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Les défis majeurs qui attendent la Suisse dans la mise en place du don d’organes facilité

Keystone / Leandre Duggan

Le passage au consentement présumé du don d'organes n'est pas pour tout de suite, malgré le vote favorable des citoyennes et citoyens suisses. Plusieurs années seront encore nécessaires, notamment pour créer un registre national en ligne et mettre en place de vastes campagnes d'informations.

Le peuple suisse a plébiscité ce dimanche la nouvelle loi sur la transplantationLien externe, qui part du principe que chaque individu décédé sur le territoire helvétique est présumé donneur d’organes.

Mais il faudra faire preuve de patience pour que ces changements se concrétisent. La Confédération doit maintenant élaborer une ordonnance de mise en œuvre, ce qui pourrait prendre plusieurs années. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) indique que la nouvelle législation devrait entrer en vigueur au plus tôt en 2024. Ce délai s’explique notamment par la volonté de créer un registre national des déclarations relatives au don d’organes et par l’organisation de campagnes d’informations visant l’ensemble de la population.

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L’instauration d’un registre national en ligne soulève des questions délicates touchant à l’accessibilité, à la sécurité et à la protection des données. Toutes les personnes résidentes en Suisse âgées de plus de 16 ans seront invitées à se connecter et à inscrire leur refus ou leur consentement au don d’organes. La future plateforme devrait être disponible dans les langues nationales et celles des communautés migrantes les plus répandues. Des solutions seront proposées aux individus qui ne peuvent pas s’inscrire seuls au registre, par exemple par l’intermédiaire du médecin de famille. «D’autres formes d’expression écrites de la volonté, comme les directives anticipées, resteront également reconnues», précise l’OFSP. Il sera possible en tout temps de modifier ses décisions relatives au don d’organes.

D’après les chiffres fournis par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), la création du registre des décisions relatives au don d’organes devrait occasionner un coût unique de 500’000 francs et sa gestion devrait coûter environ 500’000 francs par an.

La campagne d’informations durant les trois premières années suivant la mise en œuvre de la nouvelle loi devrait coûter environ 2,5 millions de francs par an (contre 1,5 million actuellement pour les campagnes en faveur du don d’organes). Ensuite, les dépenses pourraient revenir à 1,5 million de francs annuel.

Assurer une identification sécurisée

Le registre contiendra des données considérées comme particulièrement sensibles. Il devra répondre aux exigences de la Confédération, notamment respecter les Directives de sécurité informatique dans l’administration fédéraleLien externe. Les critères d’identification de la personne lors de son enregistrement ou de sa connexion seront très poussés, assure l’OFSP. Le projet initial prévoyait l’utilisation de l’identité électronique (e-ID), mais celle-ci a été largement refusée par le peuple suisse en mars 2021. «Si l’e-ID n’était pas opérationnelle d’ici à l’introduction du registre, la Confédération aurait recours à d’autres moyens d’identification sécurisés», indique l’OFSP, en citant en exemple la procédure utilisée pour le dossier électronique du patient.

Les seules personnes qui auront accès au registre sont celles qui, dans les hôpitaux, sont actuellement responsables du don d’organes. «Elles ne pourront consulter le registre que pour vérifier le statut d’une patiente ou d’un patient au pronostic sans issue, pour lequel la décision d’interrompre les mesures de maintien en vie a déjà été prise», explique l’OFSP. Pour garantir une identification sécurisée au moment du décès, la loi prévoit l’utilisation du numéro AVS du donneur ou de la donneuse, notamment pour distinguer les individus aux noms similaires. Si la personne n’a pas de numéro AVS, d’autres numéros d’identification pourront être utilisés.

Éviter les failles

Lors de l’examen de la nouvelle loi, le Parlement a introduit des exigences afin d’obliger la Confédération à confier la tenue du registre à SwisstransplantLien externe. La fondation gère déjà la liste des personnes en attente d’un don, attribue les organes et coordonne la logistique en matière de transport. De plus, Swisstransplant a créé en 2018 son propre registre de donneurs et donneuses.

Seule ombre au tableau: début janvier, l’émission de consommation de la télévision suisse alémanique SRF a révélé d’importantes lacunes sécuritaires dans ce registre. KassensturzLien externe a relayé le rapport d’une société privée de sécurité de l’information qui a démontré que n’importe qui pouvait y inscrire une tierce personne et ainsi la désigner, à son insu, en tant que donneuse d’organes. Ces révélations ont poussé le Préposé fédéral à la protection des données à ouvrir une enquête et Swisstransplant à suspendre l’accès à son registre.

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Interrogé à ce sujet, l’OFSP indique que le niveau de sécurité du futur registre sera beaucoup plus élevé. La fondation se verra confier un mandat de prestation pour collecter et gérer les décisions relatives au don d’organes, mais elle devra répondre aux exigences de la Confédération en matière de sécurité des données et sera soumise à la surveillance de l’OFSP. Les conclusions de l’enquête sur les failles du registre actuel de Swisstransplant devraient permettre d’y voir plus clair. Le Préposé fédéral à la protection des données précise dans son communiqué de presse que la procédure d’établissement des faits «doit contribuer à la mise en place de solutions conformes à la protection des données pour le traitement des données personnelles en question, malgré l’absence d’une identité électronique reconnue par l’État». Interpellée, Swisstransplant n’a pas souhaité réagir, car elle attend les directives de la Confédération.

Atteindre 8,6 millions de personnes

L’autre défi de la mise en œuvre de la loi sur la transplantation est l’information à la population. Chacune et chacun devrait pouvoir comprendre ce qu’implique le passage du consentement explicite au consentement présumé et quelles démarches entreprendre pour enregistrer sa décision. L’OFSP a prévu de larges campagnes d’informations en plusieurs langues à la télévision, dans la presse écrite et sur internet. Il travaillera en collaboration avec Swisstransplant, des agences de communication, des cabinets médicaux, des drogueries, des pharmacies et diverses associations. Pour atteindre les personnes plus isolées ou issues de la migration, l’office a prévu de communiquer sur les réseaux sociaux et les médias privilégiés par ces groupes. «Il est également envisageable de diffuser largement les informations via les institutions de santé et les acteurs cantonaux de la santé et de l’intégration», ajoute l’OFSP. Lors des sondages sur la santé menés régulièrement auprès des habitant-es, des questions seront posées sur la nouvelle loi sur la transplantation. L’OFSP adaptera ses campagnes en fonction des réponses.

Dans les autres pays européens, la façon de communiquer sur le don d’organes varie fortement. En Autriche et en Espagne par exemple, l’État s’implique peu et ce sont les différentes associations qui sont particulièrement actives dans les médias et sur internet. L’Angleterre et les Pays-Bas, qui ont introduit récemment le consentement présumé, ont au contraire fait des efforts particuliers pour informer la population. L’Angleterre a lancé une campagne massive et participative sur tous les supports, en incluant notamment les minorités ethniques, les personnes transplantées et leurs familles. Aux Pays-Bas, chaque habitant-e de plus de 18 ans reçoit une lettre l’invitant à inscrire sa décision dans le registre national, ainsi qu’un courrier de rappel en l’absence de réaction. L’OFSP indique que contacter individuellement les résident-es pourrait être une piste dans le cadre de la future campagne. La stratégie est toutefois encore en cours d’élaboration et rien n’a été décidé.

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