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Secret bancaire: la Suisse évite la mise au pilori

Le secret bancaire est affaibli, ou même mort, jugent les commentateurs. swissinfo.ch

La presse helvétique salue dans son ensemble l'assouplissement du secret bancaire. Dictée par les pressions internationales, cette décision a une portée historique, estiment les commentateurs. Qui soulignent aussi que les autorités suisses sont en droit d'exiger des contreparties.

«Le secret bancaire est mort.» Noir sur blanc, le constat que fait Le Temps est à la une de tous les journaux suisses samedi. Unanimes, ils relèvent que la date du vendredi 13 mars 2009 n’aura pas porté chance à cette pratique ancrée dans l’histoire bancaire du pays.

Inscrit dans la loi fédérale sur les banques en 1934, le secret bancaire helvétique se caractérisait par la distinction qu’il permettait entre soustraction d’impôts (ou évasion fiscale) et escroquerie (ou fraude fiscale).

En décidant vendredi de supprimer cette distinction, le Conseil fédéral (gouvernement) a ouvert une «nouvelle ère», titre le quotidien bernois Bund.

Et il a surtout donné un gage de bonne volonté aux Etats voisins soucieux de mieux lutter contre la soustraction fiscale en période de crise, constatent, pas dupes, les éditorialistes. «Cette belle harmonie tient surtout à une crise mondiale (…) qui pulvérise les équilibres budgétaires des Etats», souligne ainsi le quotidien neuchâtelois L’Impartial/L’Express.

Quant à la crainte de voir la Suisse inscrite sur la liste noire des paradis fiscaux non-coopératifs tenue par l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), elle a également joué un rôle important dans cette décision. De fait, le Conseil fédéral «ne pouvait plus contrôler la dynamique internationale qui s’est mise en place» autour de cette problématique, observe le journal bâlois Basler Zeitung.

Un moindre mal

En faisant «une croix suisse sur le secret bancaire», comme l’écrit le quotidien vaudois 24 heures, la Confédération opère un «basculement historique», estime son confrère Le Temps. Car ce sont tout à la fois «la prospérité de la place financière, l’équilibre économique du pays, la conscience qu’il a de lui-même et son rapport au monde» qui sont touchés.

Cependant, «Hans-Rudolf Merz a lâché le minimum pour tenter d’éviter le pire», selon le quotidien fribourgeois La Liberté. La Tribune de Genève, pour qui «Berne a choisi entre la peste et le choléra», juge elle aussi que la Suisse s’en tire bien. «A comparer les concessions faites par de véritables paradis fiscaux – […] -, la Suisse a fourni hier le minimum syndical», estime le quotidien.

En Suisse alémanique, le Tages-Anzeiger pense également que faire un pas en direction de l’OCDE est un moindre mal. «En adoptant les règles de l’OCDE elle [la Suisse] ne se plie pas aux ordres d’une grande puissance mais reconnaît des valeurs définies globalement», note ainsi le quotidien zurichois.

Quelles conséquences?

Au niveau des conséquences de cette décision, les éditorialistes sont néanmoins divisés. Pessimistes, certains se demandent, comme celui du Quotidien jurassien, «si le geste suffira»: «la Suisse ne peut ignorer qu’elle s’expose à d’autres pressions et d’autres reculs», écrit-il.

Même son de cloche dans la Tribune de Genève qui se pose la question de savoir si «les assauts contre la Suisse prendront fin pour autant?» Parce que les «Etats voisins vont continuer à bouger les lignes à leur convenance, pour autant qu’ils engrangent des fonds». Dans ce contexte, la Suisse fait figure d’«ennemi extérieur, responsable de tous leur maux.»

Pour le journal tessinois Corriere del Ticino en effet, éliminer la distinction entre fraude et évasion fiscale n’est qu’«une stratégie pour gagner du temps», qui ne suffira pas à «résoudre le contentieux en cours.»

Plus optimiste, 24 heures pense au contraire que «le pas accompli hier pourrait bien placer la Suisse dans une meilleure posture» car la place financière helvétique pourrait en profiter pour se doter d’«éléments concurrentiels pour qu’elle puisse rivaliser à armes égales avec tout ceux qui rêvent de lui ravir sa place.»

