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Fierté helvétique, un tunnel au service de l’Europe

Moritz Leuenberger, un ministre aux anges swissinfo.ch

Le nouveau tunnel de base du Gothard constitue «une grande contribution à la construction des infrastructures européennes», affirme le conseiller fédéral Moritz Leuenberger. Un projet qui suscite tant d’admiration à l’étranger qu’il en rougit presque. Interview.

Moritz Leuenberger quittera le gouvernement à la fin de l’année. Elu en 1995, il a toujours dirigé le ministère de l’Environnement, des Transports, de l’Energie et de la Communication. C’est dire si le chantier du Gothard, et donc son aboutissement, représente un élément phare de sa carrière.

swissinfo.ch: Que représente pour vous un tunnel?

Moritz Leuenberger: La victoire de la montagne, mais par en dessous. Je pourrais plaisanter sur la lumière au bout du tunnel ou sur le fait d’être devenu un ministre-tunnelier. Sachez que, pendant mes années passées au gouvernement, 115 tunnels routiers et ferroviaires ont été construits. J’espère bien ne pas en garder une vision de tunnel pour l’éternité.

Plus sérieusement, je ferai deux remarques: d’un côté il s’agit là d’un des mythes de la lutte de l’homme contre la montagne. Ce mythe survit aujourd’hui. Les constructeurs de tunnel parlent d’«attaque». C’est un langage guerrier. La montagne, c’est l’ennemi. Sainte Barbe doit protéger contre le danger, et il circule aussi des histoires de diable autour du Gothard, qui sont prises très au sérieux par les Uranais.

D’autre part, j’observe que de nombreuses régions veulent leur tunnel. On le constate par exemple lors des «courses d’école» du Conseil fédéral. Dans chaque région que nous visitons, il y a un maire qui se lève pour réclamer un tunnel à tout prix.

Cette demande devient peu à peu inflationniste et provient du fait que les gens veulent à la fois une grande mobilité et du calme. Pour beaucoup, la solution consiste à enterrer le trafic tout en évitant le bruit et les gaz d’échappement. Mais les tunnels coûtent extrêmement cher. Et les gaz ne disparaissent pas si facilement, ils vont se masser ailleurs.

swissinfo.ch: Quelle valeur revêt pour vous le tunnel de base du Gothard?

M.L.: Ce tunnel a une immense importance pour la Suisse et contribue considérablement à la construction des infrastructures européennes. Ce gigantesque chantier était un défi et un risque. Durant les quinze ans pendant lesquels j’ai défendu le projet au Parlement, j’ai entendu les mêmes voix sardoniques, sceptiques, qui prophétisaient l’échec.

Un tunnel ne peut être construit que s’il est percé… Auparavant, il y a de nombreux risques géologiques. Nous ne les avons pas cachés avant la votation populaire, mais les citoyens ont dit oui.

swissinfo.ch: N’avez-vous jamais craint que le projet fasse un flop?

M.L.: Il y a quinze ans, lorsque j’esquissais le projet sur la base de plusieurs études, pratiquement personne ne croyait qu’un projet aussi gigantesque et complexe serait réalisable avec quatre votations populaires. A l’époque, cela semblait irréaliste et futuriste.

Le travail politique ressemble à la navigation. Les vents changent constamment de direction et il faut en permanence reconstituer des majorités. A chaque fois, que ce soit pour les NLFA («Nouvelles lignes ferroviaires alpines», ndlr), la taxe poids lourds, l’accord sur le trafic routier avec l’UE ou le fonds servant au financement des projets FTP, nous avons réussi. Pour cela, j’ai dû moi aussi changer de cap et accepter des compromis.

swissinfo.ch: L’option la plus contestée a été ce qu’on a appelé la variante de réseau, soit un double corridor nord-sud avec chacun un tunnel de base à travers le Gothard et le Lötschberg. Comment jugez-vous, aujourd’hui, cette variante?

