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L’Afghanistan ne se résume pas à la burqa

Les filles en salle de classe. Taiba Rahim

Taiba Rahim, Afghane et Suisse, est l’une des cinq lauréates du Prix «Femmes exilées, femmes engagées», attribué mercredi soir et soutenu par la Ville de Genève. La Suisse pourrait selon elle faire encore plus dans la recherche d’une solution politique.

Présidente de l’association Nai Qala, dont le siège se trouve à Duillier près de Genève, Taiba Rahim gère des projets de construction d’écoles en Afghanistan depuis 2007. Elle est d’origine afghane et enseignante de formation. Elle a précédemment travaillé au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), en Bosnie-Herzégovine et en Afghanistan.

swissinfo.ch: Vous retournez souvent en Afghanistan pour vos projets. Quelle est la situation actuelle du pays?

Taiba Rahim: Le pays a traversé trente ans de guerre, presque une vie. La population en a été profondément affectée. Tous les problèmes découlent de cette situation. La sécurité représente le premier besoin des Afghans qui n’est pas satisfait actuellement.

swissinfo.ch: Au moment des élections présidentielles de 2009, vous vous trouviez en Afghanistan. Qu’avez-vous constaté?

T.B.: L’Afghanistan est un pays traditionnel avec une assemblée, le Loya Jirga, où les gens d’une région se retrouvent et prennent des décisions. Le système des élections est nouveau pour la population, mais elle s’est mobilisée. Les paysans quittaient leurs champs pour discuter des élections. Les femmes, même en dehors de Kaboul, se réunissaient pour en parler. Tous étaient conscients qu’il s’agissait de leur destin. Ce sont de grands changements positifs, malgré les problèmes des élections elles-mêmes.

swissinfo.ch: Que pensez-vous de l’aide internationale et de la position de la Suisse?

T.B.: La communauté internationale a une responsabilité morale vis-à-vis de mon pays. Ce n’est pas le moment d’abandonner. La Suisse pourrait faire encore plus pour l’Afghanistan en avançant des propositions pour une solution politique. Si les efforts militaires ne sont pas équilibrés par des progrès politiques, ce ne sera jamais réglé. Il nous faut un engagement fort et durable.

swissinfo.ch: Vous avez réussi à faire construire trois écoles dans votre région d’origine, dont l’une à Nai Qala, là où votre père est né…

T.B.: Au départ, je me suis donné deux défis. Le premier consiste à apporter ma contribution à l’évolution de mon pays. Que, moi, une femme de la région, j’aie discuté avec les autorités locales, centrales et les entreprises dans un pays traditionnel est signe d’un grand changement culturel.

Le second défi, c’est donner au monde une image positive et humaine de l’Afghanistan. Grâce à l’instruction, les Afghans pourront exprimer leur point de vue sur leur propre histoire. Les nouvelles générations le feront. Je suis persuadée que le pays évoluera par les femmes et les hommes afghans.

swissinfo.ch: Quels sont les signes d’une évolution positive dans le pays?

T.B.: Dès qu’on parle de l’Afghanistan, on ne voit que burqa, taliban et violence. La réalité, c’est qu’il y a une vie en Afghanistan. Comparé à il y a vingt ans, davantage d’enfants vont à l’école, malgré la difficulté. Les femmes sont plus actives dans la société. Beaucoup d’hommes ont été tués pendant la guerre ou ont disparu. Rien qu’à Kaboul, on estime à 50’000 le nombre de veuves. Elles ont charge de famille et de tout un clan.

swissinfo.ch: Quel est le sentiment des Afghanes sur les grands débats que provoque la burqa en Occident?

T.B.: Leur priorité, c’est l’accès à l’instruction et à la santé. La question de la burqa occulte et dévalorise leurs efforts pour se battre. C’est une tradition qu’il faut travailler à l’intérieur. Les femmes afghanes devraient se sentir encouragées par les femmes d’ailleurs, qui bénéficient des luttes des générations précédentes. Or, elles se sentent parfois incomprises ou jugées, alors qu’elles ont besoin de solidarité et de soutien moral. Les hommes aussi.

swissinfo.ch: Votre engagement et vos réalisations sont salués par un prix. Quelle est votre histoire?

T.B.: Je viens de la province de Ghazni, une région rurale très pauvre et isolée. Visionnaire et courageux, mon père a décidé de quitter sa région pour que ses neuf filles et garçons puissent étudier. Pour lui, c’était le seul moyen de sortir de la pauvreté extrême, de l’humiliation et de la discrimination. On s’est ensuite déplacé à Kaboul où j’ai pu terminer mes études universitaires.

swissinfo.ch: L’exemple de vos parents vous a inspiré dans vos projets?

T.B.: J’ai été enseignante. J’étais déterminée à faire vivre la vision de mon père en donnant la possibilité à des enfants de ma région d’origine de s’instruire. Depuis trois ans, j’ai commencé par un projet de construction d’école à Nai Qala. Grâce à cinq cents donateurs privés en Suisse, nous avons terminé l’école mixte pour un millier d’élèves. Aujourd’hui, 35 filles et garçons, ont obtenu un diplôme et se préparent à aller à l’université. Deux autres écoles ouvriront en 2010 pour un total de 1200 écolières et écoliers dans les villages de Sada et Gawmurda.

swissinfo.ch: Quel accueil la population a-t-elle réservé à l’école?

T.B.: Elle demandait une école depuis cinquante ans. Plus encore que l’école, son impact m’a impressionnée. C’était puissant. Pour la première fois dans l’histoire de la région, les parents ont libéré leurs enfants des travaux des champs ou de berger, pour qu’ils puissent étudier. Le vendredi, jour férié en Afghanistan, les femmes investissent l’école vide pour des cours d’alphabétisation.

swissinfo.ch: Quels sont vos nouveaux projets?

T.B.: Après la dernière école, j’ai un projet de clinique, car la mortalité des femmes après la naissance est très importante. Dans les statistiques de l’OMS, sur 100’000 accouchements, on compte en Suisse 5 décès de femmes. En Afghanistan le chiffre est de 1800. La clinique sera destinée aux femmes et aux enfants en-dessous de cinq ans.

Je suis fière, car ces projets sont faits avec des Afghans, par des Afghans et pour des Afghans.

Sima Dakkus, swissinfo.ch

Taiba Rahim, née en 1968, est originaire de la province de Ghazni.

De formation universitaire, elle s’est consacrée à l’enseignement, puis, suite à la guerre, elle a travaillé au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), en Afghanistan et en Bosnie-Herzégovine.

Elle est mariée à un citoyen suisse et mère de trois garçons.

Elle est installée en Suisse à Duillier (Nyon), près de Genève depuis 1998 et se rend plusieurs fois par année en Afghanistan pour ses projets.

Le Prix «Femmes exilées, femmes engagées», a été créé en 2001 par Madame Alba Viotto, d’origine italienne, militante des droits humains dans différents cadres.

Le prix est issu d’une initiative privée, indépendante de toute organisation et association.

Il bénéficie du soutien de la Ville de Genève et distingue chaque année des femmes exilées pour leur engagement, leur détermination et leur sens de la solidarité

L’association Nai Qala, du nom du village dont la fondatrice est originaire, a été établie et dûment enregistrée, conformément aux articles 60 à 79 du Code Civil Suisse.

Le siège de l’Association est à Duillier.

Nai Qala est une organisation exclusivement caritative et à but non lucratif.

La province de Ghazni se situe à l’est d’Afghanistan, sa population est estimée, en 2002 à 931’000 habitants. D’une superficie de 22’915 km2, elle a une histoire culturelle ancienne et très riche.

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