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La poussée nationaliste relance le débat européen

Selon Ioannis Papadopoulos, dans le nouveau Parlement européen, le centre droit et le centre gauche continueront à être les acteurs-clés, même s’ils ont perdu des sièges. rts.ch

Au-delà de la sanction pour certains gouvernements, les élections européennes ont contribué à relancer le débat sur l’intégration européenne. Et cela surtout grâce aux partis eurosceptiques, souligne le politologue Ioannis Papadopoulos.

Après le choc provoqué dimanche par les scores de l’extrême droite, en particulier en France, les dirigeants européens ont lancé mardi soir une consultation sur les nominations à la tête des institutions européennes et sur les priorités de l’Union européenne (UE) pour les 5 prochaines années.

Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, en a donné la liste : croissance, compétitivité, emplois, fonctionnement de l’union monétaire, lutte contre le changement climatique, projet d’une union de l’énergie, lutte contre l’immigration illégale.

Politologue à l’université de Lausanne, Ioannis Papadopoulos, analyse les nouveaux rapports de force politiques au sein de l’UE et leurs retombées pour la Suisse.

swissinfo.ch : Peut-on mettre tous les partis eurosceptiques dans le même panier ?

Ioannis Papadopoulos: Les eurobaromètres montraient déjà qu’avec la crise notamment, la perception de l’UE était globalement devenue beaucoup plus négative ces dernières années. Il y a bien un euroscepticisme diffus ou plutôt un esprit critique à l’égard de Bruxelles dans la population en Europe.

Dans certains pays, mais pas tous, les formations eurosceptiques ont connu des succès importants à l’occasion de ces élections. L’Allemagne par exemple n’a pas connu un tel phénomène. Le score de l’Alternative für Deutschland est beaucoup moins important que celui du UKIP au Royaume uni.

De plus, ces partis n’ont pas les mêmes positions. Le parti UKIP est clairement pour la sortie de l’UE, alors que le Front national est plus ambigu. Mais il est plus ouvertement xénophobe que l’UPIK. Ces partis ne forment pas un courant homogène sur le plan européen.

Les dirigeants européens ont décidé mardi 27 mai de revoir les priorités de l’UE. Et ce pour répondre à la vague europhobe des élections européennes avant de nommer le prochain président de la Commission.

Les chefs d’Etat et de gouvernement des 28 ont donné mandat au président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, de  «conduire des consultations avec le Parlement européen, les différents groupes parlementaires dès qu’ils seront constitués », ainsi qu’avec les dirigeants eux-mêmes.

Elles doivent porter “sur les nominations”, à commencer par celle du président de la Commission, et sur les “priorités” pour les cinq prochaines années.

M. Van Rompuy a souligné qu’il avait rencontré Jean-Claude Juncker, le candidat du Parti populaire européen (PPE, centre-droit), la formation arrivée en tête des élections. Mais le choix du prochain chef de l’exécutif européen est encore loin d’être acquis.

Fort de la position de premier parti du nouveau Parlement, avec 213 sièges sur 751, le candidat du PPE revendique le poste. Mais il lui faut former une majorité, et la seule possibilité pour l’atteindre est une grande coalition avec les socialistes (191 sièges), avec l’apport probable des libéraux (64).

Plusieurs dirigeants de droite refusent de le soutenir: le conservateur Britannique David Cameron et le libéral néerlandais Mark Rutte, mais aussi des chefs de gouvernement PPE comme le Hongrois Viktor Orban, le Suédois Fredrik Reinfeldt et le finlandais Jyrki Katainen, selon plusieurs sources européennes.

Source : AFP

swissinfo.ch : Le message des électeurs lors de ces européennes est-il comme par le passé en priorité à usage interne ou vise-t-il également l’Union européenne en tant que telle ?

I.P. : Cela dépend vraiment des pays. En France, le message est largement à usage interne. Au Royaume-Uni, UKIP n’est pas le seul parti eurosceptique. Le parti conservateur et ses électeurs le sont largement aussi. 

Vous avez aussi des pays où la confiance dans les institutions européennes a beaucoup diminué avec la crise, sans pour autant connaître un grand succès des partis nationalistes de droite, comme le Portugal ou l’Espagne.

swissinfo.ch : Mais ces élections montrent une défiance commune à l’égard des institutions européennes ?

