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La Suisse combat le protectionnisme à Davos

World Economic Forum

La ministre de l'économie Doris Leuthard, qui reconnaît l'aspect inédit de la crise actuelle, veut engager ses partenaires à se positionner contre la fermeture des marchés et contre de nouvelles mesures de protection.

La ministre a une nouvelle fois convié une bonne vingtaine de collègues dont les pays sont membres de l’Organisation mondiale du commerce.

Samedi, ils discuteront de l’agenda 2009 dans la négociation – poussive – du cycle de Doha. Plus largement, Doris Leuthard assure faire tout ce qu’elle peut face à la crise.

swissinfo: La Suisse se tourne de plus en plus vers l’Asie sur le plan commercial. Vous allez signer un accord de libre-échange avec le Japon en février et, cette semaine, le Premier ministre chinois était à Berne. Quelle valeur accorder à cette dernière visite?

Doris Leuthard: Cette visite était très importante pour la Suisse. Nous avons eu dans le passé quelques problèmes, quelques tiraillement avec la Chine. A Berne, le Premier ministre Jiabao a annoncé qu’au cours de la deuxième moitié de cette année, nous entamerons une étude de faisabilité commune. Ce qui signifie qu’à l’avenir, nous allons négocier un accord de libre-échange.

C’est un signal très positif car, depuis 2007, nous cherchons à développer des relations plus étroites dans le domaine économique. Nous serions le seul pays européen à disposer d’un tel accord avec la Chine. Un succès pour notre diplomatie économique.

swissinfo: Ici à Davos, les participants sont généralement très pessimistes devant la crise économique. Partagez-vous ce pessimisme?

D.L.: Beaucoup de pays sont en récession aiguë. Personne ne connaît la durée de cette crise et personne ne peut réellement prévoir sa sévérité. Les prévisions changent quasiment tous les mois. Mais au final, faire peur ne sert à rien.

Au gouvernement, nous faisons de notre mieux dans cette situation. Nous sommes préoccupés. Je reçois toutes les semaines des analyses précises de la situation de la Suisse avec nos partenaires commerciaux. Mais en définitive, l’important est de faire le nécessaire pour donner des impulsions et travailler avec nos partenaires à renforcer nos liens, surtout en matière d’exportations.

A cet égard, quelques obstacles subsistent. Mais je constate que beaucoup de pays montrent un intérêt à coopérer avec nous et veulent diminuer les obstacles techniques au commerce.

swissinfo: Il n’y a pas un patron d’entreprise qui comprenne totalement la crise, rapporte le patron du WEF. C’est votre cas aussi?

D.L.: Oui, car en septembre, la situation a vraiment changé, avec la faillite de Lehman Brothers. Cette faillite a eu des effets et suscité une dynamique de la crise jusque-là inconnus.

Pour la première fois aussi, la crise ne touche pas seulement quelques marchés mais le marché mondial, tombé quasiment d’un seul coup dans la crise. C’est ce qui rend très importantes les mesures des Etats-Unis, de la Chine, et en Europe. Si ces programmes de relance agissent assez vite, on pourrait assez vite aussi sortir la crise. Mais personne ne peut dire si ce sera le cas.

La situation actuelle montre que la mondialisation est très avancée. Nous sommes très vulnérables à toute crise émergeant sur un marché particulier. Ce qui implique que nous devons absolument coopérer. Il faut de la transparence et une certaine surveillance des marchés financiers comme économiques. Il faut des organisations multilatérales qui assument ces tâches. Nous devons leur donner mandat de surveillance et de transparence. Sans quoi, on ne pourra pas réagir aux premiers signaux [la prochaine fois].

swissinfo: Vous êtes critiquée sur le plan intérieur, certains politiques estimant que vous n’êtes pas assez active pour relancer l’économie. Comprenez-vous ces critiques?

D.L.: Je connais ces critiques, qui viennent surtout de la gauche. Les autres sont assez satisfaits de notre programme appliqué étape par étape.

Naturellement, j’écoute ces critiques. Mais le Conseil fédéral [gouvernement] observe jusqu’ici que la situation est particulière en Suisse. Les effets sur nos marchés sont plus tardifs qu’en Allemagne ou en France. Nous n’avons pas de crise immobilière, contrairement à d’autres pays. Nous n’avons pas non plus de «credit crunch». L’accès au crédit pour les PME fonctionne. D’où notre analyse particulière pour le marché suisse, et donc notre action étape par étape.

