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L’avenir incertain du rail à l’horizon 2030

Toujours plus de trains, toujours plus de passagers. Keystone

L’Office fédéral des transports et les Chemins de fer fédéraux (CFF), ont dévoilé vendredi le bilan de l’exercice 2009. Récemment, les deux institutions présentaient l’état des lieux des grands chantiers ferroviaires du futur. Leur vision de la situation est loin de faire l’unanimité.

A l’avenir, la Confédération devra pouvoir compter sur un réseau ferroviaire toujours plus efficace et moderne. Pour atteindre cet objectif, l’Office fédéral des Transports et les CFF, sur mandat du Parlement, ont élaboré le projet intitulé Rail 2030, dévoilé à la fin du mois de mars dernier.

Le document prévoit deux variantes visant des investissements respectifs de 21 et 12 milliards de francs. Dans leurs points essentiels, ces deux études s’articulent sur une augmentation du nombre de trains sur l’axe Est-Ouest et, pour la partie plus onéreuse, sur des travaux d’amélioration des transports publics régionaux dans les agglomérations et les zones rurales.

En attendant la présentation du bilan 2009, le CEO des CFF, Andreas Meyer, s’est exprimé dans les colonnes du quotidien tessinois La Regione: «Il est de l’intérêt économique du pays – et à plus forte raison pour une nation où le tourisme représente l’un des principaux piliers de l’économie – de disposer d’un réseau ferroviaire performant. C’est pourquoi, nous ne pouvons pas nous limiter à entretenir l’infrastructure existante, mais nous devons aussi penser aux besoins des générations futures», a-t-il déclaré.

Cette stratégie d’avenir est cependant encore loin d’être tranchée comme telle. Après avoir entendu les cantons, le Gouvernement suisse soumettra au Parlement l’une des deux variantes, ou peut-être même les deux. Ce devrait être chose faite dans le courant de 2011.

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Le coût global des projets réclamés par les cantons avoisine les 40 milliards de francs. Mais seuls ont été sélectionnés ceux considérés comme étant les meilleurs sous l’angle du rapport coûts-bénéfices, qui concernent le plus grand nombre d’usagers et dont les réseaux ont d’ores et déjà atteint la limite de leurs capacités.

Les principaux travaux nécessaires pour garantir une augmentation de la capacité sur l’axe Est-Ouest sont à prévoir sur le Haut Plateau, où pourront circuler des rames plus longues et plus élevées. Les 12 milliards de francs devraient notamment permettre l’aménagement de nouvelles voies entre Genève et Berne et dans la région zurichoise.

Quant à la variante à 21 milliards de francs, celle-ci se concentre sur d’autres projets prioritaires, dont le renforcement du trafic de marchandises sur l’axe Nord-Sud, soit du Tessin et des 13 cantons membres du comité du Gothard, de même que l’aménagement complémentaire d’AlpTransit au sud de Lugano et le contournement de Bellinzone, pour éviter une surcharge de la ligne existante.

Question d’argent

«Il y a un espoir concret de parvenir à inclure ces projets dans le paquet Rail 2030, à condition que les Chambres fédérales décident d’approuver un financement qui passerait à 30 milliards de francs», fait remarquer Remigio Ratti, professeur d’économie des transports et ancien député au Parlement fédéral. Selon lui, les 21 milliards de francs prévus ne suffiraient pas, puisque la seule ligne Lugano-Chiasso exige un investissement de 5 milliards de francs.

Face à l’ampleur de telles sommes se pose bien sûr la question du financement des projets. Le scénario de ces dépenses milliardaires pousse d’aucuns à demander un temps de réflexion. C’est notamment le cas d’économiesuisse, la Fédération des entreprises suisses.

Dès lors, où trouver l’argent nécessaire ? Les solutions esquissées sont nombreuses. Comme celles d’augmenter le coût des billets, d’augmenter la TVA ou d’introduire une taxe sur la mobilité. Pour Andreas Meyer, il faut impérativement réaliser des économies et augmenter la productivité, en acquérant du matériel roulant plus efficient, mais sans démanteler les emplois ni baisser les salaires.

