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Londres donne la chasse aux comptes en Suisse

Londres souhaiterait voir l'argent qui a échappé au fisc revenir dans ses caisses. Reuters

Le fisc britannique exploite des données dérobées à la filiale genevoise de HSBC pour faire la chasse aux contribuables indélicats. Dès 2013, l'accord Rubik, approuvé mardi par Bruxelles, devrait l'empêcher de mener de telles actions. Mais un certain flou subsiste sur son interprétation.

Un CD est arrivé entre les mains de l’administration fiscale britannique en juin 2010. Il contenait «6000 noms, tous mûrs pour être investigués», explique Dave Hartnett, secrétaire permanent de l’office chargé du revenu et des douanes (HMRC), cité dans un rapport sur l’évasion fiscale publié en mars par une sous-commission parlementaire britannique.

Une aubaine

Ces données concernent des citoyens britanniques qui possèdent un compte bancaire auprès de la filiale genevoise de HSBC. Elles ont été remises à Londres par les autorités françaises, qui les ont elles-mêmes obtenues de la part d’Hervé Falciani, un ex-employé de la banque.

Une aubaine pour les Britanniques qui cherchent à récupérer l’impôt sur les avoirs non-déclarés placés par leurs citoyens dans des centres offshore. «Nous avons écrit une lettre à 1000 de ces contribuables en décembre 2010, indique à swissinfo.ch Patrick O’Brien, porte-parole du HMRC. Quelque 90% d’entre eux nous ont répondu et nous allons envoyer 1000 missives additionnelles d’ici à cet été.»

L’ensemble des personnes mentionnées dans le CD auront été contactées «dans les six à neuf mois», selon Dave Hartnett, qui précise que l’administration fiscale a prévu d’encore accélérer le processus.

«Les lettres que nous avons envoyées contiennent des informations précises, comme le numéro du compte concerné et le nom de son détenteur, et invitent la personne à nous communiquer dans les 35 jours si elle est en règle fiscalement et, le cas échéant, à régulariser sa situation», précise Patrick O’Brien. En cas de refus de coopérer, le contribuable s’expose à une enquête pénale, à une amende qui peut atteindre 200% de la somme due et à ce que son identité soit rendue publique, ajoute le porte-parole.

Pêche aux renseignements interdite

En parallèle, l’administration fiscale britannique a également lancé environ 750 procédures civiles et pénales contre les cas les plus lourds contenus dans le CD fourni par les Français. Ce sont des personnes «qui sont connues de nos services car elles ont déjà commis un délit par le passé ou que nous considérons comme des cas à haut risque», détaille Mike Eland, le directeur de la compliance auprès du HMRC, cité dans le rapport de la sous-commission parlementaire.

Londres devra toutefois se dépêcher de boucler ce dossier, car l’accord fiscal Rubik conclu entre la Suisse et la Grande-Bretagne en octobre 2011 (puis sous une forme révisée en mars dernier) et qui devrait entrer en vigueur en janvier 2013, interdit ce genre d’opération.

A la place, il prévoit un mécanisme permettant aux autorités du Royaume-Uni de déposer 500 demandes de renseignements au maximum par année auprès des autorités suisses. Mais celles-ci doivent contenir le nom d’un contribuable britannique soupçonné d’évasion fiscale et se fonder sur des «faits plausibles», selon le texte de l’accord. Les pêches aux renseignements (fishing expeditions) sont exclues.

«Nous allons envoyer toutes les lettres avant l’entrée en vigueur de l’accord», confirme Patrick O’Brien. Il subsiste toutefois un certain flou autour de l’interdiction contenue dans Rubik. Côté suisse, on en fait une interprétation restrictive. «L’accord n’autorise ni l’achat, ni l’utilisation de données volées pour identifier des contribuables britanniques», indique Mario Tuor, porte-parole du Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales (SFI).

