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Face aux difficultés d’intégration, les Allemands quittent la Suisse

Depuis 2009, il y a plus d’Allemands qui quittent le pays que de nouveaux qui arrivent. Keystone

La relation entre Suisses et Allemands est connue pour être compliquée, avec des réticences des deux côtés. Frustrés par le sentiment d’être rejetés, toujours plus d’Allemands rentrent dans leur pays. Malgré la barrière de la langue, ils se sentent plus à l’aise en Suisse francophone.  

Philip Korn a vécu cinq ans à Zurich. Puis est venu pour lui le temps de rentrer. Ce ne sont ni le manque de relations sociales ni un quelconque ressentiment qui l’ont poussé à partir. Zurich était simplement devenue trop étroite à son goût. «Zurich est une super ville mais elle peut aussi être un grand village», explique ce mathématicien spécialisé dans l’économie de 37 ans. Soirées avec des amis au bord du lac, week-end à ski, «c’était une belle époque», se rappelle-t-il. En manque d’urbanité, il a toutefois déménagé à Londres en 2011. Désormais, il travaille à Berlin dans une startup. «Ici, on a théoriquement la possibilité de découvrir quelque chose de nouveau chaque week-end», note-t-il. Un élément qui lui a manqué à Zurich.

Après quelques années, Philip Korn s’est senti trop à l’étroit en Suisse. Petra Krimphove

Beaucoup de jeunes actifs professionnellement, comme Philip Korn, figurent parmi ceux qui ont tourné le dos à la Suisse. Leur carrière est plus internationale que celle de la génération de leurs parents. Lorsqu’ils trouvent un emploi ici dans le secteur de la finance ou de la santé, nombreux sont ceux qui ne prévoient pas de faire leur vie en Suisse sur le long terme. Ils veulent accumuler de l’expérience et profiter des salaires élevés. Ce n’était toutefois pas l’argument déterminant pour Philip Korn. «Dans le secteur des banques et de la finance, on gagne aussi bien dans d’autres pays», remarque-t-il. Zurich était pour lui une station intermédiaire avant de poursuive sa route.

Celui qui tombe amoureux reste

Lorsque les jeunes Allemands parviennent à se sentir à la maison en Suisse, l’amour a souvent joué un rôle. L’amour crée un lien émotionnel avec un nouveau pays, et il représente en même temps un billet d’entrée dans la société suisse. Qui fait partie d’une grande famille helvétique n’a pas besoin de se soucier de son intégration.

C’est l’histoire de Benjamin Schupp, qui est arrivé de Berlin en 2008 avec sa partenaire zurichoise. «J’avais envie de tester la vie en Suisse.» Aujourd’hui, il souhaiterait cependant rentrer en Allemagne si ses enfants, issus d’une relation désormais terminée, n’avaient pas leurs racines ici. La diversité culturelle et sociale de Berlin, ainsi que la manière directe et ouverte de communiquer lui manquent. Non, il ne ressent pas d’hostilité en Suisse mais une certaine distance subsiste… 

En tant que partenaire d’une Suissesse, ce n’était pas un problème pour lui de nouer des contacts à Zurich. Tous deux y avaient déjà un cercle d’amis lorsqu’ils sont arrivés. Au travail, Benjamin Schupp a cependant dû commencer par apprendre de nouvelles règles et mettre de côté les vieilles habitudes. Se serrer la main, se présenter, observer, se rappeler des noms. «Ici, tout se passe au niveau des contacts personnels», constate l’homme de 43 ans. Il sait désormais comment un Allemand doit se comporter pour ne pas se faire mal voir. Il ne se sent toutefois toujours pas vraiment à la maison, et il en va de même pour beaucoup de ses compatriotes. Ils rentrent dans leur pays, car leurs amis leur manquent.