Financement mixte

Selon le professeur Ratti, l’un des articles de la Constitution helvétique, dont il avait été l’auteur en 1989 (contre l’avis du gouvernement de l’époque), et qui prévoit la possibilité d’un financement public-privé, même au niveau européen, offrirait une solution originale.

«Pour financer les grands projets ferroviaires, le Conseil fédéral peut faire appel aux possibilités d’un financement complémentaire privé ou réalisé grâce à des organisations internationales», dit l’article 196, paragraphe 3 lettre f de la Constitution.

Le chercheur désigne en outre deux autres modalités possibles pour compléter l’ouvrage d’AlpTransit: «Augmenter le crédit disponible et comptabiliser une partie de l’investissement au titre d’assainissement des agglomérations», suggère-t-il.

Position privilégiée

Et si le complément d’aménagement d’AlpTransit, requis par le canton du Tessin et les autres cantons de l’axe du Gothard n’était pas réalisable ? «Fort heureusement, grâce aux tunnels du Gothard et du Monte Ceneri qui vont révolutionner la mobilité, les perspectives à l’horizon de 2020 sont très bonnes» [puisqu’il faudra à peine 1 heure 30 pour relier Bellinzone à Zurich, 12 minutes seulement pour le trajet Lugano-Bellinzone, ou encore une vingtaine de minutes pour se rendre de Lugano à Locarno]», explique le professeur Ratti.

Selon le chercheur, le cas échéant «les pénalisations ne se manifesteraient que suite à une augmentation du trafic. De plus, il serait dommage de renoncer à relier la ligne suisse à haute vitesse au réseau de transport lombard d’ici 2030-2040, en vue de la création d’un grand espace métropolitain transfrontalier avec la Suisse, et qui placerait le Tessin en position privilégiée».

Andrea Clementi, swissinfo.ch
(Traduction de l’italien, Nicole della Pietra)

Les CFF ont transporté 327,5 millions de passagers en 2009, soit une hausse de 1,5% par rapport à 2008.

Ils dégagent un bénéfice de 369,8 millions de francs, en progression de 7,2%. Ce résultat a été obtenu notamment grâce à la vente d’immeubles qui a rapporté 239,3 millions.

La ponctualité s’est améliorée: 88,2% des passagers sont arrivés à l’heure ou avec un retard de moins de 3 minutes, contre 85,4% en 2008.

Au cours de son assemblée générale, au début du mois d’avril dernier, le Comité du Gothard n’a pas épargné ses critiques à l’égard des priorités établies par la Confédération et les CFF dans le cadre du projet Rail 2030.

A cette occasion, les représentants des cantons de l’axe du Gothard «ont exprimé leur déception et leur réprobation face à l’approche unilatérale des projets, qui n’avantage que l’axe Est-Ouest».

De la sorte, on «renonce au concept d’AlpTransit et la capacité de l’axe ferroviaire de transit principal est écartée». Le Comité s’oppose fermement au démantèlement du trafic régional et à la diminution de la qualité de vie pour la population des cantons du Gothard.

Des deux variantes avancées, le comité estime que seule celle entrainant un financement de 21 milliards de francs pourrait être envisagée.

Remigio Ratti est né en 1944. Après ses études à Fribourg, Trieste et Leeds, le Tessinois obtient l’agrégation en économie internationale au degré universitaire. Professeur d’économie régionale des transports, il a dirigé d’importants projets de recherche du Fonds national suisse.

Remigio Ratti a aussi été directeur de la Radiotélévision suisse de langue italienne et membre du comité directeur de SSR idée suisse de 2000 à 2006. Le Tessinois enseigne aux universités de Fribourg, de la Suisse italienne ainsi qu’à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Il préside aussi la Communauté de radiotélévision italophone.

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