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Les salaires des conseillers municipaux sous le feu des critiques

Innenhof des Rathauses von Bellinzona
L'Hôtel de ville de Bellinzone: un lieu de travail vénérable avec des salaires controversés. Keystone/Karl Mathis

Les citoyens de Bellinzone votent ce week-end sur une hausse des salaires de leurs conseillers municipaux. La droite dure et l’extrême-gauche s’opposent à des rémunérations qu’ils jugent excessives. Ce vote reflète une tendance nationale: le travail politique dans les communes se professionnalise, les salaires augmentent mais la population n’est pas toujours d’accord avec cette évolution.

120’000 francs par an pour le maire de Bellinzone, 95’000 francs pour l’adjoint au maire, 80’000 francs pour les cinq conseillers municipaux – plus le remboursement des frais. Un vif débat fait rage en ce moment dans la capitale du canton du Tessin, au sujet des rémunérations des membres de l’exécutif municipal. Ces salaires sont-ils excessifs? Où sont-ils au contraire justifiés par le fait qu’il devient de plus en plus difficile de gouverner même une ville de taille moyenne?

«Ces rémunérations sont un passe-droit, même les tâches des conseillers municipaux ne sont pas prévues dans le règlement»
Tuto Rossi, UDC

La réponse tombera ce dimanche. Le référendum a été lancé par deux camps politiques opposés – la droite dure (UDC/Lega) et l’extrême-gauche -, qui ont réussi à récolter les 4000 signatures nécessaires à la tenue d’une votation populaire. «Un salaire de 12’000 francs par mois correspond au double du salaire médian au Tessin. C’est un non-sens», dénonce Angela Lepori, du «Mouvement pour le socialisme». «Ces rémunérations sont un passe-droit, même les tâches des conseillers municipaux ne sont pas prévues dans le règlement», déclare pour sa part Tuto Rossi, de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice).

Le maire de la ville, Mario Branda, du Parti socialiste, se bat personnellement pour ces nouvelles rémunérations. Sa charge de travail est estimée à 70%, celle de son adjoint à 60%. Il évoque les nombreuses et complexes tâches qui lui incombent ainsi que ses devoirs de représentation – souvent le soir. A la suite de la fusion de 13 municipalités de l’agglomération tessinoise, la ville de Bellinzone a récemment dépassé la barre des 43’000 habitants. En comparaison à d’autres villes de taille identique, les revenus des municipaux de Bellinzone sont plutôt inférieurs à la moyenne.

Par ailleurs, les personnes qui sont élues dans un exécutif municipal ne peuvent plus, ou seulement partiellement, exercer leur profession initiale. «De l’extérieur, il est impossible de se représenter les efforts qui se cachent derrière ces fonctions», affirme Fabio Käppeli, chef de groupe du Parti libéral-radical (PLR / centre-droit), qui soutient pleinement la nouvelle réglementation de la commune.

Mais au sein de la population, le débat est vif. La rémunération des élus municipaux est un sujet qui passionne, et pas seulement à Bellinzone. En mars 2015, par exemple, les citoyens de Lucerne ont décidé de réduire d’environ 20% les salaires des membres de l’exécutif de la ville. Ils ont approuvé à une très nette majorité (62,5% des voix) l’initiative baptisée «200’000 francs suffisent!»

Depuis, les salaires ont été plafonnés. Auparavant, un conseiller municipal lucernois gagnait 247’000 francs par an, le salaire du maire atteignant même 264’000 francs. Les rémunérations des conseillers municipaux de Lucerne se situaient ainsi dans la fourchette supérieure des villes suisses. A Zurich, le peuple a refusé en l’an 2000 de limiter ces rémunérations à 200’000 francs.

«De l’extérieur, il est impossible de se représenter les efforts qui se cachent derrière ces fonctions»
Fabio Käppeli, PLR

De grandes différences

En tout état de cause, la différence est énorme d’une ville et d’une commune à l’autre. Dans les grandes villes comme Zurich et Lausanne, les salaires des maires s’élèvent à près de 300’000 francs, pour un travail à plein temps.

Reste que des villes plus petites se montrent également généreuses avec leurs dirigeants. A Sion, par exemple, une commune qui compte 34’000 habitants, le maire perçoit 275’000 francs par an. Vernier, une commune de taille comparable située dans le canton de Genève, ne rétribue pour sa part son maire qu’à hauteur de 100’000 francs. La différence entre ces deux communes est donc supérieure à 170’000 francs, comme le montre une enquête approfondie réalisée par la Radio télévision suisse (RTS)Lien externe.

Un patchwork

«La situation en Suisse ressemble à un patchwork», affirme le politologue Oscar Mazzoleni, directeur de l’Observatoire de la politique régionale de l’Université de Lausanne. Certaines tendances se dégagent toutefois, comme la professionnalisation croissante de la politique et l’augmentation des salaires.

En d’autres termes, contrairement à la tradition tant vantée du système de milice, les postes à responsabilité dans les communes sont de plus en plus souvent exercés à temps plein et contre rémunération, plutôt que sur une base accessoire et non payée.

La politique devient une profession. En Suisse orientale, les postes de conseillers municipaux sont même présentés sous la forme d’une offre d’emploi. Le peuple a montré à plusieurs reprises qu’il ne voulait pas d’excès dans la politique salariale. En règle générale, c’est l’UDC qui se fait le porte-voix de cette exigence de modération. A Bellinzone, la droite conservatrice a toutefois trouvé un allié à l’extrême-gauche pour faire valoir ses revendications. 

Vers un parlement professionnel

Une certaine méfiance de la population suisse à l’égard des politiciens professionnels se manifeste également au niveau national. Le 27 septembre 1992, le peuple a ainsi refusé une réforme du Parlement qui prévoyait, en plus d’indemnisations plus élevées, un crédit de 24’000 francs pour l’engagement d’assistants parlementaires.

Les membres du Parlement sont toutefois parvenus à améliorer progressivement leurs conditions de travail. Une étude mandatée par l’Assemblée fédérale et publiée en mai 2017 par l’Université de Genève a conclu que les conseillers nationaux consacraient en moyenne 87% de leur temps de travail aux activités parlementaires, un taux qui s’élève à 71% pour les conseillers aux Etats.

Cette évolution fait l’objet de critiques répétées: «Au niveau communal, le parlement de milice est une bénédiction, au niveau cantonal un avantage mais au niveau fédéral une fiction», affirme par exemple le politologue Claude Longchamp. Il en appelle à une transition vers un parlement professionnel au niveau national. Une exigence qui n’a toutefois pas réussi à s’imposer jusqu’ici.

Traduit de l’allemand par Samuel Jaberg

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