améliorer les conditions cadres de l’économie, surtout de l’économie d’exportation. Mais la conséquence en est que l’inflation augmente.

En discutant avec mes collègues brésiliens, je me suis entendu dire que la Suisse est, avec les mesures prises, sur la bonne voie. L’encouragement de l’innovation et de la formation est un point décisif.

swissinfo.ch: Le Brésil accorde des rabais fiscaux et prélève des doits de douane punitifs, par exemple sur les voitures importées. Est-ce que ce serait une option pour la Suisse?

J. S.-A. : Non, certainement pas. La Suisse est un pays transparent et sa fiscalité est attractive. Nous nous efforçons d’optimiser constamment notre système fiscal. Je ne peux pas m’imaginer isoler notre marché par des impôts punitifs.

swissinfo.ch: Les entreprises suisses actives au Brésil se plaignent d’avoir beaucoup d’obstacles administratifs et de barrières commerciales à surmonter. Elles affirment que le risque entrepreneurial s’en trouve plus élevé. Partagez-vous cette analyse?

J. S.-A. : J’ai aussi entendu cette critique. Il faut effectivement traverser un long processus administratif jusqu’à l’obtention des autorisations nécessaires. Le Brésil en est conscient et ne nie pas cet état de fait.

Notre visite a aussi été l’occasion de montrer aux représentants de l’économie suisse qui faisaient partie de la délégation comment trouver des voies plus courtes à travers l’administration brésilienne.

De son côté, le vice-gouverneur de Sao Paulo a également souligné qu’il était nécessaire de simplifier les procédures. Il a montré un vif intérêt face aux investisseurs étrangers, dans le domaine des infrastructures tout particulièrement.

La Suisse et le Brésil avaient, en 1994 déjà, signé un accord de protection des investissements, mais il n’a jamais été ratifié. Les contacts que nous avons noués durant ce voyage ont donné un léger mouvement au dossier.

swissinfo.ch: Le gouvernement brésilien critique les excès et, selon lui, les lacunes importantes existant dans le contrôle du secteur financier. Quelle est votre analyse?

J. S.-A. : La place financière suisse a connu des ratés, qu’on se souvienne de la situation difficile avec UBS (la Confédération a dû renflouer la grande banque à hauteur de quelque 70 milliards de francs, ndlr).

Mais chaque pays doit régler ses propres problèmes. Je m’engage pour la stabilisation de la place financière suisse. Il ne serait pas opportun de donner des recommandations à des pays amis comme le Brésil.

swissinfo.ch: La croissance économique brésilienne est, comme en Suisse, légèrement en recul. Etant donné la crise de la dette en Europe, doit-on craindre une crise majeure?

J. S.-A. : Nous devons prendre en compte le ralentissement, mais je ne veux pas parler de crise. Les pays européens sont fortement endettés et doivent assainir leur budget en réduisant les dépenses. Ceci montre que l’économie européenne se développera plutôt lentement.

L’Asie me préoccupe davantage. La locomotive chinoise, très importante pour l’économie mondiale, lutte contre des problèmes de surchauffe. Une paralysie serait très grave.

J’espère surtout que le marché du travail ne va pas se détériorer excessivement. Pour maintenir la confiance, il est important que les pays gardent leurs frontières ouvertes. Les impulsions économiques ne doivent pas être étouffées dans l’œuf.

swissinfo.ch: On n’évoque pas, en Suisse, de possibles contrôles sur le trafic des capitaux. Quelle est la situation en Suisse avec l’octroi de marchés publics?

J. S.-A. : Le principe de base est que les marchés doivent rester ouverts. Mais j’ai de la compréhension pour la volonté des entreprises suisses d’occuper elles-mêmes les mandats donnés dans notre pays. Outre le prix, d’autres aspects entrent en ligne de compte, comme le conseil, les instruments de financement, le service au client, en clair: la globalité de l’offre. Ces critères devraient permettre aux entreprises suisses de qualité de s’assurer les mandats publics.

Le Brésil est l’un des rares pays avec lequel la Suisse n’a ni accord de double-imposition ni accord de protection des investissements.

Les échanges commerciaux ont augmenté ces dernières années entre les deux pays. Même sans instrument de protection des investissements, la Suisse fait partie des 13 plus grands pays investissant au Brésil. Près de 300 entreprises suisses y ont des filiales.

Avec ses 190 millions d’habitants, le Brésil est également un partenaire économique important pour l’industrie d’exportation suisse. Ces prochaines années, l’économie brésilienne devrait croître de 4%, selon les prévisions.

40% des exportations suisses vers l’Amérique du Sud sont destinées au Brésil.

Comme la Suisse, le Brésil doit aussi lutter, actuellement, contre les conséquences de la force de sa monnaie. Depuis 2003, la valeur du real par rapport au dollar a presque doublé. La croissance économique et des taux d’intérêts élevés attirent les capitaux étrangers.

Le ministre de l’économie Johann Schneider-Ammann a signé un accord sur l’échange de stagiaires entre la Suisse et le Brésil. De jeunes Suisses ont auront ainsi un accès simplifié pour trouver des possibilités de stage dans les entreprises brésiliennes, et vice-versa (octroi de permis de travail en Suisse).

Les personnes intéressées devront avoir moins de 35 ans et avoir terminé une formation professionnelle. Le titre de séjour sera accordé pour une année au maximum.

La Suisse a déjà conclu de tels accords avec plus de 30 pays. Ces échanges visent à améliorer les compétences professionnelles et linguistiques.

Selon les sondages, le parti de Johann Schneider-Ammann, le Parti libéral-radical, (PLR / centre droit) doit craindre des pertes conséquentes lors des élections fédérales du week-end prochain.

De plus, étant donné la réélection du gouvernement en décembre, un des deux sièges PLR au gouvernement pourrait être en danger.

Le ministre de l’économie ne souhaite cependant pas s’exprimer sur son propre cas. Pour lui, ce qui importe, c’est l’avenir du pays.

(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)

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