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L’ex-Secrétaire d’Etat Stuart Eizenstat s’explique

Pour Stuart Eizenstat, il est temps que les Suisses se fassent à l'idée que leur pays a joué un rôle ambigü durant la guerre. swissinfo.ch

Stuart Eizenstat défend la couverture controversée de son ouvrage sur le rôle de la Suisse durant la Deuxième Guerre mondiale.

Dans un entretien exclusif accordé à Robert Brooks de swissinfo, l’ancien Secrétaire d’Etat américain estime qu’elle est un reflet précis de l’histoire.

Pour Stuart Eizenstat, il y a malentendu. La couverture de «Imperfect Justice» n’est pas une attaque contre la Suisse.

La couverture en question – qui montre un drapeau suisse flanqué d’une croix gammée formée de lingots d’or – avait choqué la Suisse.

Au point que le ministre suisse des Affaires étrangères Joseph Deiss avait même envisagé d’actionner la justice pour stopper la publication de «Imperfect Justice», le livre de l’ancien Secrétaire d’Etat américain.

Le contenu de l’ouvrage lui-même porte nettement moins à controverse que sa couverture originale. Il s’attarde sur la question des comptes juifs en déshérence et décrit la lutte menée par les survivants de l’Holocauste pour recouvrer leurs actifs.

Une lutte dans laquelle Stuart Eizenstat a joué un rôle important. Et qui a débouché en 1998 sur la signature d’un accord global entre les banques suisses et les organisations juives.

swissinfo: Comment avez-vous ressenti la réaction de colère des Suisses face à la couverture de l’édition anglophone de «Imperfect Justice»?

Stuart Eizenstat: J’ai été blessé et peiné. Pour moi, cette couverture avait une signification claire. Elle évoquait le rôle joué par la Banque nationale suisse, qui a accepté du butin nazi sous forme de lingots d’or durant toute la guerre.

Le fait que cette couverture ait été interprétée comme une attaque contre la Suisse ou contre son drapeau m’a été très pénible. D’autant que j’ai une relation positive et de longue date avec la Suisse.

La nouvelle ministre suisse des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey estime que ce dossier est clos. J’en suis heureux.

Et l’ensemble des journalistes et des lecteurs suisses qui ont lu mon livre ont estimé qu’il était honnête et impartial.

Quant aux couvertures des versions allemande et française de «Imperfect Justice», elles seront totalement différentes de l’originale.

swissinfo: Il était prévisible qu’une croix gammée formée de lingots d’or sur le drapeau suisse allait enflammer les Suisses…

S. E.: Pas si on avait bien compris le but de cette illustration. Les lingots d’or sont, en l’occurrence, un symbole. Celui de la Banque nationale qui accepte de l’or volé durant la Deuxième Guerre mondiale et qui refuse de le rendre après.

Quoi qu’il en soit, la leçon a été rude pour moi. Lorsqu’on utilise un symbole sensible, il faut envisager le fait qu’il soit mal interprété.

swissinfo: Vous avez loué Jean-François Bergier pour son travail sur le rôle joué par la Suisse durant la guerre. Or, ce dernier juge fausse et outrageuse la couverture de votre livre qui suggère une complicité entre la Suisse et les Nazis…

S. E.: Le fait est que la Suisse a joué un rôle très ambigu durant la guerre. Il est temps que les Suisses se fassent, une fois pour toutes, à cette idée.

D’ailleurs, selon le rapport Bergier, la Suisse a bel et bien violé sa propre neutralité de façon répétée.

Comment? Notamment, en livrant des armes à l’Allemagne nazie, en recourant au travail forcé dans ses entreprises et, plus important, en acceptant de l’or dont elle connaissait l’origine.

Pour moi, les choses sont claires. Je respecte le travail de M. Bergier. Et je suis désolé qu’il ait une autre opinion sur cette question.

Le plus important, c’est que les gens lisent à la fois mon livre et le rapport de Jean-François Bergier afin qu’ils puissent se faire leur propre avis sur l’Histoire.

Et, à certains égards, je pense que les Suisses ont déjà commencé à le faire.

swissinfo: Dans votre livre, vous avez des mots très durs sur la «passivité» – comme vous l’appelez – du gouvernement suisse dans l’affaire des comptes dormants. Pourquoi?

S. E.: Dans les pourparlers que j’ai menés avec la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche et la France, le gouvernement suisse est le seul à avoir refusé de s’investir dans les négociations.

Le gouvernement allemand a négocié avec son secteur privé. Celui de la France a fait pareil. Et ils ont contribué de manière substantielle au règlement des plaintes collectives.

Dans le cas helvétique, les privés se sont retrouvés seul à devoir assumer l’accord, y compris le montant de la facture, soit 1,25 milliards de dollars.

Franchement, à propos de l’attitude de la Suisse durant la guerre, je crois que les critiques auraient dû être adressées à la Banque nationale suisse et pas aux banques privées.

Or, la BNS n’a contribué en rien au règlement de l’affaire. Pas plus que le gouvernement suisse. Qui n’a d’ailleurs même pas reconnu formellement l’accord global de 1998.

Interview swissinfo: Robert Brookes, Washington
(traduction: Pierre-François Besson)

– Stuart Eizenstat a joué un rôle clé dans la lutte menée par les survivants de l’Holocauste pour recouvrer leurs actifs.

– Il a notamment participé aux négociations avec la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche et la France.

– En 1998, cette lutte a mené à la signature d’un accord global entre les banques suisses et les organisations juives.

– Aux termes de cet accord, UBS et CSG ont accepté de verser 1,25 milliard de dollars dans un fonds d’indemnisation.

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