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Bicentenaire d’un emblème bancaire genevois

Discrétion et sobriété sont la clé du succès de la banque privée. Keystone Archive

Cette année, la Banque Pictet & Cie, l'une des plus grandes banques privées de Suisse et la première à Genève, fête son bicentenaire.

Depuis le début du 19e siècle, le nec plus ultra de la place financière genevoise fait partie de l’histoire de la République comme de la tradition protestante.

«La banque privée genevoise occupe depuis toujours une place phénoménale avec un succès sans comparaison», relève l’historien Dominique Zumkeller. Aujourd’hui, avec près de 30’000 emplois, la finance est le premier employeur de Genève. Il n’y a qu’à parcourir le «quartier des banques» de la cité de Calvin pour s’en convaincre…

L’historien genevois explique ce succès par la paix relative dont a bénéficié la ville au cours des siècles et la neutralité de la Suisse. Mais il s’étonne lui-même de ne trouver aucune explication plus satisfaisante.

Pour Bernard Lescaze, autre historien genevois, «le pôle d’excellence de Genève dans la gestion de fortune privée est une alchimie entre l’éthique protestante capitaliste et la création d’un extraordinaire réseau international».

Le capitalisme protestant

Un réseau enrichi au 17e siècle par les réfugiés Huguenots français après la révocation de l’Edit de Nantes et qui entretenaient des relations très étroites.

Mais la tradition remonte au-delà de la Réforme et de Calvin. En 1387 déjà, l’évêque Adhémar Fabri accorde aux citoyens le droit de pratiquer le prêt avec intérêt, jusqu’alors condamné par l’Eglise.

Et puis il y avait les grandes foires internationales. Dès 1420, les Medici s’y établissent, suivis par d’autres banquiers florentins, génois ou vénitiens. Certains noms de familles qui ont toujours pignon sur rue en attestent encore.

Successeurs des marchands d’or et des changeurs du Moyen Age, les banquiers genevois émettent leurs billets, pour éviter les affres du transport de pièces d’or.

Au 16e siècle, le réformateur Jean Calvin ajoute la notion d’une «morale des affaires», toujours sous-jacente dans le capitalisme genevois. «Vous ne verrez jamais un ‘vrai’ banquier genevois rouler en Rolls-Royce», plaisante Dominique Zumkeller. Entre autres anecdotes sur une sobriété qui, selon certains, frôle la pingrerie et une discrétion légendaire.

Le trafic triangulaire

Ces mêmes banquiers participent aux affaires coloniales des Hollandais et des Français et, dès le début du 18e, investissent dans la Compagnie des Indes ou la Manufacture des Glaces de Saint-Gobain.

Et participent donc au commerce triangulaire entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique, impliquant la traite des esclaves. Selon l’historien bâlois Herbert Lüthy, quelques établissements suisses y ont joué un rôle central autour de 1750, dont des genevois comme Cottin, Banquet, Rilliet, Thellusson, Necker, Mallet ou Lullin (qui a fusionné en 1795 avec la Banque Ferrier). Ce n’est pas un hasard si Jacques Necker a été l’argentier de Louis XVI.

Ce qui fait dire à Bernard Lescaze: «Si vous me demandez si une banque a bénéficié du trafic triangulaire, je vous répondrai non, car ce sont clients qui se sont enrichis et aucune n’est assez ancienne pour cela. Mais si vous me demandez si certaines familles (dont les noms sont depuis toujours associés aux banques privées) en ont bénéficié, je vous répondrai oui!»

De son côté, Dominique Zumkeller ajoute que les établissements de l’époque «ont eu la chance de ne jamais avoir été impliqués dans l’administration territoriale des colonies».

Le secret bancaire est né à Genève…

Les banquiers sont aussi trésoriers royaux, courtiers en obligations d’Etats et en actions des grandes compagnies, et commencent à gérer des fortunes importantes dès le 18e siècle.

Leur réputation aidant, des Genevois deviennent conseillers des cours européennes, ou ministres eux-mêmes comme Jacques Necker ou Albert Gallatin, négociateur de la vente de la Louisiane et 4e Secrétaire d’État au Trésor des États-Unis.

A Genève, le marché des capitaux est différent des grands royaumes où l’endettement de l’Etat avait favorisé le développement de la banque. S’ajoute l’accumulation de fonds privés générés par le service étranger des Suisses.

Dans ce contexte, «le secret bancaire n’est pas une invention de la Loi Fédérale sur les Banques de 1934, mais il apparaît à Genève en 1713», indique Bernard Lescaze.

…et la bourse

La Révolution surprend ces banquiers très engagés avec la Cour de France. «Si les banques privées genevoises remontent à la fin du 18e et au début du 19e, c’est parce que leurs prédécesseurs ont été emportés dans la tourmente», rappelle l’historien.

Mais les affaires reprennent et, en 1857, la première bourse suisse voit le jour à Genève, où l’offre bancaire s’étoffe par la création de banques locales et l’implantation de banques suisses et étrangères.

Un pôle d’excellence

«Aujourd’hui, la gestion de fortune est emblématique de Genève, qui est devenue un pôle d’excellence», s’enthousiasme Bernard Lescaze.

Le secteur est le premier employeur du canton, avec 30’000 emplois. 10% de l’épargne mondiale transnationale – l’épargne qui ne reste pas dans le pays d’origine de l’épargnant – transite par Genève.

Numéro un à Genève et dans le peloton de tête en Suisse, Pictet &Cie emploie 1900 personnes, dont 650 à l’étranger.

Pour célébrer son bicentenaire, la banque publie deux ouvrages historiques et, entre autres, a financé une partie du Musée international de la Réforme, inauguré en avril dans la Cité de Calvin. Juste retour des choses.

swissinfo, Isabelle Eichenberger

Fondée en 1805 à Genève, Pictet & Cie est aujourd’hui l’une des plus grandes banques privées de Suisse, avec des dépôts supérieurs à 225 milliards de francs à fin 2004.
Cette société en commandite de 9 associés est spécialisée dans la gestion de patrimoine.
C’est le 3e gérant institutionnel suisse pour 67,8 milliards de francs.
Il emploie actuellement plus de 1900 personnes dont 650 à l’étranger.
C’est le numéro un à Genève, devant Lombard Odier Darier Hentsch & Cie, Mirabeaud et Cie, Bordier.

– Avec près de 30’000 emplois, la finance est le 1er employeur de Genève, où transitent 10% de l’épargne mondiale transnationale.

– Genève est aussi la 2e place européenne en matière de financement du négoce international des matières premières. Elle est en tête dans le financement des transactions pétrolières sur le marché libre.

– Le secret bancaire n’est pas créé par la Loi Fédérale sur les Banques de 1934 mais apparaît à Genève en 1713.

– Première suisse, la bourse de Genève a été créée en 1857.

– En 1996, le négoce électronique du SWX Swiss Exchange remplace la traditionnelle corbeille des bourses de Genève, Zurich et Bâle.

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