Des perspectives suisses en 10 langues

La monture Marlboro au pays des chevaux bais

Unique race suisse, le cheval Franches-Montagnes est toujours plus souvent marqué de blanc. Une pratique très tendance, qui suscite le débat chez les éleveurs.

Pour se donner un outil de gestion efficace, ceux-ci ont commandé une étude inédite sur la transmission génétique desdites marques.

Les Franches-Montagnes, hauts-plateaux situés dans le canton du Jura au Nord-ouest de la Suisse, ont quelques traits communs avec les terres du Montana ou du Wyoming. La paysage d’abord, le cheval ensuite.

Mais quand la monture «western» des uns présente souvent une robe pie (grandes taches), le Franches-Montagnes (FM) est classiquement un cheval bai, alezan ou noir, peu marqué.

Cette tradition a quasiment force de loi. Elle figure dans le règlement d’élevage sur lequel se sont entendus depuis longtemps les membres de la fédération d’élevage, unique représentant de la race reconnu par les autorités fédérales compétentes.

Pourtant, ces dernières années, les Franches-Montagnes marqués de blanc – voire pie – font des petits à travers les campagnes. Ils sont toujours plus nombreux et leurs taches plus importantes.

La ‘clientèle Marlboro’

Aucun hasard là-dedans. Conscients que l’hérédité a beaucoup à voir avec la transmission de ces marques, une partie des éleveurs les ont laissé gagner du terrain sur les robes unies. Car la «clientèle Marlboro» les apprécie beaucoup.

«J’appelle la clientèle Marlboro, ces gens qui aiment faire du loisir avec un cheval de cow-boy ou d’indien, sourit Luc Jallon, gérant de la fédération FM. Ils estiment être servis en tous points avec le Franches-Montagnes. Et, avec la robe pie, ils ont la cerise sur le gâteau.»

Mais le vers est dans la cerise. Car ces marques blanches entrent en contradiction avec le bien-être et la robustesse revendiquée du FM. Sous le blanc en effet, la peau apparaît dé-pigmentée, donc fragilisée.

Concrètement, les membres du cheval sont plus sensibles à l’humidité et aux crevasses, la tête aux coups de soleil.

L’œil ne suffit pas

Le problème est aussi et surtout socioculturel. Une partie des éleveurs, «branchés» tourisme équestre, sensibles aux besoins du marché, parient sur le cheval largement marqué de blanc. D’autres s’en tiennent à la typicité du Franches-Montagnes.

«La grandeur des marques blanches a augmenté et atteint un point où les éleveurs de FM qui désirent maintenir un standard bien ancré dans le terroir et la tradition jugent qu’il faut maintenant contrôler ce phénomène», explique Pierre-André Poncet, directeur du Haras national.

Conduits à faire le grand-écart, les éleveurs ont exclu un retour en arrière complet. Ils ont opté pour une étude qui leur permettra de fixer un cadre et des critères de tolérance.

«Cette étude a pour objectif de mettre à disposition des éleveurs les instruments leur permettant de préciser l’intensité de la sélection en fonction du critère des marques blanches», précise Pierre-André Poncet, responsable du projet. Fini donc le bricolage, les éleveurs pourront dorénavant choisir presque à coup sûr la robe du poulain de l’année.

Les résultats de la première phase de cette étude sont attendus pour l’automne. En recourant à l’outil statistique sur une population de 15’000 à 20’000 chevaux, les scientifiques chercheront à estimer au plus juste le potentiel génétique de chaque étalon et chaque jument à transmettre une quantité définie de marques blanches.

Car la nature est ainsi faite que ce potentiel – hérité de la généalogie de chaque cheval – ne s’exprime pas forcément (ou pas entièrement) sur la robe du futur géniteur. En clair, on ne peut pas le déduire de visu.

La communauté de travail sur la génétique du cheval (Haras fédéral et Haute école d’agronomie de Zollikofen) envisage même une seconde étape à cette étude. Pierre-André Poncet souhaite en effet partir à la recherche des éventuels marqueurs génétiques révélateurs de l’ampleur des marques blanches.

Vers un compromis

Une fois la première étape de l’étude achevée, la Fédération du FM publiera une liste annuelle de la valeur d’élevage (potentiel génétique de transmission) de chaque cheval.

«Il faut donc s’attendre à une diminution du nombre de chevaux très marqués, estime Luc Jallon. Car cette valeur d’élevage permettra de connaître les chevaux à faible potentiel de transmission. Une information inexistante jusqu’ici. Or, la majorité des éleveurs préfèrent avoir des chevaux dans le standard traditionnel.»

Reste que même si l’idée d’une section de la fédération dédiée exclusivement aux chevaux pie (ou de couleur) n’est pas encore mûre, la stratégie choisie – pragmatique – devrait laisser un espace à cette minorité.

Personne du reste n’envisage l’éclatement de la fédération entre pros et anti-chevaux pie. «Il n’y a pas de volonté d’exclusion, note Pierre-André Poncet. Mais un respect mutuel, et surtout la volonté de ne pas rater des opportunités économiques.»

«Un compromis va s’installer autour des chevaux qui seront le plus favorisés, et ceux qui auront le droit d’exister. Les éleveurs ne vont pas s’opposer sur ce point, chacun est susceptible d’avoir les deux types de chevaux.»

swissinfo, Pierre-François Besson

Sélectionné pour l’équitation de loisir et l’attelage, le cheval Franches-Montagnes est la seule race équine suisse.
Cheval robuste et calme, il pèse entre 550 et 650 kg. Sa taille idéale avoisine les 1,50 à 1,60 m.
Il arbore traditionnellement une robe baie, alezane ou noire, peu marquée de blanc.

– On dénombre environ 15’000 chevaux Franches-Montagnes en Suisse. Et plusieurs milliers aussi en dehors du pays, en Italie, en France et en Allemagne surtout.

– En Suisse, les effectifs et le rôle du cheval prennent de l’importance depuis une petite dizaine d’années pour l’économie et l’animation de l’espace inter-urbain. Une étude sur la question est en préparation.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision