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Barrage d’Ilisu: l’UBS jette l’éponge

Le site archéologique d'Hasandkeyf serait englouti si le barrage était construit. Keystone Archive

La banque se retire du barrage d'Ilisu, en Turquie. Elle constate que le projet piétine. Et admet qu'il pose trop de problèmes sociaux et écologiques.

«Ce projet est en train de piétiner, les retards s’accumulent et rien n’avance, explique Cédric Dietschy, porte-parole de l’UBS. D’autre part, aucune des garanties que nous avions demandé sur les mesures d’accompagnement sociales et écologiques ne nous ont été fournies de manière satisfaisante».

Au secrétariat de la Déclaration de Berne, on est ravi. Depuis des années, cette ONG suisse se bat aux côtés des organisations locales et internationales qui dénoncent ce projet pharaonique.

«Nous saluons la décision de l’UBS et nous espérons qu’elle est une conséquence de nos campagnes», se réjouit Christine Eberlein, coordinatrice des programmes «Relations financières internationales» à la Déclaration de Berne.

Plus rien de suisse

Avec le retrait du numéro un bancaire helvétique, le projet d’Ilisu n’a définitivement plus rien de suisse. Au départ, les groupes technologiques ABB et Sulzer y étaient engagés, mais tous deux ont depuis revendu leurs secteurs hydroélectriques à l’Autrichien VA-Tech et au Français Alstom. Et ceux-ci peinent à trouver des investisseurs.

Cette recherche de fonds était précisément le travail de l’UBS, qui assurait en outre le rôle d’expert financier pour le projet.

«Je pense qu’ils se sont rendu compte à quel point l’affaire était risquée», avance Christine Eberlein. Et de rappeler que les institutions financières internationales classent la Turquie sur la liste des pays à très hauts risques.

L’année dernière, un groupe italien et un britannique se sont déjà retirés du consortium chargé de construire le barrage d’Ilisu. En invoquant en gros les mêmes raisons que celles qui motivent aujourd’hui la décision de l’UBS.

Cédric Dietschy ne cache pas que les éléments financiers ont joué en faveur du retrait. Mais il attribue un poids au moins égal aux facteurs sociaux et environnementaux. «Nous avons une charte qui nous oblige à respecter l’environnement, tant dans nos activités propres que dans celles que nous soutenons», rappelle le porte-parole de l’UBS.

Un vrai rouleau compresseur

Le projet d’Ilisu, il est vrai, n’a rien pour attirer les sympathies. Situé en plein territoire kurde, ce barrage sur le Tigre devrait inonder plus de 300 km2 de terres et engloutir 50 villages et 15 petites villes, dont le site archéologique d’Hasandkeyf, l’un des plus anciens de la civilisation mésopotamienne.

Les estimations varient quant au nombre d’habitants à déplacer. La fourchette va de 40 000 à presque 80 000 personnes qui devraient partir à l’heure de la mise en eau du barrage. Et les précédents montrent qu’Ankara ne se soucie guère du sort de ces populations, à plus forte raison lorsqu’elles sont kurdes.

De plus, ce barrage donnerait à la Turquie le pouvoir de littéralement couper le robinet à ses voisins immédiats, la Syrie et l’Irak. Depuis des années, Bagdad proteste en vain contre la construction d’Ilisu.

Selon un avis de droit demandé par la Déclaration de Berne, ce projet – s’il se réalise – viole allègrement un certain nombre de règles communément admises du droit international public.

Et ce n’est pas tout: comme la plupart de ces barrages géants, celui d’Ilisu est de nature à bouleverser complètement l’équilibre écologique de toute une région. Ses promoteurs ont d’ailleurs reconnu eux-mêmes que le lac de retenue réduira la qualité des eaux du Tigre et favorisera le développement de la malaria.

Toutes ces objections n’avaient pas empêché la Confédération de promettre en son temps la garantie des risques à l’exportation aux firmes suisses engagées à Ilisu. Un «oui» de principe qui est toutefois resté sans suites, puisque ABB et Sulzer n’avaient jamais réussi à trouver des partenaires financiers prêts à se lancer dans l’aventure.

Marc-André Miserez

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