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L’apport de deniers privés dans le monde académique inquiète

Le campus de l Université de St-Gall
Le campus de l'Université de St-Gall en 2019. Keystone / Gian Ehrenzeller

L’information selon laquelle le géant de la banque Credit Suisse va investir des millions de francs auprès de l’université de Saint-Gall relance le débat: l’indépendance académique peut-elle faire fi de financements privés?  

Credit Suisse et l’Université de St-Gall (HSG), renommée pour ses chaires en droit et en économie, ont annoncé en mars dernier la conclusion d’un partenariat stratégique. La contribution de la banque atteint une hauteur de 20 millions de francs pour une durée de dix ans.  

La moitié de cette somme sera versée pour créer, au sein de l’alma mater, un Centre d’innovation pour les services de la finance (Center for Financial Services Innovation). Axé principalement sur les interfaces entre finance, gestion et droit, ce centre collaborera également avec d’autres chaires.

Dans un communiqué, le recteur de l’université de St-Gall, Bernhard Ehrenzeller, a déclaré: «En plus des financements publics, les collaborations avec des partenaires extérieurs facilitent la recherche internationale et l’enseignement, tout en entraînant la HSG vers le niveau d’excellence».

Se reposant sur les conditions de l’accord, l’université a encore souligné que ce partenariat n’affecterait ni l’autonomie dans la recherche ni l’enseignement lui-même. En conférence de presse, il a encore été ajouté que les affaires dans lesquelles Credit Suisse était actuellement lié – notamment le dossier de la faillite de la société Greensill – ne nuisaient en rien à la réputation de l’école.  

Aujourd’hui, cette université n’est de loin pas la seule à chercher des financements hors des circuits traditionnels. Le jour où ce partenariat était annoncé, l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) indiquait une extension de ses collaborations dans la recherche robotique avec le géant ABB.

En réalité, presque l’ensemble des dix universités et les deux écoles polytechniques fédérales que compte la Suisse bénéficient déjà de sponsoring, sous une forme ou une autre. Et cette tendance est actuellement à la hausse.  

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Les options manquent

Pourquoi donc les universités suisses sont-elles désormais à l’affût de moyens alternatifs pour se financer? Jouissant d’une bonne réputation internationale, attirant des étudiant·e·s et professeur·e·s du monde entier, elles dépendent cependant toujours des financements accordés par les cantons et la Confédération. Sans oublier que les frais d’écolage y sont relativement bas.

C’est l’un des nœuds du problème: l’argent public ne suffit plus pour assurer certaines tâches académiques. Le rapprochement entre l’Université de St-Gall et Credit Suisse en est un bon exemple. Et d’autres contributeurs privés pourraient suivre. Selon plusieurs experts, ces partenariats stratégiques donnent aux universités davantage d’autonomie pour fixer leurs priorités.

Leçon retenue

Au nom de la transparence, la HSG s’est empressée de rendre public en mars dernier cet accord. D’autres universités en ont déjà fait de même. En définitive, la leçon a été retenue après qu’un contrat a été tenu secret voici une dizaine d’années entre l’Université de Zurich et la banque UBS.   

Datant de 2012, cet accord portait sur une somme de cent millions de francs. Cet épisode a surtout mis en lumière l’actuel financement privé des universités et les efforts qu’elles devaient dorénavant consentir pour afficher aussi plus de transparence. Ainsi, l’université de Zurich rend public depuis 2019 l’ensemble des dons reçus de tiers.

Gare aux risques

Mais rien n’est pourtant jamais acquis. «Des risques persistent», estime pour sa part Markus Müller, professeur de droit à l’université de Berne et l’un des instigateurs du «Zürcher Appell», une pétition en ligne qui demande à ce que l’indépendance académique soit à l’avenir mieux protégée, au regard notamment de l’accord secret conclu jadis entre l’université de Zurich et UBS.

Des risques qui menacent non seulement l’indépendance dans la recherche, mais pourraient affecter aussi à long terme la réputation des hautes écoles.

Markus Müller prend l’exemple de Credit Suisse: un acteur important du marché mondial de la finance qui contribue substantiellement à l’existence d’un institut de recherches axant ses travaux vers un domaine concernant cette banque en particulier. De quoi créer une impression de dépendance, dit-il. Et difficile alors de dissiper certains doutes en dépit de toutes les garanties.

«Ce qui est écrit dans les contrats est une chose, mais l’impression que le grand public en retirera en est une autre. Pour la crédibilité de la recherche, cette dernière est cruciale», a-t-il déclaré à SWI swssinfo.ch par courriel.  

Il est probable que l’argent public fasse en effet défaut pour subvenir aux besoins de la recherche et par conséquent ces institutions doivent recourir au sponsoring. «Mais cet argument ne justifie pas qu’on attire des sponsors privés en prenant le risque de compromettre l’intégrité de la recherche», dit-il. Selon lui, deux options existent: «soit vous faites l’impasse sur de tels centres de recherche, soit vous cherchez des fonds qui ne sont pas toxiques».

Un potentiel à creuser

D’autres perçoivent en revanche dans l’apport du sponsoring «un grand potentiel encore inexploité». C’était l’avis exprimé en tout cas en 2018 par l’organisation faîtière economiesuisse, laquelle représente les intérêts du patronat et des entreprises. En Suisse, les fonds privés dans les universités représentent actuellement 17% de l’ensemble de leur financement, contre 14% en 2013 (voir graphique). Des taux en dessous de ceux enregistrés au Japon, aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, où cette pratique est établie.

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Pour Rudolf Minsch, président suppléant de la direction d’economiesuisse, le débat portant sur l’atteinte à l’indépendance des hautes écoles devra être résolu par une meilleure définition des rôles entre universités et entreprises.

«Les sponsors privés doivent accepter le fait que les résultats dans le domaine de la recherche peuvent difficilement être planifiables. Et que les chercheurs sont liés par des contingences scientifiques», a-t-il indiqué à SWI swissinfo.ch. 

«Les universités doivent de leur côté accepter qu’elles fournissent des connaissances importantes et bénéfiques au secteur de l’innovation en Suisse, base de notre prospérité. Dans le domaine des hautes technologies, l’objectif n’est pas de vouloir à tout prix créer des entreprises qui génèrent des revenus (spin-off). Mais un bon transfert des connaissances et une collaboration accrue entre hautes écoles et entreprises donnent souvent des résultats probants». 

(Traduction de l’anglais: Alain Meyer)

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