Sur des forums internet, les Allemands racontent l’aversion non dissimulée, dont ils sont la cible. Des caissières dont le sourire se crispe lorsqu’elles identifient leur client comme allemand, des collègues qui restent à distance, ce qui semble encore être une version inoffensive du ressentiment. Toutefois, certains Suisses donnent aussi libre cours à leur mécontentement, dans l’espace anonyme d’internet. «Ils viennent ici, prennent nos emplois, encaissent tous les mois de gros salaires, mais continuent à faire leurs achats en Allemagne et se permettent encore de se lamenter», peut-on lire à propos des expatriés allemands. Ou encore: «Les frimeurs de la nation, qui jouent des coudes et utilisent le pouvoir des mots sans vergogne pour avoir leurs entrées en Suisse, où nous faisons preuve de réserve et d’humilité pour éviter les conflits.»

Il suffit parfois de se taire

Ne pas le prendre personnellement et ne pas se contenter de se lamenter dans son coin. C’est le conseil de certains Allemands à leurs compatriotes. Philip Korn a aussi ressenti les réserves des Suisses à l’égard des Allemands. Il a vu des Suisses qui se retiraient au comptoir lorsque des Allemands soi-disant trop bruyants étaient assis à côté d’eux. Ce n’est pas facile de se faire des amis en Suisse. Ils sont très réservés, confirme l’Allemand de Hambourg qui est lui-même très ouvert. Il n’a toutefois pas été offensé: «On n’est pas le centre du monde pour les autres.» La langue joue aussi un rôle important: «Je n’utilise pas le peu de dialecte Suisse alémanique que je sais.» Il estime que c’est une question de respect pour les Suisses: «Cela donnerait l’impression que je me moque.»

Les Allemands quittent la Suisse

Près de 300‘000 Allemands vivent en Suisse. Une étude de 2015 de l’Université de Vienne s’est intéressée à la manière dont ils se sont intégrés. Pour 41% d’entre eux, la Suisse est devenue leur patrie, alors que 40% ne se sentent pas vraiment ou pas du tout à la maison. Un tiers estiment ne pas être les bienvenus. C’est probablement pour cette raison que l’immigration de nos voisins allemands a diminué sensiblement. Depuis 2009, il y a plus d’Allemands qui quittent le pays que de nouveaux qui arrivent. Ils profitent de la reprise économique des dernières années et de la hausse des salaires dans leur pays. L’économie allemande vise spécifiquement un retour de son personnel qualifié. A l’argument économique s’ajoute un argument émotionnel: L’initiative sur l’immigration de masse et le climat politique augmentent le sentiment de ne pas être les bienvenus qu’on beaucoup d’Allemands. Pourtant, souvent, la décision de rentrer est simplement motivée par le mal du pays ou la nostalgie d’une culture plus familière.

Michael Wiederstein, 33 ans, est lui comblé par sa vie en Suisse. Le journaliste allemand est arrivé en 2010 à Zurich pour un stage au journal libéral «Schweizer Monatsheften» (aujourd’hui: Schweizer Monat). Depuis six mois, il en est rédacteur en chef. Son amie est zurichoise et ils ont deux enfants. Envisage-t-il de rentrer en Allemagne? «Non. Ma vie, ma famille, mon travail – tout est ici», dit-il. Sa partenaire et ses deux enfants ont le passeport suisse mais lui n’est pas double national. Il parle avec enthousiasme de Zurich et de sa qualité de vie, de son offre culturelle, de la perfection avec laquelle la vie publique fonctionne.

Il a essayé de ne pas se renfermer sur lui-même et a appréhendé avec flegme les réserves auxquelles il a dû faire face. «Il ne faudrait pas lier chaque remarque désobligeante à sa nationalité allemande», dit-il. Le conseil de Michael Wiedersteind: essayer l’humilité et d’abord écouter au lieu de prendre immédiatement la parole. Et surtout: apprendre à comprendre le Suisse allemand.

