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Les affaires plutôt que les droits de l’homme

Nursultan Nazarbaev (au centre) avec le président Pascal Couchepin. Keystone

La visite officielle de deux jours en Suisse du président du Kazakhstan aura été essentiellement placée sous le signe des affaires.

Certes, les droits de l’homme ont été évoqués avec Nursultan Nazarbaev. Mais en termes très diplomatiques.

Les entretiens entre autorités helvétiques et kazakhes ont débouché sur la signature de deux accords économiques.

L’un porte sur la promotion du commerce régional en Asie centrale. Dans ce domaine, la Suisse s’est engagée à investir 2,4 millions de francs.

L’autre accord, lui, prévoit l’amélioration du trafic routier de marchandises entre la Suisse et le Kazakhstan.

A noter que le président de la Confédération, Pascal Couchepin, a apporté le soutien de la Suisse à la demande d’adhésion du Kazakhstan à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Enfin, au plan économique encore, Nursultan Nazarbaev a participé, mardi après-midi, à une rencontre avec des investisseurs et des chefs d’entreprises suisses.

De grands chantiers

A Zurich, le président kazakh s’est exprimé devant un parterre de quelque 150 hommes d’affaires.

Il a constaté que peu d’entrepreneurs suisses connaissent le Kazakhstan et son potentiel d’échanges. Il a ajouté que son pays est en train d’ouvrir de grands chantiers et qu’il compte notammentsur les entreprises suisses pour contribuer à son développement.

Le Kazakhstan a grandement besoin des investissements étrangers pour améliorer ses infrastructures routières et ferroviaires, son système de santé, et ses secteurs alimentaire et touristique.

Cette république d’Asie centrale a aussi besoin de capitaux pour poursuivre le développement de sa nouvelle capitale Astana, dans laquelle 3 milliards de dollars ont déjà été investis.

Et puis, dans le secteur financier, le Kazakhstan veut atteindre les standards européens. Et il compte sur l’engagement de la Suisse en particulier pour lui montrer le chemin.

Promesse tenue

Certes cette république d’Asie centrale a de quoi séduire. Mais la médaille a un revers moins brillant. Et les Suisses ne sont pas complètement dupes.

Pour preuve, lundi, le gouvernement n’a pas manqué à sa parole. Comme promis, il a abordé le délicat problème des violations des droits de l’homme. Mais, en s’adressant à son homologue kazakh, Pascal Couchepin a choisi une formule toute diplomatique.

«Il existe deux chemins pour aller vers la démocratie, a rappelé le président de la Confédération à Nursultan Nazarbaev. La voie chinoise, qui prend des siècles, et la voie américaine, qui peut être effectuée en un nombre réduit d’années. J’espère que le Kazakhstan choisira la seconde voie.»

Blanchiment d’argent

De la diplomatie, il en fallait. D’autant plus que c’est un président kazakh contesté, autoritaire et à la réputation sulfureuse qui a été reçu à Berne.

D’ailleurs, la section helvétique de Reporters sans frontières(RSF), la Société pour les peuples menacés et le parti écologiste suisse s’étaient élevés contre sa venue en Suisse.

Entre autres, Nursultan Nazarbaev est soupçonné de blanchiment d’argent sale. D’ailleurs plusieurs comptes – ouverts à son nom et à celui de son ministre du Pétrole – ont été gelés à Genève. Ils renfermeraient environ 120 millions de dollars.

Ces comptes auraient été alimentés par au moins deux compagnies pétrolières américaines en échange de droits d’exploitation pétrolière au Kazakhstan.

Les résultats de l’enquête suisse ont été transmis à la justice américaine en septembre 2001.

Mort suspecte

Cette affaire a fait couler beaucoup d’encre. Sinon plus. Et au Kazahstan peut-être davantage.

A ce propos, le secrétaire général de la section suisse de la Société pour les peuples menacés rappelle le drame de la journaliste kazakhe Lira Baiseitova.

Le 22 mai 2001, raconte Hanspeter Bigler, cette journaliste d’opposition publie dans le journal Soldat une interview de l’ancien procureur général genevois Bernard Bertossa.

Une entrevue dans laquelle l’ex-magistrat évoque l’enquête menée en Suisse sur les comptes douteux de plusieurs dignitaires kazakhs, dont le chef de l’Etat justement.

Le lendemain de la publication de l’article, la fille de Lira Baiseitova est arrêtée. Et, en juin, la police annonce son décès.

Pour en savoir plus, l’organisation Reporters sans frontières (RSF) dépêche l’un de ses représentants à Almaty, capitale du Kazakhstan. Il soumet son rapport à deux médecins légistes indépendants.

Mais ces médecins n’obtiendront pas de visa pour pouvoir poursuivre leurs investigations sur place.

Rencontre à Berne

La présidente de la section suisse de RSF s’est rendue, lundi, à Berne pour y rencontrer le nouveau chef de la Division des droits de l’homme au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).

Laurence Deonna connaît très bien le Kazakhstan, où elle s’est rendue à quatre reprises. Et elle tenait à informer en personne Wolfgang Amadeus Brülhart sur la situation des journalistes dans ce pays.

La présidente de la section suisse de RSF était justement accompagnée de Lira Baiseitova. La journaliste kazakhe séjourne actuellement en Suisse avec son petit-fils.

Elle n’a pas demandé l’asile politique. Mais Laurence Deonna espère qu’elle pourra obtenir une autorisation de séjour.

Peine de mort

Au Kazakhstan, les journalistes ne sont pas les seules victimes des violations de droits de l’homme. La peine capitale y est en effet couramment pratiquée,

En 2002, affirme Amnesty International, une trentaine de personnes ont été exécutées.

Certes le Kazakhstan n’est pas le seul pays à pratiquer la peine capitale. Mais le sous-secrétaire général de la section suisse d’AI rappelle que le président Nazarbaev avait promis d’étudier un moratoire. Et qu’il envisageait, à terme, d’abolir la peine de mort. Mais, depuis, rien n’a été fait.

A en croire Andrea Huber, les autorités ne communiquent pas aux familles des condamnés la date de l’exécution. Souvent les corps sont enterrés dans des lieux inconnus et en plus dans des tombes anonymes.

A cela s’ajoute la torture. Elle y est largement pratiquée. Plus grave encore, les tribunaux admettent les aveux extorqués à l’issue de séances de supplice.

Autre victime des violations des droits de l’homme: la minorité ethnique des Ouïgours, qui est accusée de soutenir les organisations terroristes radicales islamiques.

Et le sous-secrétaire général de la section suisse d’AI de conclure: «Il est très important de pouvoir dialoguer. C’est pourquoi je pense qu’une rencontre entre le président Nazarbaev et les autorités suisses est de toute façon très positive.»

swissinfo, Chantal Nicolet

– 66 fois plus grand que la Suisse, le Kazakhstan est l’un des pays les plus riches de la planète en ressources naturelles.

– Depuis quatre ans, la croissance économique de cette république d’Asie centrale tourne autour de 10 %.

– Les autorités comptent développer leurs infrastructures dans le pétrole, les transports, l’agriculture et la banque.

– Les exportations suisses vers le Kazakhstan ont crû de 66% à 74 millions de francs en 2002 et les importations de 600% à 52 millions de francs.

– Ce sont surtout l’industrie suisse des machines et le secteur de la chimie qui s’intéressent au Kazakhstan.

– ABB et Syngenta figurent parmi les grands groupes occidentaux qui se sont engagés sur place.

– Au total, 48 sociétés helvétiques sont implantées au Kazakhstan.

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