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Ses intimes l’appellent «Bullet»!

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Les passionnés de motos «Royal Enfield» se fournissent en Inde, là où la légendaire moto d'origine anglaise est aujourd'hui produite. Pour son importateur suisse, âgé de 72 ans, la «Bullet» reste la «meilleure moto du monde». Reportage à New Delhi.

«Bullet»… Une référence à la publicité «Made like a gun, goes like a bullet» qui accompagnait la sortie du premier modèle en… 1897! A l’origine développée par une usine d’armement anglaise, Royal Enfield, cette marque est aujourd’hui fabriquée en Inde.

C’est là-bas que les passionnés de vieilles mécaniques viennent trouver la moto de leurs rêves: un look rétro et pas un gramme de plastique embarqué.

Karol Bagh

C’est un quartier musulman loin des sentiers touristiques. Karol Bagh, au Nord de New Delhi, est un dédale de ruelles encombrées. Des dizaines d’artisans s’affairent au milieu de carcasses de scooters et de petites cylindrées japonaises. Mais si ce quartier est aussi couru par les amoureux de mécanique, c’est parce que c’est ici que se trouvent les meilleurs ateliers de réparation d’une moto mythique en Inde, la Royal Enfield.

Des acheteurs du monde entier s’aventurent jusqu’ici. Parmi eux, de nombreux Suisses passionnés de vieilles motos. «On revient d’une virée dans l’Himalaya avec une 500 cm3», racontent Eric et Gilles, deux Suisses de passage à New Delhi. «Ce sont des amis motards qui nous avaient recommandé cette moto, explique le premier, mais en fait, elle est encore mieux que ce qu’on pensait. Le bruit du moteur est incroyable et elle est super confortable.»

Dans la ruelle parallèle, sous la lumière blafarde d’un néon, une dizaine de motos occupent tout l’espace du minuscule atelier. «Elles sont toutes prêtes à partir pour Genève, explique Sony, le propriétaire des lieux. C’est un pilote de Swiss qui nous les a commandées. Pour lui, sa famille et quelques amis.»

Sorties d’un film

Peintures flambant neuves, chromes étincelants, selles en cuirs, les motos semblent sorties tout droit d’un film sur la seconde guerre mondiale… et pour cause, ce modèle indien – encore fabriqué aujourd’hui – est la réplique d’une moto anglaise des années 40.

«Les acheteurs la découvrent souvent pendant leur vacances et puis quand ils reviennent, ils nous les achètent pour les ramener chez eux», confie le chef mécanicien. «Pour celles-ci, on a pris des vieux cadres des années 60, 70 sur lesquels, on a mis des moteurs entièrement refaits à neuf. Comme ça, elles peuvent être homologuées comme moto de collection en Europe.»

Ce qui séduit les amateurs, c’est aussi le prix. «Pour le modèle Bullet 350cm3, vous en avez à partir de 750 ou 1000 francs suisses, détaille Mme Rana, passant d’un modèle à l’autre. Elle est la seule femme à tenir un atelier de Royal Enfield dans le quartier et c’est une redoutable vendeuse: «En revanche si vous voulez une 500cm3, c’est plus cher, parce qu’on n’en fait plus et que c’est très recherché. Comptez 2000 à 3000 CHF pour un bon modèle refait à neuf… mais attention, à ce prix-là, elle sera encore plus belle qu’une Harley Davidson.»

Il faut dire que les garages n’économisent pas sur la main d’œuvre. Pour moins de deux euros par jour, des dizaines de mécaniciens montent et remontent des moteurs jusqu’à ce que les machines rugissent au premier coup de démarreur. «En plus, on a absolument toutes les couleurs, continue Mme Rana, et si vous voulez, vous avez même la version side car.»

6000 kilomètres de bitume

Une fois achetée, la plupart des motos sont envoyées en Europe par bateau. Mais quelques propriétaires se lancent dans un périple beaucoup plus audacieux pour ramener leur nouvelle monture: prendre la route depuis l’Inde jusqu’en Suisse.