Nous pourrions évidemment jouer l’annonce d’un plan conjoncturel de 1% de notre PIB – en additionnant aussi les mesures des cantons, les mesures fiscales, celles de l’assurance-chômage, qui est un stabilisateur automatique. Mais au total, nous sommes dans la ligne de nos voisins.

swissinfo: Face à cette crise, beaucoup de décideurs craignent un retour du protectionnisme. C’est aussi votre crainte?

D.L.: C’est un risque. Les grands marchés ont une certaine capacité à vivre sur eux-mêmes. Nous craignons que des obstacles techniques soient imposés ou que les droits de douane soient augmentés. Mais les mesures concrètes décidées jusqu’ici par plusieurs pays ne représentent pas un danger. On reste dans le domaine du rationnel.

Ceci dit, nous devons en parler et rester attentif. La Suisse est dépendante de l’accès aux marchés, c’est pourquoi nous discutons avec quelques partenaires encore plus ouverts que nous pour, notamment, faire progresser le cycle de Doha [négociations dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce], qui vise à l’ouverture des marchés et pas à la réduction des chances pour les petits pays d’y accéder.

swissinfo: A Davos, la Suisse prépare un papier qui engagerait les pays à refuser le protectionnisme. De quoi s’agit-il?

D.L.: Il s’agit d’une initiative que nous lançons. A Davos, des panels sont organisés sur le thème du protectionnisme. Nous voulons donner un signal concret, au-delà du discours. Nous voulons que des pays, des entrepreneurs, en public ou en signant une déclaration, affirment qu’il serait totalement faux de fermer les marchés et d’instaurer de nouvelles mesures protectrices. Nous voulons qu’ils affirment vouloir l’ouverture, l’accès des produits, des services, et de tous, aux marchés. Ce signal donnerait une impulsion et une morale d’ouverture importante en ces temps de crise.

Interview swissinfo, Pierre-François Besson à Davos

Chômage. Dans le pire scénario, le nombre de chômeurs pourrait augmenter jusqu’à 51 millions cette année dans le monde, estime le Bureau international du travail.

Comparaison. Ce qui signifie un taux de chômage mondial de 7,1% et 230 millions de personnes sans travail. Contre 5,7% (198 millions de chômeurs) en 2007.

Rehaussé. En octobre dernier, le BIT avait publié une première estimation de 20 millions de destruction d’emplois liés à la crise.

Pauvres. Selon le BIT, le nombre de travailleurs pauvres, c’est-à-dire ceux qui touchent moins de deux dollars par jour atteindra 1,4 milliard, soit 45% de la population active mondiale ayant un emploi.

Vulnérables. Toujours dans le pire scénario, plus de 200 millions de personnes, la plupart dans les pays en développement, pourraient venir grossir les rangs des travailleurs vulnérables. Il s’agit de ceux qui sont actifs à leur propre compte et sans aucune protection sociale.

Minoritaires. Selon une étude du cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC) dans 50 pays dont la Suisse, seuls 34% des patrons (contre 42% en 2008) sont confiants quant à une croissance de l’économie durant les trois prochaines années. La majorité des 1124 patrons interrogés ne tablent que sur une reprise progressive dans les trois prochaines années.

Pessimistes. Seuls 21% des dirigeants (2008: 50%) font état de leur très grande confiance dans une croissance économique au cours des douze mois à venir, alors que 29% affichent leur pessimisme face aux perspectives de l’année.

Obnubilés. Les effets de la crise constituent actuellement la préoccupation majeure des patrons consultés. Le pessimisme ambiant apparaît dans toutes les zones géographiques, toutes les branches et à tous les niveaux du développement économique.

Débuts. Le World Economic Forum a été fondé par Klaus Schwab sous le nom de Management Symposium à Davos en 1971.

NYC. Depuis, le WEF tient sa réunion annuelle dans la station grisonne, hormis l’édition 2002, déplacée à New York après les attentats du World Trade Center quatre mois plus tôt.

Slogan. Cette édition 2009 réunit plus de 2500 participants de 96 pays. Elle est placée sous de signe de «Redessiner le monde de l’après-crise».

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