«Responsabilité» de pourchasser les fraudeurs

Les Britanniques en ont en revanche une compréhension plus large. «Le HMRC a la responsabilité d’utiliser tous les renseignements reçus pour lutter contre l’évasion fiscale, note Patrick O’Brien. Cela ne veut pas dire que nous allons activement rechercher des whistleblowers mais nous prendrons en compte l’information que de telles personnes pourraient nous livrer.»

Et de poursuivre: «La quantité et la qualité de ce type de données ne cesse de s’améliorer». Citée dans le rapport de la sous-commission parlementaire, l’administration fiscale britannique indique par ailleurs se «réserver le droit de poursuivre les personnes qui se livrent à une évasion fiscale à grande échelle.»

L’administration fiscale britannique a en outre obtenu 596 millions de livres (870 millions de francs) de la part de la Trésorerie en 2010 pour pourchasser les ressortissants britanniques qui cherchent à échapper au fisc. Une partie de cette somme sera consacrée à l’engagement de 100 enquêteurs spécialisés dans la traque des avoirs placés dans des centres offshore.

L’accord Rubik empêche effectivement la recherche «active» de données volées sur les clients de banques suisses, mais elle n’interdit pas explicitement leur utilisation, surtout si elles n’ont pas été obtenues contre paiement, confirme une source suisse proche du dossier sous couvert de l’anonymat. «Si les Britanniques reçoivent un CD dans leur boîte aux lettres sans l’avoir sollicité, rien ne les empêchera de s’en servir», dit cette source. Dans le cas des données dérobées à HSBC, les renseignements ont été fournis gracieusement par la France, sans que Londres n’ait à les réclamer, par le biais d’une convention de double imposition entre les deux pays.

Alors que l’Union européenne cherche à obtenir l’échange automatique d’informations sur les détenteurs de comptes bancaires non-déclarés en Suisse, plusieurs pays ont signé des accords avec Berne.

Surnommés Rubik, ceux-ci introduisent un impôt libératoire sur les avoirs tout en préservant l’anonymat de leurs propriétaires. Ils prévoient un versement unique pour solder le passé et une retenue annuelle à l’avenir.

Le premier accord a été conclu en septembre 2011 avec l’Allemagne. Le second a suivi un mois plus tard avec le Royaume-Uni. Une version remaniée de l’accord avec Berlin a été signée début avril 2012, mais le texte continue de soulever des oppositions dans les deux pays.

Le 13 avril 2012, l’Autriche est devenue le troisième Etat à signer un accord de type Rubik avec la Suisse. Des négociations sont en cours avec la Grèce et l’Italie serait aussi intéressée.

Ce mardi, la Commission européenne a donné son feuvert aux accords fiscaux suisses avec l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Ceux-ci sont «entièrement conformes avec le droit européen», a indiqué le commissaire chargé de la fiscalité Algirdas Semeta. L’accord avec Vienne est encore en cours d’analyse.

Fin 2006, l’informaticien franco-italien Hervé Falciani vole des données de 24’000 clients de la filiale genevoise de la banque HSBC. Il cherche à les monnayer au Liban, avant de fuir en France fin 2008 et de remettre ces informations aux autorités.

En août 2009, l’ex-ministre du budget Eric Woerth prétend disposer des noms de 3000 contribuables français détenant des comptes en Suisse, dont les avoirs atteindraient 4,5 milliards de francs. Paris remet les renseignements concernant leurs ressortissants à l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne, la Belgique, la Grèce et l’Italie.

En février 2010, le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie débourse 2,5 millions d’euros pour acheter un CD contenant des renseignements sur les comptes de 1500 clients de banques suisses, notamment de Credit Suisse. Cela donne lieu à l’ouverture de 1100 enquêtes et à la perquisition de 13 filiales de Credit Suisse.

En octobre 2011, la Rhénanie du Nord-Westphalie acquiert un nouveau fichier, luxembourgeois, pour 4 millions d’euros contenant des données sur 3000 clients allemands de HSBC. En février 2008, 4,5 millions d’euros avaient été déboursés pour une liste de 7000 clients de la banque liechtensteinoise LGT.

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