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Le présent et le passé conjugués au futur

Patrick Gyger, patron de la Maison d’Ailleurs et théoricien de l’utopie! swissinfo.ch

La Maison d'Ailleurs à Yverdon et l'Uni de Lausanne publient «De beaux lendemains?», une réflexion socio-politique sur la science-fiction.

Cet ouvrage est le résultat, ou plutôt la prolongation d’un colloque organisé par la Faculté de sciences politiques de l’Université de Lausanne et la Maison d’Ailleurs. «De beaux lendemains?» a pour sous-titre «Histoire, société et politique dans la science-fiction». Rebutant? Peut-être. Mais dès l’introduction, on se laisse happer…

«Le domaine de la science-fiction est largement déserté par les historiens et les historiennes. Trop occupés à fouiller dans le passé, ces derniers n’ont que rarement abordé les représentations d’un futur imaginé», y lit-on sous la plume de Gianni Haver, maître-assistant à l’Institut d’histoire économique et sociale de l’Université de Lausanne, qui a co-dirigé l’ouvrage avec Patrick Gyger, directeur du musée yverdonnois.

Prisme déformant

Pourquoi des historiens se passionneraient-ils pour des récits futuristes? Tout simplement parce que ces récits sont nécessairement une émanation de notre présent. Projection déformée d’une réalité passée ou présente, mais aussi des fantasmes que cette réalité à suscités. Or un fantasme en dit long sur l’être qui le génère, ce n’est pas votre psy favori qui le niera.

«Pour moi, l’essentiel de la science-fiction, c’est cela, commente Patrick Gyger. Un outil d’observation du réel, une espèce de prisme déformant, et ce qu’on montre à la Maison d’Ailleurs fonctionne aussi ainsi».

Utopie et «dystopie»

La raison sociale complète de «La Maison d’Ailleurs» est «Musée de la science-fiction, de l’utopie et des voyages extraordinaires». Ce n’est donc pas un hasard si c’est Patrick Gyger qui, au début de l’ouvrage, précise la notion d’utopie et celle de son corollaire, la contre-utopie ou «dystopie».

D’un côté, la construction d’une société qu’on veut idéale, avec des moyens rigoureux et rationnels, notamment législatifs. De l’autre, le constat que ces lois ne parviennent pas à construire un monde parfait, mais aboutisse à une société contraignante où l’individu ne trouve pas nécessairement sa place. Car la notion de monde parfait est incompatible avec celle d’individualité.

Les bases ainsi posées, «De beaux lendemains?» développe cette problématique en une dizaine de contributions. Si la littérature est évidemment évoquée, c’est surtout le cinéma qui sert de support privilégié à l’analyse.

Qu’il s’agisse des films-catastrophe et des représentations sociales qu’elles véhiculent (Laurent Guido), des idées anthropologiques présentées par certains films post-apocalyptiques (Philippe Ney), du totalitarisme dans «Total Recall» de Paul Verhoeven (Charles-Antoine Courcoux) ou de l’architecture telle que la projette «Dark City» d’Alex Proyas (Fellay/Ginalski/Niederoest).

Bienvenue à Kobaïa

Plus inattendu peut-être: le dernier chapitre, signé Laurent Mousson, est consacré aux relations qu’entretiennent musique et utopie. Avec au passage la création d’un joli néologisme: «Usonie».

Période bénie pour l’«Usonie»: sixties et seventies, avec Magma (les inventeurs français de la planète «Kobaïa» et de son langage aux consonances teutonnes), les Who ou John Lennon («Imagine», chanson-bannière de l’utopie). Mais les punks remplacèrent l’utopie par le nihilisme, et le courant disco-techno ne formula pas grand chose en la matière…

Laurent Mousson entrevoit toutefois des ébauches de contre-utopie dans le mouvement hardcore, et la radicalité politique de groupes tels «Rage Against the Machine».

De la science-fiction à la science

La Maison d’Ailleurs se veut à la fois musée grand public et centre de recherche et de documentation pour spécialistes. A tel point que l’Agence Spatiale Européenne a mandaté Patrick Gyger et son étrange demeure pour espionner le vaste terrain de la S.F.

De quoi s’agit-il précisément? «D’étudier les livres de science-fiction, les bandes dessinées, les films, et d’en ressortir ce qui pourrait faire rêver les ingénieurs et qui pourrait nous amener vers de nouveaux horizons», explique Patrick Gyger.

Nouveau dialogue entre réalité et fiction, présent et futur… mais à l’envers cette fois-ci, puisque le cas échéant, il s’agirait pour la réalité de l’avenir de s’inspirer de la fiction futuriste du présent. Vous me suivez?

Bernard Léchot

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