Exiger des contreparties

Le journal bernois Berner Zeitung juge également que la Suisse ne doit pas se complaire dans la passivité mais rechercher des alliés en Europe. Un avis partagé notamment par la Neue Zürcher Zeitung Online.

Le Conseil fédéral «ne doit pas relativiser le secret bancaire sans contrepartie», estime l’éditorialiste zurichois, pour qui il faut négocier «en commun» avec d’autres Etats qui sont sous pression. Parce que, «si Singapour fait des concessions inutiles, celles-ci deviennent tôt ou tard le standard sur lequel la Suisse doit s’aligner», argumente-t-il.

Et Le Nouvelliste de réclamer une attitude offensive: «Maintenant que la décision de principe est prise, Berne a intérêt à mettre le turbo. C’est la meilleure façon de défendre la place financière suisse et de faire respecter la souveraineté helvétique», souligne le quotidien valaisan.

«La Suisse et ses alliés peuvent à bon droit exiger de leurs contempteurs qu’ils révisent leurs propres législations avant de se résoudre à d’autres concessions», renchérit Le Temps. Selon qui toutefois «le niveau d’optimisation fiscale toléré dans le monde dépendra moins de subtiles négociations juridiques que des rapports de force.»

La presse internationale en parle

Dans la presse internationale, l’assouplissement du secret bancaire suisse fait aussi parler de lui. Le Financial Times évoque par exemple le recul des paradis fiscaux après la capitulation helvétique et publie une carte où figurent 12 autres places financières concernées.

Autre quotidien britannique, The Independent souligne que la crise des crédits a obtenu de la Suisse ce que le monde a tenté sans succès depuis plus de 70 ans: qu’elle donne plus d’informations sur ceux qui se cachent derrière le secret de ses comptes bancaires.

En Allemagne, Die Welt assimile l’abandon du secret bancaire par la Suisse à une «sensation». Son commentaire souligne toutefois que les paradis fiscaux ne sont qu’un symptôme et que le problème principal reste la fuite des capitaux.

Après la décision de la Suisse, de l’Autriche et du Luxembourg, il ne demeure plus qu’une poignée de pays comme Gribraltar et Panama pour faire office de paradis fiscaux, se félicite l’International Herald Tribune.

Reste qu’aux Etats-Unis, d’où tout est parti, le New York Times demande des mesures supplémentaires du gouvernement américain et à l’échelon international afin de lutter contre l’évasion fiscale.

swissinfo, Carole Wälti

Lors d’une conférence de presse vendredi à Berne, le ministre des finances Hans-Rudolf Merz a annoncé que Le Conseil fédéral veut reprendre les standards de l’OCDE dans le cadre de la coopération internationale contre les délits fiscaux.

La Suisse pourra ainsi développer les échanges de renseignements, au cas par cas, en réponse aux demandes concrètes et fondées d’autres pays.

Hans-Rudolf Merz a néanmoins souligné que le gouvernement tient à maintenir le secret bancaire et rejette fermement l’échange automatique d’informations. La protection de la sphère privée des clients contre la consultation injustifiée d’informations sur leur situation patrimoniale est toujours garantie.

La décision de reprendre les standards de l’OCDE relatifs à l’assistance administrative en matière fiscale ne changent rien pour les contribuables résidant en Suisse.

La distinction entre l’évasion et la fraude reste valable en Suisse, a expliqué le ministre des finances. L’application interviendra dans le cadre des conventions bilatérales contre la double imposition, qui doivent encore être négociées.

Le 2 avril à Londres, les pays riches du G20 plancheront sur la crise du système financier international et sur les paradis fiscaux.

Aux Etats-Unis et au sein de l’UE, le secret bancaire et les pratiques liées à l’évasion fiscale de la Suisse, du Liechtenstein, de l’Autriche, du Luxembourg et de la Belgique sont attaquées.

La France a menacé de demander l’inscription de la Suisse sur une liste noire du G20. Paris et Berlin ont aussi proposé que les pays du G20 rompent les conventions bilatérales avec les pays «non coopératifs».

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