C’est ce qu’ont fait Marc Filippi et un ami, il y a cinq ans. «On a passé deux mois à New Delhi pour préparer nos motos. D’abord, on a fait le tour des petites échoppes et on a fini par choisir celle de Lally Singh qui semblait être le meilleur. Il nous a préparé deux Royal Enfield 500cm3. En cas de panne, on avait même emporté l’équivalent d’un moteur en pièces détachées mais au final, on n’a changé qu’une ampoule de phare pendant tout le trajet, s’amuse le Genevois. C’était presque frustrant!»

Mais ce qu’il ne savait pas, c’est que le plus dur restait à faire: convaincre les autorités suisses d’immatriculer la moto. «En Inde tout le monde vous dit ‘everything is possible’ (tout est possible) mais moi j’ai envie de répondre ‘not that easy in Switzerland’ (ndlr : c’est pas aussi simple en Suisse)!»

Depuis deux ans, Marc Filippi tente d’immatriculer son véhicule. «Je ne m’y suis pas mis à plein temps, mais même en faisant au plus vite, les démarches prennent au moins six mois. Et surtout, ça coûte cher, il faut racheter des pièces estampillées de la croix suisse auprès de l’importateur, comme le pot d’échappement. J’ai payé la moto 2000 francs, j’en suis déjà à 2500 pour l’homologation.»

Des motards à contre-courant

C’est pour éviter ce parcours du combattant que Pierre-François Brand a acheté sa Bullet directement chez Fritz Egli, le seul importateur officiel de Royal Enfield en terre helvétique. «Evidemment, je l’ai payée plus cher, 7000 francs, mais elle a un moteur allemand diesel qui consomme moins de deux litres au 100 kilomètres, il y en a moins de dix dans le pays.»

Extrêmement fier de son bolide rouge pétant, Pierre-François se décrit lui-même comme un farfelu dans le monde des motards: «La plupart veulent la dernière moto japonaise toujours plus puissante et plus rapide, alors que nous, on roule à peine à 90 km/h mais on recherche le plaisir de la balade et de conduire une belle anglaise… car en fait personne ne s’imagine qu’on conduit une moto indienne.»

Aujourd’hui, selon les mécaniciens d’Egli, il y aurait plus de 500 Royal Enfield en Suisse. «On en fait venir une vingtaine par an depuis 20 ans, explique Jürg Lindemann, le chef mécanicien de l’atelier, et chaque année on aide quatre ou cinq personnes à homologuer leurs motos. Mais là, on vient d’en vendre 35 en moins de trois mois! Royal Enfield nous a enfin livré son nouveau modèle à injection que beaucoup de nos clients attendaient.»

L’atelier est tenu par Fritz Egli, un amoureux de cette moto qu’il considère comme «la meilleure du monde». A 72 ans, il s’est déjà rendu deux fois dans les usines Royal Enfield dans le Sud de l’Inde. Ce passionné a même développé sa propre version de la moto: la «Super Bullet Egli», plus sportive et plus puissante… Fabriquée dans son atelier de Bettwil, en Argovie, cette cylindrée est aujourd’hui le premier exemplaire de Bullet suisso-indienne.

Miyuki Droz Aramaki et Sylvain Lepetit, New Delhi, swissinfo.ch

1897. Si l’ancêtre de la Royal Enfield est bien né en 1897, c’est en 1948 que sort en Angleterre la première version de la Bullet qui sert toujours de modèle aujourd’hui.

Police. La construction de cette moto s’arrête dès 1962 en Europe, elle va continuer en Inde où la moto s’impose comme véhicule officiel de la police et de l’armée indienne. Il est d’ailleurs fréquent de voir des policiers ou des gardes frontières indiens patrouiller en Royal Enfield.

Chennai. Aujourd’hui, la marque, installée à Chennai dans le sud de l’Inde, propose des modèles plus performants (abandon de la boîte de vitesse au pied droit à l’anglaise pour des boîtes au pied gauche comme dans le reste du monde) mais ils gardent globalement le même design que la Bullet originale.

Record. Cette pérennité fait que cet engin représente la plus longue chaîne de fabrication industrielle de l’histoire de la moto.

Diffusion modeste. Les Royal Enfield se sont vendues en millions d’exemplaires en Inde mais leur diffusion dans le reste du monde est restée une affaire de passionnés (environ 500 modèles en Suisse, aux alentours de 5000 en Europe).

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