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Les assureurs doivent accepter les sans-papiers

Malgré le rappel à l'ordre de l'Office des assurances sociales en décembre dernier, les assureurs rechignent à affilier les sans-papiers.

Quant à l’octroi de subventions cantonales pour réduire les primes, il n’est en discussion qu’en Romandie.

L’assurance maladie de base, la LAMal est obligatoire en Suisse depuis 1996. Mais jusqu’à présent, rares sont les sans-papiers qui ont pu contracter une assurance.

Et pourtant, ils y ont aussi droit légalement. Otto Piller, l’ancien chef de l’Office des Assurances sociales, l’a d’ailleurs rappelé dans une directive fin décembre 2002.

Il y souligne que «les sans-papiers qui résident en Suisse au sens de l’art.24 du Code Civil sont soumis à la LAMal». Pas question donc pour les assureurs de décider qui peut ou ne peut pas être affilié.

Les pieds au mur

D’ailleurs, ce droit vient d’être confirmé par un arrêt du Tribunal fédéral des Assurances sociales, l’instance suprême en la matière.

Mais pour l’instant, les assureurs ont du mal à avaler la pilule. A Fribourg, le Centre de contact Suisses-immigrés (CCSI) n’a réussi qu’à affilier une trentaine de sans-papiers auprès de quatre caisses-maladie.

Si en Suisse-romande, les caisses-maladie font contre mauvaise fortune bon cœur, en Suisse-alémanique, elles mettent carrément les pieds au mur. Toutefois, il semblerait qu’à Bâle et à Berne, ça commence à fonctionner.

Il n’empêche qu’à Berne, Mark Haldimann, membre du collectif local de soutien aux sans-papiers, peut témoigner des réticences des assureurs. Un sans-papier s’est vu systématiquement refuser par toutes les caisses, sauf une.

L’OFAS a d’ailleurs confirmé à swissinfo que des plaintes lui sont déjà parvenues. Ce qui prouve bien que cette directive n’est toujours pas respectée.

La réaction des assureurs

Les assureurs ont pris acte de la directive. Ce qui ne les empêche pas d’estimer qu’elle n’est pas applicable en l’état.

Nicole Bulliard, porte-parole de santésuisse, l’organe faîtier des assureurs, ne cache pas son embarras. A ses yeux, cette directive soulève trois problèmes.

Tout d’abord, les assureurs n’ont pas le droit de faire une enquête sur un sans-papiers car ils tombent sous le coup de la dénonciation.

Ensuite, comme il ne peut fournir d’attestation de séjour, les assureurs ne savent pas quelles primes appliquer. Car ces dernières sont cantonales.

Et enfin, en cas de contentieux, les caisses-maladies ne savent vers qui se tourner. Car elles sont tenues à la protection des données. Et ajoute Nicole Bulliard, la couverture de l’assuré demeure jusqu’à la fin de la procédure qui peut durer jusqu’à 600 jours.

Hormis les assureurs, la directive a aussi fait bondir le canton de Lucerne. Il a écrit à Pascal Couchepin, le ministre du Département de l’intérieur, pour contester la circulaire.

D’autres cantons suisses-alémaniques ont aussi manifesté officieusement leur désaccord. Alors qu’ils ont intérêts à voir les sans-papiers assurés puisque les factures médicales impayées leur incombent.

«Cela péjore tout le système, déclare encore Nicole Bulliard. 2% des primes payées solidairement par tout un chacun servent à couvrir les impayés».

Et pourtant, les sans-papiers sont en général de bons payeurs. Leur souci est, avant tout, d’éviter de faire des vagues. Pour ne pas attirer l’attention sur leur statut.

Des problèmes des subsides

Dans la pratique, beaucoup d’entre eux n’arrivent pas à payer leurs primes, avec un salaire de misère.

Comment peut-il en être autrement? D’ailleurs, un bon tiers des Suisses se font aider et obtiennent auprès des cantons des subventions. Alors que leurs revenus sont bien plus élevés.

Mais là aussi, difficile de rester dans l’anonymat et prétendre à une aide étatique, qui de surcroît se base sur la preuve du paiement des impôts.

Selon l’OFAS, tout assuré de condition modeste a droit aux subsides. La Confédération assume d’ailleurs les deux tiers des subventions, les cantons, le tiers restant.

Mais les cantons, qui distribuent cette aide, peuvent imposer des restrictions. Comme la condition que le sans-papier séjourne «régulièrement» dans son canton.

Enfants subsidiés

Il y a tout de même des cantons qui ont adopté une politique très ouverte face à cette question, surtout en Romandie.

On ne s’étonne alors guère que les cantons de Fribourg et Genève octroient sans problèmes des subsides aux enfants.

«Ils ont droit à la scolarité. Ils sont donc connus. Et c’est pourquoi nous avons limité les subsides aux enfants», affirme Ruth Luthi, la cheffe de la Santé et des affaires sociales du canton de Fribourg

Et afin de garantir l’anonymat des parents, le CCSI effectue les démarches en leur nom.

A Genève, si les sans-papiers réussissent à prouver qu’ils ont payé des impôts (prélevés à la source), ils peuvent demander des subventions. Et le législatif du canton de Vaud s’est à son tour penché sur le problème.

Mais une fois de plus, les sensibilités en matière de reconnaissance des sans-papiers diffère fortement d’un canton à l’autre. Et Outre-Sarine cette cause ne rencontre que peu d’échos.

Espoir d’une ligne commune

Toutefois, les collectifs de soutien aux sans-papiers gardent l’espoir que les cantons se mettent d’accord sur une politique commune. Comme ils l’ont fait pour la scolarisation obligatoire des enfants de sans-papiers.

Mais si certaines communes refusent encore de scolariser ces enfants-là, on peut bien imaginer qu’elles ne vont pas aider les sans-papiers à payer leurs assurances.

Et cela surtout dans un contexte d’augmentation constante des coûts de la santé. L’accès aux soins des sans-papiers est alors logiquement relégué en bas de liste des problèmes liés à la LAMal.

La Conférence des directeurs cantonaux des affaires sociales n’a en tout cas pour l’instant fait aucune démarche allant dans ce sens. Les dissensions entre les cantons à l’égard de la simple obligation d’affilier les sans-papiers sont déjà trop importantes.

«Cette question est par contre discutée au sein du GLAS, le Groupement latin des Assurances sociales, rapporte Ruth Luthi. Et je pense que nous pourrons trouver une harmonisation au niveau romand».

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