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UBS mise sur la sellette par la justice américaine

Après la crise du «subprime», UBS se retrouve à nouveau au centre de turbulences en provenance des Etats-Unis. Keystone

Le groupe bancaire suisse est soupçonné d'aider de riches clients à cacher des millions de dollars d'avoirs et à frauder le fisc américain.

Les pressions s’accentuent pour qu’UBS révèle les noms des clients américains de ses services de gestion de fortune. Le Ministère américain de la Justice veut cette liste et l’a dit vendredi à une délégation de l’Office fédéral de la justice (OFJ) et du Département fédéral des finances (DFF) venue à Washington à la demande des Etats-Unis.

La liste comprendrait jusqu’à 20’000 noms. Parmi eux, celui d’un milliardaire qui, l’an dernier, a reconnu devant la justice américaine qu’il avait fraudé sur sa déclaration d’impôts de 2002. L’homme était l’un des clients d’UBS où il était conseillé par un cadre américain de la banque qui travailla à Genève de 2001 à 2006.

Jeudi, c’est cet ex-collaborateur d’UBS qui a rompu la loi du silence entourant les affaires bancaires suisses et la gestion des grandes fortunes internationales.

Devant le juge William Koch du Tribunal fédéral siégeant à Fort Lauderdale en Floride, ce banquier de 43 ans a raconté comment il conseillait à ses clients originaires des Etats-Unis de dissimuler leurs avoirs au fisc américain.

Des diamants dans le tube de dentifrice

Parmi de nombreux subterfuges, il est même allé jusqu’à utiliser de l’argent liquide de l’un des ses clients super-riches pour acheter des diamants qu’il a ensuite cachés dans un tube de dentifrice avant de les apporter aux Etats-Unis!

L’accusé «va dire tout ce qu’il sait sur ce qui se passe à UBS», déclare Danny Onorato, l’avocat de l’ancien employé. L’avocat américain affirme que son client n’était pas le seul agent de l’évasion fiscale à UBS et que la banque suisse encourage ce genre de pratique. «Les gens d’UBS savaient exactement ce qui se passe», dit-il.

Pour sa part, le Ministère public américain accuse UBS d’avoir violé un accord avec les Etats-Unis qu’elle avait signé, ainsi que la plupart des autres banques suisses, et qui l’obligeait à déclarer les revenus imposables de ses clients américains. Selon le procureur, UBS voulait «empêcher la perte de 20 milliards de dollars qui étaient sous sa gestion et qui rapportaient à la banque 200 millions par an».

D’après le New York Times, qui cite des enquêteurs américains s’exprimant sous couvert de l’anonymat, le Ministère de la Justice estimerait le montant des impôts ainsi impayés à 300 millions de dollars.

Nouvel embarras pour UBS

L’affaire est un énorme embarras pour UBS, le numéro mondial de la gestion de fortune, qui connaît déjà passablement des revers à la suite de crise du «subprime» aux Etats-Unis. La crise du marché du crédit à haut risque a en effet coûté plus de 37 milliards de dollars à UBS.

Face aux pertes enregistrées par ses activités de banque d’investissement, UBS veut se recentrer sur la gestion de patrimoine, mais sa présence à la une de l’actualité lui vaut la méfiance de nombreux super-riches qui préfèrent la discrétion. Au premier trimestre, UBS a ainsi constaté un reflux d’argent nouveau de plus de 12 milliards de francs suisses, contre un afflux de plus de 52 milliards il y a un an.

Depuis son siège américain à New York, UBS affirme qu’elle «prend les enquêtes en cours avec le plus grand sérieux». Outre le Ministère américain de la Justice, la Commission américaine des opérations en Bourse enquête sur les services fournis par UBS à ses clients originaires des Etats-Unis.

Dans un communiqué, UBS ajoute qu’elle «abordera et corrigera, de manière appropriée et responsable, tout problème soulevé par les enquêtes» et qu’elle se tient prête, le cas échéant, à «prendre les mesures disciplinaires adéquates». UBS ne souhaite pas faire d’autres commentaires. Cependant, la banque a souvent assuré qu’elle collaborerait avec les autorités américaines, tout en respectant le secret bancaire qui prévaut en Suisse.

Cinq ans de prison

De son côté, l’ex-employé sur la sellette collabore étroitement avec les autorités américaines. Son avenir en dépend. Sa sentence doit être prononcée le 13 août. En plaidant coupable, il a renoncé à un procès en bonne et due forme, et risque 5 ans de prison et 250’000 dollars d’amende. Il table sur une recommandation du Ministère public au magistrat qui, seul, pourrait lui éviter l’incarcération.

«L’accusé participe à une enquête nationale sur des questions de fraude fiscale et cette affaire enverra un message très retentissant à ceux qui dissimulent de l’argent dans des comptes off-shore pour ne pas payer les impôts qu’ils devraient», indique déjà le procureur qui, s’il juge sa «participation» assez «importante», pourrait proposer une réduction de peine.

Un ressortissant suisse est également pressé de collaborer par les autorités américaines. Il s’agit de l’ancien supérieur de l’accusé à UBS. La police américaine l’a brièvement arrêté et détenu récemment, avant de lui interdire de quitter le territoire des Etats-Unis.

swissinfo, Marie-Christine Bonzom à Washington

La délégation de l’OFJ et du DFF actuellement à Washington tentera de définir si l’affaire relève d’une évasion ou d’une fraude fiscale.

La distinction entre les deux a des conséquences directes en matière d’entraide judiciaire.

L’évasion fiscale, qui consiste à ne pas déclarer des revenus au fisc intentionnellement ou par omission, n’est pas considérée comme un crime en Suisse. Elle ne justifie pas la levée du secret bancaire.

Par conséquent, la Suisse n’accepte par principe aucune demande d’entraide judiciaire d’un gouvernement étranger pour ce qui touche à l’évasion fiscale.

En revanche, la fraude fiscale, qui consiste à tromper le fisc en falsifiant des documents, peut être poursuivie pénalement. Dans ce cas, le secret bancaire peut être levé par un juge suisse compétent et l’entraide judiciaire accordée.

L’action UBS a fait les frais vendredi des aveux de l’ex-employé de la banque. A la clôture de la Bourse suisse, elle affichait une plongée de 3,27 points pour s’établir juste en dessus de la barre des 23 francs.

Le titre a également signé la plus forte baisse d’un Swiss Market Index (SMI) lui-même en contraction de 1,25%.

Selon les opérateurs, les histoires d’investigations en provenance des Etats-Unis ne laissent rien présager de favorable. Un courtier déclarait ainsi: «Tout ça n’est pas bon. Pas seulement pour UBS. Les autres banques ainsi que toute la place bancaire suisse vont en souffrir.»

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