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Où est-ce que tout a mal tourné pour Credit Suisse?

Credit Suisse CEO Ulrich Körner
Ulrich Körner, CEO de Credit Suisse, dirige la restructuration de la banque. © Keystone / Michael Buholzer

Credit Suisse a enregisté une perte abyssale en 2022, conséquence de déboires financiers et d’une vaste restructuration. Portrait d’une banque internationale qui a perdu le contact avec ses racines suisses, dirigée par des personnes qui ont préféré le profit à la prudence.

Le numéro deux bancaire helvétique a enregistré une perte nette de 7,29 milliards de francs en 2022, la plus lourde depuis la crise financière de 2008, et après avoir déjà inscrit un résultat net négatif de 1,65 milliard en 2021, a annoncé l’établissement zurichois jeudi. Les actionnaires se passeront de dividende.

Que s’est-il passé?

Récemment, Credit Suisse est passé d’un scandale à l’autre: espionnage d’un ancien employé, condamnation pénale pour avoir permis à des trafiquants de drogue de blanchir de l’argent, implication dans une affaire de corruption au Mozambique, violation par un président des règles de confinement Covid et fuite massive de données sur les clients dans les médias.

La crédibilité de la banque a également été affectée par des investissements douteux dans la société financière britannique Greensill Capital et le fonds américain Archegos Capital Management, qui se sont tous deux effondrés en 2021. 

Les 10 milliards de dollars de fonds de clients investis dans Greensill ont peu de chances d’être récupérés dans leur intégralité. Et si elle n’a pas été la seule banque à perdre des plumes avec Archegos, Credit Suisse a subi des pertes bien plus importantes que ses rivales – 5,5 milliards de dollars.

L’Autorité suisse de surveillance des marchés financiers (FINMA) a reproché à la banque d’avoir délibérément ignoré plus de 100 signaux d’alarme alors qu’elle dansait au bord du gouffre à la recherche de profits fantômes.

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Comment cela est-il arrivé?

Avec le recul, il est facile d’identifier une culture du risque autodestructrice. Mais il est plus difficile d’expliquer comment cela a pu se produire, en particulier lorsque tant d’analystes rappellent que les risques étaient évidents à détecter.

Dans de telles circonstances, le doigt accusateur pointe vers la direction de la banque. Selon Oswald Grübel, ancien CEO de Credit Suisse, la déroute a commencé lorsqu’il a été remplacé en 2007 par le responsable américain de la banque d’investissement Brady Dougan.

«[La banque d’investissement] était la seule activité qui l’intéressait», a dit Oswald Grübel au quotidien Blick en octobre. «Il l’a développée parce que c’est là que les incitations financières sont les plus grandes. La banque privée et les activités centrées sur la Suisse n’étaient pas ses priorités».

Mais si les successeurs de Dougan ont prêché une plus grande responsabilité en matière de risque après son départ en 2015, cela ne semble pas avoir été mis en pratique.

Les responsables de la gestion des risques et de la conformité, embauchés bien après le départ de Dougan, font partie des cadres mis à la porte lors du dernier naufrage financier.

D’autres commentateurs accusent Urs Rohner, qui a présidé la banque entre 2011 et 2021.

Les conséquences

Au final, les pertes financières s’accumulent, le cours de l’action plonge, les clients fortunés s’en vont et la crédibilité de la banque s’érode rapidement.

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Credit Suisse fait tellement partie intégrante de l’économie suisse qu’elle est jugée «trop grosse pour faire faillite» par la FINMA.

Mais la banque a aussi une autre valeur importante, moins tangible. Elle a été fondée en 1856 par l’industriel iconique Alfred Escher pour aider à financer le réseau ferroviaire suisse, un élément crucial du boom industriel du pays.

Cela pourrait expliquer pourquoi tant de personnes en Suisse attribuent les difficultés actuelles aux excès financiers anglo-saxons, qui affaiblissent ses racines helvétiques.

La renaissance?

La nouvelle équipe de direction de Credit Suisse a lancé la banque dans une campagne de restructuration radicale qui prévoit la suppression d’une partie de ses unités de négoce les plus risquées, la suppression d’emplois et l’apport de capitaux supplémentaires, principalement en provenance du Moyen-Orient.

«La banque s’appuiera sur ses principales franchises de gestion de patrimoine et de banque suisse», a promis Credit Suisse en octobre 2021. 

«Nous resterons absolument concentrés sur la conduite de notre transformation culturelle, tout en travaillant à améliorer encore nos processus de gestion des risques et de contrôle», a dit son président Axel Lehmann.

Credit Suisse est donc à la croisée des chemins. Une formule que l’on a beaucoup entendue ces dernières années.

Traduit de l’anglais par Marc-André Miserez

Février 2020: le CEO Tidjane Thiam est contraint de démissionner au milieu d’un scandale sur l’emploi par la banque de détectives privés pour espionner un ancien cadre.

Mars 2021: Greensill Capital et Archegos Capital Management s’effondrent, exposant la banque à des milliards de pertes.

Avril 2021: le président de longue date, Urs Rohner (2011-2021), quitte son poste. Il avait annoncé son intention l’année précédente.

Octobre 2021: la banque est condamnée à une amende de 475 millions de dollars pour son rôle dans un scandale de corruption au Mozambique, dit des «tuna bonds».

Janvier 2022: le président de Credit Suisse, António Horta-Osório, est contraint de démissionner pour avoir enfreint les règles de confinement Covid lors d’une visite au tournoi de tennis de Wimbledon.

Février 2022: dans le cadre de la fuite dite «Suisse Secrets», les détails de 18’000 comptes clients sont communiqués aux médias par un lanceur d’alerte.

Juin 2022: Credit Suisse est la première grande banque nationale à écoper d’une condamnation pénale pour blanchiment d’argent en Suisse, en relation avec un réseau bulgare de trafic de drogue.

Juillet 2022: le PDG Thomas Gottstein est évincé et remplacé par Ulrich Körner.

Octobre 2022 : Körner et le président Axel Lehmann annoncent 9000 suppressions d’emplois et une injection de capital de 4 milliards de francs suisses.

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