M.L.: C’est un grand succès. Avant la votation, les critiques portaient surtout sur le fait que la Suisse n’avait pas besoin du tunnel du Lötschberg. Aujourd’hui, trois ans après son ouverture, sa capacité atteint les trois quarts et, avec l’accroissement du transport de marchandises, elle atteindra bientôt les cent pour cent. Ce tunnel a changé la vie de nombreuses personnes. Aujourd’hui, Berne est à la portée des pendulaires de Brigue et l’inverse. Avec le tunnel de base du Gothard, il en sera de même entre Bellinzone et Lucerne. Cela va changer de manière décisive la structure sociale de la Suisse et mettre en valeur le sud du pays.

swissinfo.ch: Il y a eu, et il y a toujours, des voix qui affirment que les investissements ne seront jamais amortis.

M.L.: Quand ils ont voté, les citoyens et les citoyennes ne pensaient pas à la rentabilité des deux tunnels de base, mais au rapprochement entre régions et à la réalisation durable d’une mobilité croissante.

Un de nos principaux objectifs est le transfert de la route au rail, car si les gens et les marchandises circulent ensemble sur les routes nationales, les bouchons durent des heures, comme en Chine. Et nous devrions bétonner le pays avec de nouvelles routes, or il n’y a plus de place.

swissinfo.ch: Le tunnel du Gothard coûtera plus cher que prévu.

M.L.: Oui, mais pas parce qu’on a perdu le contrôle sur les coûts. Des tâches supplémentaires ont surgi, parce que le Parlement, sur la base de nouvelles connaissances et de nouveaux souhaits, a décidé d’un surcroît de travaux et, surtout, de nouvelles mesures de sécurité. C’est le cas par exemple du tunnel de base du Ceneri, qui sera finalement équipé de deux tubes.

swissinfo.ch: Ce tunnel est le chantier du siècle. Comment réagissent les pays voisins?

M.L.: Avec une admiration sans bornes. Parfois, j’en rougis presque. Cette admiration porte non seulement sur les NLFA, mais aussi sur le fonds d’infrastructure qui nous permet de financer les projets de métros et de routes d’agglomération avec les impôts sur les huiles minérales.

C’est-à-dire que notre politique se finance elle-même alors que, dans d’autre pays, la politique des transports est un sujet permanent de friction entre le ministre des Transports et celui des Finances. Ceci aussi est une innovation.

Moritz Leuenberger (1946) a dirigé le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et des communications de 1995 à 2010. Il quitte le gouvernement à la fin octobre.

La politique des transports et le domaine qui lui a offert ses succès majeurs. Il a notamment conclu avec l’Union européenne un accord sur les transports terrestres qui envisage de transférer le trafic de marchandises de la route au rail.

Les Nouvelles lignes ferroviaires à travers les Alpes (NLFA), avec les tunnels de base du Lötschberg (inauguré en 2007) et du Saint-Gothard (2017) est le plus grand projet lancé par le ministre, qui a réussi à en assurer le financement (environ 20 milliards de francs) via quatre votations populaires.

Il a complété le réseau autoroutier suisse, notamment le contournement de Zurich (2009), mais n’a jamais jugé opportun de doubler le tunnel autoroutier du Gothard

Il a été critiqué pour sa gestion du dossier sur le trafic aérien, en particulier en ce qui concerne le contentieux avec l’Allemagne sur les vols d’approche vers l’aéroport de Zurich.

Les tunnels de base du Gothard (terminé fin 2017) et du Ceneri (2019) forment une ligne ferroviaire ultramoderne qui atteint au maximum 550 m d’altitude (1150 m actuellement).

Le trajet du nord au sud de la Suisse sera plus plat, plus court de 40 km, et donc plus rapide. Les trains marchandises pourront quant à eux être plus longs, deux fois plus lourds qu’actuellement (4000 tonnes) et deux fois plus rapides (16m km/h).

Avec le tunnel de base du Lötschberg (ouvert en 2007), ces deux tunnels sont l’élément central des Nouvelles Lignes Ferroviaires Transalpines et l’un des plus importants chantiers du monde.

Le coût total devrait atteindre les 18 à 20 milliards de francs (9,74 milliards pour le seul Gothard).

Traduction de l’allemand: Isabelle Eichenberger

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