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La Tunisie accusée de torture systématique

Reuters

60 ans après son adoption, la Déclaration universelle des droits de l'homme reste un idéal à atteindre. Coup de sonde aux quatre coins de la planète francophone avec la Tribune des droits humains. Aujourd'hui : la Tunisie, important partenaire économique de la Suisse.

Sous couvert de lutte contre le terrorisme, intensifiée depuis le 10 décembre 2003 suite à la promulgation de la sinistre «loi anti-terroriste», les droits humains sont de plus en plus bafoués en Tunisie. Des centaines de jeunes sont déférés quasi quotidiennement devant des tribunaux.

Or, la très grande majorité des jeunes condamnés n’a pas tiré un seul coup de feu de sa vie et la plupart n’ont jamais été initiés au maniement des armes. Leur «crime» se limite au fait de s’être aventuré à visiter des sites «interdits», notamment ceux des groupes salafistes (islamistes radicaux).

La chasse aux opposants

Le nombre de ces jeunes, condamnés généralement à des peines allant de 2 à 11 ans de prison ferme, est estimé à plus de 1500 détenus, selon l’avocat Mondher Cherni. Le recours aux mauvais traitements voire à la torture, en particulier lors des interrogatoires, continue d’être régulièrement dénoncé par les victimes, leurs avocats ou encore les défenseurs des droits de l’Homme.

Pas moins de trois rapports sur les pratiques de torture en Tunisie ont été publiés par des organisations de défense des droits de l’Homme au cours des deux dernières années.

Le dernier en date (établi par le CRLDHT à Paris et l’ALTT à Tunis) révèle que la période allant de 2005 à 2007 a été marquée par «une chasse aux opposants, une transgression des normes internationales relatives aux procédures judiciaires, une systématisation du harcèlement et de la torture et une impunité pour les tortionnaires».

Il met également en lumière le recul du droit international et la légitimation de telles pratiques au nom de la «lutte contre le terrorisme» par des Etats démocratiques, partenaires du régime tunisien.

Des détenus jeunes

De leur coté, les avocats constatent à chaque procès, une très sensible détérioration de la situation des prévenus, âgés généralement entre 18 et 30 ans.

Lors du procès des 38 syndicalistes du bassin minier de Gafsa le 4 décembre courant, l’avocat Ayachi Hammami a ressorti 16 procès verbaux où des prévenus ont exigé de noter qu’ils ont subi des tortures et des brimades pendant l’interrogatoire policier. Cependant, le juge a estimé qu’il n’était pas obligé de répondre à la requête de la défense exigeant un examen médical des prévenus, dont plusieurs portaient encore les traces de mauvais traitements.

Des vies détruites

Lors des rares fois où ces questions ont été évoquées publiquement, à l’occasion de meetings de soutien aux détenus, organisés par des partis de l’opposition, les témoignages des familles ont fait découvrir des vies personnelles et familiales détruites suite aux tortures des détenus, de voisinages meurtris et d’une «société» proprement anéantie.

Entre 2005 et 2007, la quasi-totalité de ceux qui ont été arrêtés en vertu de la loi antiterroriste se sont plaints d’avoir été torturés, lors des interrogatoires.

Et après le verdict, les mauvais traitements continuent pour la plupart des jeunes condamnés, d’après les rapports établis par des associations tunisiennes spécialisées dans la défense des droits des détenus (Liberté et Equité, l’Association internationale de soutien aux détenus politiques, l’Association de Lutte contre la Torture en Tunise). Ces rapports révèlent la mise en place de mesures punitives d’enfermement au cachot, le recours à différentes sortes de brimades à l’encontre des détenus «indisciplinés», généralement pour les contraindre à mettre fin à une grève de la faim.

Cette nouvelle vague de répression enclenchée depuis la promulgation de la loi anti-terroriste met en lumière l’ampleur du désespoir d’une partie de la jeunesse, la désertification de la vie politique, associative et même culturelle, l’appel au conformisme le plus zélé, qui n’empêche pas pour autant l’insécurité de tous.

Les dénégations du gouvernement

Pourtant, le ministre de la justice et des droits de l’homme Béchir Takkari a récusé en bloc le recours à la torture pendant les interrogatoires et les brimades dans les prisons.

S’exprimant devant la Chambre des députés le 2 décembre avant l’adoption d’une nouvelle loi qui «renforce les garanties offertes aux accusés, améliore leur situation pénitentiaire et facilite leur insertion», Béchir Takkari s’est élevé contre l’«ingérence étrangère dans les affaires intérieurs du pays» et y a vu «des projets douteux et un opportunisme politique voulant instrumentaliser les droits de l’homme en tentant d’en faire un fonds de commerce politique».

La Tunisie a été le premier pays de la rive sud de la Méditerranée à avoir signé en 1995 un accord de partenariat avec l’Union Européenne qui stipule dans son deuxième paragraphe l’engagement total à respecter les droits de l’homme.

A l’issue de la dernière session du conseil de partenariat, tenue récemment à Bruxelles, le ministre tunisien des affaires étrangères Abdelwahab Abdallah a annoncé que son gouvernement aspire au statut de partenaire privilégié à l’instar du Maroc. Et cela sans qu’aucun changement substantiel de la situation des droits de l’homme ne soit enregistré au cours des dernières années, la situation s’étant même dégradée.

swissinfo, Rachid Khechana/Tribune des droits humains, Tunis

Cet article fait partie d’une série commandée par Tribune des droits humains à des correspondants locaux en pays francophones. Et ce à l’occasion du 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cette opération est soutenue par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF)

«Les relations économiques entre les deux pays sont importantes. Preuve en est notamment l’accord de libre échange signé fin 2004 à Genève par l’Association européenne de libre échange (AELE) et la Tunisie. De nombreuses entreprises suisses sont actives en Tunisie notamment dans les secteurs du textile, des vêtements et des produits alimentaires. La Suisse et la Tunisie ont organisé en commun le Sommet mondial de la société d’information dont la première partie a eu lieu en 2003 à Genève et la deuxième partie en 2005 à Tunis. Les relations bilatérales entre les deux Etats sont parfois affectées par des positions divergentes en matière de respect des droits de l’homme.»

Source : Ministère suisse des affaires étrangères

«Le 24 octobre 2004, le Président Zine El-Abidine Ben Ali a été réélu pour un quatrième mandat avec 94.48% des voix.

Il continue d’exercer sans partage l’essentiel du pouvoir.

Les partis de la «vraie opposition» ont boycotté ces élections.

L’opposition islamiste est réduite à la clandestinité. L’opposition tolérée par le pouvoir demeure impopulaire, mal organisée et divisée.

Les prochaines élections présidentielles et législatives sont prévues en 2009.

La population ne conteste pas (encore) ouvertement la politique du Président qui s’est attaché à réduire le rôle de l’Islam et à protéger les droits de la femme.

Il a également fait de la Tunisie le premier pays à ratifier la Convention des Nations Unies contre la torture.

Une majeure partie des Tunisiens considèrent que la limitation des liberté politiques est le prix à payer pour que la Tunisie demeure l’un des Etats de la région les mieux lotis au niveau de la stabilité et du développement économique.

Les pays occidentaux perçoivent le maintien de cette stabilité comme nécessaire contre le fondamentalisme islamique.»

Source : Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO)

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