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Des outils suisses pour les chercheurs d’or péruviens

Des mineurs péruviens préparent un jet hydraulique de fortune dans la région de Madre de Dios, où le gouvernement péruvien a déclaré illégales toutes les mines informelles. Keystone

Une équipe de la Haute Ecole d’ingénieurs de Neuchâtel travaille au Pérou sur des techniques d'extraction d'or moins polluantes. Les mineurs locaux, mis sous pression par les autorités péruviennes, sont associés à la démarche.

Wanamei, dans la mythologie des indiens Huachipæri, c’est l’arbre de vie, celui qui a sauvé leur peuple de la mort quand la terre était dévastée par le feu et les eaux. Mais Wanamei, c’est aussi un projet mené par l’unité de recherche en anthropotechnologie EdanaLien externe de la Haute Ecole d’ingénieurs Arc, à Neuchâtel, pour accompagner, sur mandat de Terre des hommes Suisse, des communautés d’orpailleurs péruviens dans le processus visant à légaliser leur activité et à améliorer leurs techniques de production.

Anthropotechnologie? Pas besoin de partir en courant devant ce mot barbare. En fait, la professeure d’ergonomie Carole Baudin – coordinatrice de Wanamei – et son équipe n’ont pas juste travaillé sur des outils et des techniques. Il s’agit en fait «de comprendre d’abord le contexte et les besoins des mineurs, puis de valoriser leurs savoirs avant de concevoir, avec eux, des technologies permettant d’améliorer leurs conditions de travail et de vie», explique la professeure.

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«Ils sont à bout»

Pas question d’imposer aux orpailleurs péruviens des concepts clés en mains à l’occidentale: «Ils connaissent très bien l’or qu’ils exploitent, et leurs techniques sont le fruit d’une expérience qui remonte, pour certaines familles, à 30 ou 40 ans de travail d’extraction dans la région.» Carole Baudin a mené sa première mission dans la région amazonienne de Madre de Dios en 2011. Elle a effectué de nombreux autres séjours depuis et s’y trouve d’ailleurs actuellement.

«Depuis que le prix de l’or a atteint des sommets, en 2010, la région a été prise d’assaut par des dizaines de milliers de mineurs illégaux», relève-t-elle. «L’environnement a été sévèrement pollué, et le gouvernement est sous pression. Des organisations internationales exigent des mesures, et les filières d’or équitable veulent des techniques de production propres.» Du coup, les autorités péruviennes ont serré la vis, promulguant toutes sortes de lois compliquées, voire contradictoires.

Les orpailleurs ne savent plus sur quel pied danser. Ils veulent être légaux et reconnus, mais ils n’ont plus le droit d’utiliser leurs appareils. Le gouvernement veut par exemple interdire l’usage du mercure, toxique à la fois pour les mineurs et pour l’environnement, mais il n’existe pas d’alternative valable. «Ils sont à bout. Ils ont l’impression qu’on les considère comme des illégaux, alors que la plupart sont natifs de ce territoire», constate Carole Baudin.

Le financement du projet est assuré par la fondation Cartier Charitable jusqu’en 2015 à travers le programme global mené par Terre des hommes Suisse intitulé «Droit de l’enfant en zones minières». Et après? Le relais devra être passé localement: «Une équipe a été constituée sur place pour que le travail puisse continuer», précise Carole Baudin. Des contacts ont aussi été pris avec le lycée technique de Puerto Maldonado, la grande ville à proximité, ainsi qu’avec le gouvernement régional. 

Un savoir à reconnaître

Une partie de son travail a été, dans un premier temps, de reconnaître le savoir des mineurs. Evident? Pas forcément: «Ils ont été assez décontenancés par notre approche, sur le fait que nous souhaitions communiquer sur leur savoir-faire.» D’ailleurs, les tentatives d’améliorer certaines techniques ont toujours impliqué les communautés de mineurs. Ceux-ci ont même eu le dernier mot dans certains cas. Ils ont par exemple estimé qu’une des techniques proposées pour l’extraction de l’or n’était pas assez performante.

Des raisons culturelles peuvent aussi expliquer le refus de nouvelles techniques, ou alors le maintien d’anciennes: «Les communautés ont un autre rapport au mercure. La plupart des habitants de ces régions en prennent contre la diarrhée, et certains pensent qu’il peut guérir des problèmes de l’âme. Pour eux, ce n’est pas le poison qu’on décrit.» Ils ne sont pas pour autant insensibles aux problèmes de pollution. Le recyclage du PET est ainsi déjà largement pratiqué par certains. Côté pollution, le mercure n’est pas seul à provoquer des dégâts: hydrocarbures et détergents utilisés dans le processus font aussi des ravages.

L’équipe interdisciplinaire de Carole Baudin, qui comprend des ethnologues et des ingénieurs, a travaillé sur trois étapes de production: l’extraction de la terre aurifère, le lavage et l’amalgamation, avec des résultats encourageants.

Un mineur péruvien présente un amalgame de mercure et d’or provenant d’une mine illégale. Keystone

Récupérer les vapeurs de mercure

Un exemple d’amélioration de l’outil de production? La «retorta». Cette sorte d’alambic permet de récupérer les vapeurs de mercure utilisé pour l’amalgamation. En effet, la plupart des chercheurs d’or utilisent encore du mercure pour amalgamer les poussières d’or. L’amalgame obtenu est ensuite chauffé à environ 400 degrés, ce qui conduit à l’évaporation du mercure. La vapeur peut être ensuite distillée, c’est-à-dire condensée et récupérée après son évaporation, dans cette fameuse «retorta». Le problème est que celle-ci est souvent défaillante, et que les mineurs respirent malgré tout à pleins poumons les vapeurs toxiques qui s’en échappent.

L’équipe de Carole Baudin a donc travaillé à une nouvelle retorta. «Ce sont d’ailleurs les orpailleurs eux-mêmes qui nous l’ont demandé, pour prouver à leurs autorités qu’ils veulent vraiment faire des efforts», relève la professeure. L’idée a notamment été de travailler avec de l’acier inoxydable, et de concevoir un couvercle étanche Mais ce métal ne se trouve pas facilement dans la région. «Pour toutes les techniques que nous avons tenté d’améliorer, nous avons à chaque fois été confrontés à ce problème: la fabrication des outils doit pouvoir se faire avec les matériaux que l’on trouve localement, et qui sont souvent rudimentaires.» Au final, l’idée est de partager le plus largement possible ces nouvelles techniques.

La retorta revisitée a ainsi passé de communauté en communauté. Une fois que toutes les améliorations possibles auront été faites, plans et techniques seront partagés, par exemple sur internet, afin que tous les orpailleurs puissent, s’ils le souhaitent, la fabriquer. «Notre but n’est évidemment pas d’en faire le négoce», sourit Carole Baudin.

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