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Markus Herrmann: «La Chine tente de combler les écarts technologiques»

les chefs de Syngenta et de ChemChina sont tout sourires
Les dirigeants de Syngenta et de Chemchina se réjouissent de l'accord de rachat. À l'avenir, les investissements chinois sensibles devraient être placés sous contrôle officiel. (photo d'archive). © Keystone / Laurent Gillieron

Les entreprises suisses devraient être mieux protégées contre les investissements étrangers. Le Parlement demande au gouvernement de créer une autorité d’approbation chargée de contrôler les transactions. Les investissements chinois semblent plus particulièrement visés, car, selon un expert, ils suivent souvent une logique d’État.

Autorité de contrôle

Le Parlement veut mieux contrôler les O.P.A.Lien externe internationales qui pourraient nuire à l’économie suisse, afin de la protéger. Après la Chambre haute (Conseil des États), la Chambre basse (Conseil national) a également accepté mardi une motion de Beat RiederLien externe, conseiller aux États du Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit). Sa motion demande au Conseil fédéral de créer des bases légales pour contrôler les investissements directs depuis l’étranger dans des entreprises suisses – notamment chinois – en mettant en place une autorité d’approbation chargée de contrôler les transactions visées.

Selon le requérant, les autorités devraient intervenir si, d’une part, la sécurité ou l’ordre public de la Suisse étaient menacés et, d’autre part, s’il ne devait pas y avoir de réciprocité – en d’autres termes, si le pays dans lequel l’investisseur étranger est situé n’offre pas à la Suisse des conditions identiques pour ses investissements.

Après la Chambre haute, la Chambre basse du Parlement a également appelé mardi à un meilleur contrôle des investissements directs étrangers problématiques, notamment en provenance de Chine. C’est le rachat de sociétés suisses telles que Syngenta, Gategroup ou Swissmetal par des investisseurs chinois qui a déclenché la discussion politique.

Selon le motionnaire Beat RiederLien externe, conseiller aux États du Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit), les investisseurs chinois ont racheté des entreprises suisses pour environ 45 milliards de dollars en 2016, ce qui représente un volume supérieur au total des rachats dans toute l’UE (Union européenne) par des entreprises chinoises, celui-ci s’élevant à environ 40 milliards de dollars.

La Handelszeitung écrit que plus de 80 entreprises suisses seraient directement aux mains d’un propriétaire chinois. Ces derniers auraient injecté environ 60 milliards de dollars en Suisse depuis 2005. Toutefois, rapportés au total des investissements directs de 1300 milliards, ils représentent à peine 5%.

L’un des objectifs de la politique industrielle chinoise est le transfert de valeur ajoutée vers la Chine, explique Markus Herrmann, expert de la Chine pour le groupe de réflexion en politique extérieure suisse «Foraus».

swissinfo.ch: La Suisse a-t-elle raison de se méfier des investissements chinois?

Markus Herrmann: Un contrôle des investissements élargirait l’éventail des instruments de politique économique extérieure et offrirait, en cas de distorsion du marché, une approche stratégique permettant de protéger plus efficacement les intérêts suisses. 

Ce contrôle n’est pas formellement dirigé contre la Chine, mais il est vrai que les investissements issus du système économique chinois suivent le plus souvent une logique d’Etat et devraient donc pouvoir être traités différemment.

Le gouvernement suisse s’est prononcé contre cet instrument de contrôle, en soulignant que ces investissements n’ont jusqu’à présent posé aucun problème, mais qu’ils ont au contraire renforcé la place économique suisse. En outre, la Suisse disposerait déjà de bases juridiques suffisantes pour protéger les infrastructures critiques.

De manière générale, les investissements étrangers sont les bienvenus. Une reprise ou une participation d’une entreprise chinoise peut également apporter à une firme suisse de solides avantages en termes d’accès au marché chinois.  

“Une reprise ou une participation d’une entreprise chinoise peut également apporter à une firme suisse de solides avantages en termes d’accès au marché chinois”

Vous pensez donc également que cet instrument de contrôle est superflu?

Pour moi, la faiblesse du rapport du Conseil fédéral réside dans le fait qu’il a une définition très restreinte des infrastructures critiques et ne prend en considération que celles qui sont presque exclusivement détenues par des organismes publics. Je pense qu’il vaudrait mieux examiner si les nouvelles technologies, les secteurs stratégiques ou les aspects ayant trait à la sécurité nationale ne devraient pas également être considérés dans le cadre d’une évaluation des investissements.

Quant à la distorsion potentielle du marché, qui peut être causée par les investissements financés ou dirigés par les pouvoirs publics, le rapport la commente en se contentant d’une simple référence aux lignes directrices de l’OCDELien externe sur la gouvernance des entreprises publiques. Cela est d’autant plus surprenant qu’un rapport du Secrétariat d’État à l’économie de 2017 avait déjà traité de manière intensive le problème des distorsions du marché causées par les entreprises publiques nationales.

Tant l’Allemagne que l’UE définissent les aspects à examiner de manière plus large.

Markus Herrmann
Markus Herrmann est co-directeur du programme pour l’Asie pour le think tank suisse «Foraus». Ses recherches portent sur la politique étrangère économique de la Chine. zVg

Quelle stratégie la Chine poursuit-elle en investissant en Suisse?

Le volume des investissements chinois est encore faible. Nous n’en sommes qu’au début de cette activité, qui est multiforme.

D’une part, elle poursuit des objectifs commerciaux ordinaires:  internationalisation de ses propres entreprises, croissance sur les marchés étrangers, augmentation des parts de marché, accès à des partenariats ou acquisition de marques.

D’autre part, les investissements – en particulier ceux réalisés par les entreprises publiques – servent des objectifs stratégiques et de politique industrielle du gouvernement chinois. La politique industrielle est par exemple l’instrument utilisé pour combler les écarts technologiques de manière ciblée ou pour atteindre des objectifs tels que l’accès à des ressources importantes à l’étranger. Le but est de réduire la dépendance à l’égard des technologies et des ressources étrangères et, dans le même temps, de favoriser la transition vers une économie plus productive et plus innovante.

Et cela ne peut pas être dans l’intérêt de la Suisse, n’est-ce pas?

Pour autant que les règles de l’OMC et la réciprocité des relations économiques bilatérales soient respectées, l’action de la Chine est légitime et peut apporter des avantages mutuels. Mais une activité économique susceptible de fausser le marché ne doit pas porter atteinte aux intérêts de la Suisse.

Dans ce contexte, la question de la politique suisse de l’innovation pratiquée aujourd’hui est pour moi plus déterminante que le contrôle des investissements qui a surtout pour effet de «préserver».

Tous les pays voisins de la Suisse contrôlent les investissements étrangers. Est-ce la raison pour laquelle les investissements chinois en Suisse sont beaucoup plus importants que dans ces pays?

La réglementation n’est que l’un des nombreux critères pris en considération lors d’investissements. Le plus important est certainement la disponibilité de biens d’investissement attrayants. La Suisse est internationalement connue pour les nombreuses entreprises technologiques qui y sont implantées. Et en matière de localisation, elle offre également d’autres avantages concurrentiels au niveau international. À mon avis, le premier critère n’est donc pas de savoir s’il y a ou non un contrôle des investissements.

Traduit de l’allemand par Emilie Ridard

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