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La chasse aux abus dans l’aide sociale s’intensifie

D'un office à l'autre, les informations devraient circuler plus facilement... imagepoint

Le thème des fraudes a défrayé la chronique en Suisse ces derniers temps. Même si les estimations quant à l'ampleur de ce phénomène divergent, la pression politique augmente.

En plus du renforcement des contrôles, certaines voix demandent un assouplissement, voire une levée, de la protection des données.

Révélé par la télévision alémanique, le «cas BMW» a beaucoup fait parler de lui en Suisse cet été. Arrêté à Berne pour trafic de drogue, un Iranien percevait 2660 francs d’aide sociale. Il possédait en outre deux BMW.

D’autres cas ont été rendus publics, augmentant la pression sur les grandes villes surtout, puisque c’est là que résident majoritairement les tributaires de l’aide sociale. Signe que le sujet est devenu très sensible, plusieurs villes ont ainsi décidé de communiquer des données récentes sur les fraudes recensées.

A Zurich, 207 cas d’abus ont été décelés entre janvier et juillet 2007 pour un montant de 2,1 millions de francs. A Berne, 163’000 francs ont été perçus indûment sur la même période. Mais il s’agit là uniquement des cas d’abus les plus graves, poursuivis pénalement.

Enfin à Genève, l’Hospice général, en charge de l’aide sociale dans tout le canton, a mené 139 enquêtes plus fouillées pour irrégularités depuis le début de l’année.

Mais qu’est-ce qu’un abus?

«En termes strictement légaux, le chiffre de 2% de fraudeurs peut être considéré comme une estimation correcte. En termes plus larges, on peut estimer raisonnable une proportion de 5%», indique Walter Schmid, président de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS).

Il est rejoint par Michel Cornut, chef du service sociale de la ville de Lausanne, qui estime à 1-2% les cas d’abus graves. A ce propos, un différend a opposé cet été la Municipale responsable des affaires sociales de la ville de Berne, Edith Olibet, et l’ex-directrice du service social, Annemarie Lanker.

La première a estimé à 5-6% les tricheries dans l’aide sociale, alors que la seconde parlait de 10-20%. Au cœur du problème, la définition même de la notion d’«abus».

«Celui qui falsifie un document ou ne déclare pas un revenu risque une procédure administrative ou pénale, c’est clair», explique Walter Schmid, «mais la mère qui élève seule son enfant et touche une prestation qui pourrait être plus basse si elle prenait un appartement avec son ami, est-ce de la fraude?»

L’UDC dénonce les «faux assistés»

Autre question difficile, celle de savoir si la tendance à la hausse enregistrée ces dernières années en matière de dénonciations pénales reflète une augmentation des abus ou si elle résulte du renforcement des contrôles.

Professeure à la Haute école de travail social de Lausanne, Verena Keller souligne que l’aide sociale est une des tâches de l’Etat où le taux de contrôle est le plus fort. Selon elle, les fraudes sont «minimes et les montants négligeables en termes économiques.»

Un avis qu’est loin de partager l’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice), qui a imposé le thème des «faux assistés» sur la scène politique suisse. Son initiative «pour le renvoi des étrangers criminels» lancée en juillet inclut d’ailleurs l’abus social dans les faits justifiant un renvoi.

«Les socialistes et les Verts ont toujours dit que les cas d’abus étaient isolés. Or on constate aujourd’hui qu’ils sont très fréquents», déclare Roman Jaeggi, porte-parole du parti. Et de dénoncer une «surreprésentation des étrangers» dans toutes les assurances sociales.

Là où Verena Keller critique une «politique classique de bouc émissaire», Annemarie Lanker avait pour sa part reconnu dans une interview au quotidien bernois «Bund» que les 50 à 60% de bénéficiaires étrangers ne «comprenaient pas le système social suisse» et qu’ils étaient souvent «les premiers étonnés que l’argent coule si facilement.»

Critiques contre la protection des données

Malgré les positions divergentes, la plupart des acteurs concernés s’accordent néanmoins à dire qu’une meilleure circulation des données au sein du système social helvétique serait nécessaire.

Aujourd’hui en effet, il est théoriquement possible qu’un bénéficiaire de l’aide sociale perçoive en parallèle une allocation chômage. «Je ne connais aucun autre pays où la main droite d’un Etat ignore ce que donne sa main gauche», relève Michel Cornut.

Il estime pour sa part que «le cloisonnement entre les données fiscales, sociales, voire policières, va bien au-delà du but de la protection des données». Raison pour laquelle l’UDC a déposé une initiative cantonale à Zurich pour demander sa levée afin de combattre les abus. Une motion similaire a aussi été déposée devant le Parlement bernois.

«Pour nous, le débat politique actuel est l’occasion de réclamer plus de transparence. Ceci pas uniquement pour lutter contre les abus, mais surtout pour faciliter notre travail au quotidien», note Walter Schmid.

Quant à Verena Keller, elle y voit un risque important de dérive. «C’est donner le signe que les bénéficiaires de l’aide sociale peuvent être traités différemment des autres membres de la communauté. On souhaiterait le même système en matière par exemple de blanchiment!»

swissinfo, Carole Wälti

En Suisse, la Constitution fédérale légitime l’existence de l’aide sociale (articles 12 et 115). Ce sont cependant les cantons qui sont responsables de son organisation et de sa mise en œuvre concrète.

Les prestations d’aide sociale publique sont destinées aux personnes qui n’arrivent pas à subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille.

Les buts de l’aide sociale sont la garantie du minimum vital, l’aide à soi-même, l’encouragement de la responsabilité individuelle et de l’autonomie, la promotion de l’intégration sociale et de l’intégration professionnelle.

Environ 237’000 personnes ont touché des prestations d’aide sociale en Suisse en 2005 pour un total de 3,1 milliard de francs, selon les données les plus récentes de l’Office fédéral de la statistique (OFS).

Cela représente une augmentation de 8% par rapport à l’année précédente. Les adolescents, les jeunes adultes et les familles monoparentales sont surreprésentés parmi les tributaires. Les étrangers courent un risque plus grand de se retrouver à l’aide sociale.

Un quart d’entre eux vit dans les cinq principales villes de Suisse, à savoir Zurich, Genève, Bâle, Berne et Lausanne.

Pour 2006, l’OFS s’attend à une stabilisation, voire à une légère diminution en raison de la conjoncture économique favorable. Anticipant la statistique de l’OFS, quelques villes alémaniques ont tiré un bilan 2006 qui s’avère contrasté.

Zurich, Bâle, Schaffhouse et Winterthour ont par exemple enregistré une baisse du nombre de personnes dépendantes de l’aide sociale, alors que celui-ci a augmenté à Berne, St-Gall et Lucerne.

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