I.P : Oui, mais c’est un très petit dénominateur commun, et dans le nouveau Parlement européen, le centre droit et le centre gauche continueront à être les acteurs-clés, même s’ils ont perdu des sièges.

swissinfo.ch : Lors de ces élections, lors du vote en suisse contre l’ « immigration de masse », certaines de ces formations nationalistes ont brandi le drapeau suisse. La Suisse a-t-elle joué un rôle dans la montée de cette vague eurosceptique ?

I.P : Je ne pense pas que la politique suisse soit tellement connue de l’électorat européen pour que cela lui serve de modèle. Par contre, certains de ces partis aiment bien le modèle suisse.

Cela dit, même si les référendums sur l’intégration européenne ne sont pas aussi fréquents dans les pays membres de l’UE qu’en Suisse, ils sont beaucoup plus nombreux que par le passé. Et ces référendums, que ce soit en France, aux Pays-Bas ou en Irlande montrent une population divisée comme en Suisse.

swissinfo.ch: Assistons-nous, comme en Suisse, à une polarisation du champ politique en Europe ?

I.P. : Je ne le crois pas. D’abord parce que certains systèmes sont à la base bipolaires comme en France ou au Royaume-Uni. En outre peu de pays connaissent une forte polarisation, les forces principales restent au centre droit ou gauche. Ces partis ont connu des pertes, mais pas dramatiques.

swissinfo.ch: Mais en France, on assiste bien à un effondrement des partis traditionnels !

I.P. : En effet. Mais il s’agit d’élections européennes et non nationales, donc sans impact direct sur la formation du gouvernement.

swissinfo.ch: Les européennes font donc office de défouloirs ?

I.P. : Il en a toujours été ainsi. Les politologues qualifient ces élections de deuxième ordre, comme d’ailleurs les élections régionales. Le vote y est plus expressif et elles font office de test de popularité pour les gouvernements nationaux, ce qui constitue d’ailleurs un problème puisque ce sont avant tout des enjeux nationaux et pas européens qui y sont débattus.

Cela dit, la situation a évolué ces dernières années. Ces élections restent un moyen de sanctionner les gouvernements nationaux. Mais avec les effets de la crise économique, on a aussi parlé d’Europe, sous l’impulsion, en premier lieu, des partis critiques de l’Europe.

Nous assistons à une politisation des enjeux de l’intégration européenne. C’est une conséquence intéressante de la montée des partis nationalistes.

swissinfo.ch: Pour expliquer ce vote, y a-t-il d’autres raisons que celles liées à la crise économique ?

I.P. : Il y a aussi une peur de perte de souveraineté, le sentiment que les décisions se prennent loin des gens en invoquant la bureaucratie européenne, alors qu’il s’agit d’une petite administration équivalente à celle d’une grande ville. C’est un peu comme en Suisse, lorsqu’on dit « à Berne, ils font ce qu’ils veulent ».

Mais, une fois de plus, les motifs du vote varient beaucoup en fonction des pays. Nous voyons des pays du nord de l’Europe (Danemark, Finlande) avec des formations populistes et xénophobes dont les électeurs ne veulent pas payer pour les pays du Sud. Mais c’est pour d’autres raisons que l’extrême droite est forte en Hongrie ou en Grèce. Cela tient à la crise économique, mais aussi à un nationalisme diffus.

D’une manière générale, dans les pays du Nord, on dénonce l’UE pour ne pas perdre sa richesse, alors qu’au sud, c’est pour l’avoir perdue qu’on critique Bruxelles.   

swissinfo.ch : Doit-on s’attendre à un impact de ces européennes sur la Suisse ? L’UDC anti-européenne s’en trouve-t-elle confortée dans ses positions ?

I.P. : Pour l’UDC, il est plus facile d’afficher une parenté avec UKIP du Royaume uni qu’avec le Front national en France. L’UDC n’a pas intérêt à se réclamer de l’ensemble de ces partis nationalistes ou eurosceptiques.

De plus, ces élections européennes ne vont pas bouleverser le paysage européen. Les eurosceptiques restent minoritaires. C’est un mouvement hétérogène qui n’a pas nécessairement des alliés. Le centre de gravité du parlement reste au centre (droit et gauche).

En d’autre termes, le ton dominant de l’UE à l’égard de la Suisse ne va pas changer.

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