Pas très drôles

Il a toujours trouvé suspect le monde parallèle, dans lequel vivent beaucoup d’expatriés allemands. Il est allé une fois voir un match de football avec des compatriotes, avec qui il est entré en contact au travers d’un groupe Facebook destiné aux Allemands à Zurich. «C’était une soirée terriblement absurde», se rappelle-t-il. «Ils se sont beaucoup trop plaints pour moi, ils ont confirmé mutuellement leurs stéréotypes, racontant à quel point il était difficile d’être Allemand en Suisse.» Cela ne l’empêche pas d’apprécier que les choses soient un peu moins planifiées que dans son pays d’adoption, lors de ses visites régulières en Allemagne. Il trouve que de nombreux Suisses ne sont «pas particulièrement drôles», surtout en comparaison avec la région allemande de Rhénanie, où il a grandi et où les habitants sont réputés pour être particulièrement sociables. «A Zurich, tout le monde se retourne si on rit un peu fort dans le tram.»

«Les Suisses sont vraiment des bourreaux de travail. Pas de trace du confort et de la lenteur»
Katharina Wellbrock

Celui qui arrive dans un nouveau lieu doit se donner du temps et laisser du temps aux autres, estime Katharina Wellbrock (nom d’emprunt). Des amitiés et le sentiment d’être à la maison n’arrivent pas en une nuit. Cela prend du temps. Médecin, elle est arrivée à Bâle en 2015 par le biais d’une agence de recrutement et travaille dans une clinique psychiatrique. Katharina Wellbrock, 55 ans, a toujours un pied-à-terre à Berlin, où depuis 30 ans elle se sent à la maison et passe presque la moitié de son temps. Toutefois, elle considère qu’il est tout de même important qu’elle s’intègre à Bâle et qu’elle tisse des liens avec des Suisses. Elle a assisté à la réception de bienvenue de la ville et de son quartier, prend régulièrement l’apéro avec ses voisines et commence gentiment à développer des relations après 18 mois.

«Je m’étais imaginée que ce serait plus facile», admet-elle. A la clinique, elle n’a toutefois pas beaucoup de temps pour faire connaissance avec ses collègues. «Les Suisses sont vraiment des bourreaux de travail. Pas de trace du confort et de la lenteur», dit-elle en riant. En outre, les prix élevés des restaurants et des bars rendent les sorties dans les endroits publics plutôt rares. «Beaucoup de locaux ne peuvent pas se permettre de sortir aussi souvent que nous le faisons en Allemagne», remarque Katharina Wellbrock. Elle s’efforce ainsi d’être compréhensive envers le caractère réservé des Suisses. Néanmoins, elle trouve «dommage» de ne pas être accueillie avec la même amabilité qu’un Suisse, par exemple lorsqu’elle va acheter du pain. Cela contribuerait au sentiment d’être chez soi.

Genève est un terrain neutre

Il est presque ironique de constater que, malgré la langue commune, les Allemands se sentent davantage exclus en Suisse alémanique que dans la partie francophone du pays. La langue étrangère fait disparaître beaucoup de choses qui posent problème dans les relations entre Suisses alémaniques et Allemands: bon allemand et dialecte, l’attitude directe et la retenue, supériorité et infériorité linguistique.

«Ici, le fait que je sois Allemand ne joue pas de rôle», estime Anja von Moltke. Cette employée des Nations Unies de 47 ans vit depuis 1999 à Genève, avec quelques interruptions. Depuis le début, elle et son mari allemand ont essayé de ne pas rester dans la communauté internationale qui gravite autour de l’ONU. Leurs deux enfants vont à l’école suisse et pas à l’école allemande du lieu. Là, Anja von Moltke estime que ses compatriotes restent trop souvent entre eux. Son fils Jona joue depuis longtemps dans une équipe de football locale, alors que sa fille est active dans une société de gymnastique et prend des cours de musique. La famille a de proches amis du monde entier, parmi lesquels figurent aussi beaucoup de Suisses. Anja von Moltke note que Genève est culturellement plus proche de la France que Bâle ou Zurich. «Pour les Allemands, c’est pour ainsi dire un terrain neutre.»

(Adaptation de l’allemand: Katy Romy)

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