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Du caviar alpin dans l’Oberland bernois

Esturgeons de Sibérie à Frutigen. Michel Roggo

D'ici la fin de l'année prochaine, un élevage de caviar alpin et une culture de fruits tropicaux vont démarrer à Frutigen, dans la vallée de la Kander. Les deux projets sont alimentés par la source d'eau chaude découverte sous le tunnel de base du Lötschberg.

A l’aide d’une épuisette, Dmitri Pougovkine, biologiste sibérien, attrape un gros esturgeon de près d’un mètre et, fermement mais délicatement, le maintient sur une table.

Le scientifique, qui accompagne ce projet de l’Université de Berne, détermine le sexe de l’esturgeon au moyen d’un appareil à ultrason. «C’est un mâle de 5 ans», dit-il, avant de le relâcher dans le bassin.

D’une température de 20 degrés, l’eau chaude vient directement du tunnel de base du Lötschberg, d’une source découverte près du portail nord du tunnel. C’est une température idéale pour l’esturgeon, un poisson que la surexploitation du caviar menace de disparition.

«Dans les cours d’eau russes, ce poisson vit à une température de 2 degrés en hiver et de 18 pendant le court été sibérien. A Frutigen, il bénéficie de ce climat estival pendant toute l’année, ce qui lui convient magnifiquement», explique Samuel Moser, responsable de la Maison tropicale de Frutigen.

Des alevins de Hongrie

L’abattoir se trouve dans une tente voisine. Le grand distributeur Coop vend les filets d’esturgeons dans ses filiales des environs. Les quantités sont encore modestes pour l’instant, mais, à terme, elles devraient atteindre les 20 tonnes par an. La Maison tropicale mise l’essentiel de ses rentrées sur les œufs de femelles esturgeons, soit 2 tonnes par an. D’ici à 2017, ce «caviar des Alpes» devrait constituer les trois-quarts du chiffre d’affaires.

La pisciculture, une des rares en Europe, est le noyau central de la Maison tropicale de Frutigen SA. Les poissons proviennent d’un élevage hongrois. Les plus jeunes ont 8 mois, les plus vieux 8 ans et mesurant jusqu’à un mètre et demi. Mais l’entreprise a pour objectif, à terme, d’élever ses propres alevins. «C’est le meilleur remède contre les maladies», explique Samuel Moser.

Un projet audacieux

Selon l’ingénieur agronome de Frutigen, l’eau chaude du tunnel de base du Lötschberg ne peut être déversée directement dans la Kander. «En hiver surtout, cette eau à 20 degrés se mélange mal avec les petits volume des cours d’eau locaux. Le biorythme des poissons indigènes, comme la truite, serait mis en danger.»

C’est donc pour éviter d’avoir à refroidir artificiellement cette eau de source que Peter Hufschmied, actuel président du conseil d’administration de la Maison tropicale de Frutigen SA, a, en 2002, lancé l’idée de créer une serre pour fruits tropicaux et une pisciculture.

Malgré un certain scepticisme au départ, ce projet audacieux a fini par séduire la population de la région. Probablement aussi du fait qu’il crée des emplois. En effet, les paysans élèvent des insectes destinés à nourrir les esturgeons.

Une «république bananière»

La construction de ce projet de 28 millions de francs a commencé en mai 2008. La Maison tropicale, qui n’est qu’à quelques minutes à pieds de la gare de Frutigen, est en train de prendre forme.

Dans un abri provisoire en plastique, le visiteur peut déjà se faire une idée. Il y a une bonne dizaine de bananiers, des caféiers et des papayes. Une surface de 2000 m2 est prévue pour une production d’une dizaine de tonnes par an.

Par cette journée d’hiver enneigée, il est difficile d’imaginer que des fruits exotiques puissent pousser à 800 mètres d’altitude, en plein Oberland bernois. Mais Samuel Moser est enthousiaste: «Nous n’avons pas peur de la concurrence. Contrairement aux autres fruits exotiques commercialisés en Suisse, nous, nous pourrons laisser les nôtres mûrir tranquillement sur les arbres, de manière à ce qu’ils puissent être vendus et consommés quelques heures après avoir été cueillis.»

Sensibiliser les consommateurs

Outre la serre, un centre d’accueil est prévu, avec cafétéria et salle d’exposition. Ici, les Forces motrices bernoises BKW, deuxième investisseur après la Coop, présenteront les derniers développements de la géothermie et d’autres énergies renouvelables.

Samuel Moser espère aussi faire un travail de sensibilisation auprès des consommateurs sur les espèces menacées – comme l’esturgeon – de manière à les encourager à cibler leurs achats.

Samuel Moser n’a pas peur que son entreprise connaisse le même sort que le Mystery Park d’Erich von Däniken, fermé depuis deux ans à Interlaken. «Nous avons assuré nos arrières, le Mystery Park n’avait qu’une fonction d’exposition. Nous, nous produisons et nous espérons des rentrées conséquentes de l’élevage d’esturgeons.»

La pisciculture, le caviar, la recherche, les énergies renouvelables, la durabilité et la transmission de connaissances, les bananes et les papayes, tout ça dans l’Oberland bernois. On serait optimiste à moins.

swissinfo, Gaby Ochsenbein
(Traduction de l’allemand: Isabelle Eichenberger)

2002: l’idée est lancée par Peter Hufschmied.
5 juin 2005: les citoyens de Frutigen approuvent le projet.
16 mai 2008: 1er coup de pioche.
Fin 2009: inauguration.

Budget: 28 millions de francs.
Nombre de visiteurs prévu: 50’000 par an.
Sponsors: Coop, BKW.
Production: 10 tonnes de fruits tropicaux, 20 tonnes d’esturgeons et 2 tonnes de caviar par an.
Près de Frutigen, il existe déjà une maison tropicale à Wolhusen (Lucerne).

Collaboration. Le projet est une collaboration entre la Maison tropicale de Frutigen SA et le Centre médical pour poissons et gibier de l’Université de Berne (FIWI).

Sibérie.Il consiste à exploiter la source d’eau chaude découverte sous le tunnel du Lötschberg pour élever des esturgeons de Sibérie.

Les Forces motrices bernoises (BKW) ont intégré un parc énergétique à la Maison tropicale de Frutigen.

Il s’agit de présenter au public les diverses sources d’énergies renouvelables.

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