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Les maraîchers crient halte à l’hypocrisie

La pénurie de main-d’œuvre met en péril le travail des maraîchers. swissinfo.ch

Exploitation de travailleurs clandestins. Conditions de travail inhumaines et salaires de misère. Depuis des semaines, les dessous du monde agricole font la Une des médias. Qu'est-ce qui pousse les milieux agricoles à transgresser la loi? La rareté de main-d'oeuvre ou l'appât du gain?

Un conseiller national et agriculteur broyard a récemment avoué avoir employé des travailleurs clandestins. Et cela pour pouvoir faire face à la pénurie de bras dans les campagnes suisses.

Un aveu inattendu qui a, d’ailleurs, pris l’allure d’une véritable fronde paysanne. Et qui s’est rapidement transformé en querelle politicienne.

En début de semaine, deux autres élus vaudois ont, en effet, dénoncé leur collègue de l’UDC pour avoir enfreint la loi. «C’est, dénoncent-ils, par cupidité que les milieux agricoles préfèrent engager des clandestins».

«Faux, rétorquent les maraîchers. La main-d’œuvre européenne se refuse désormais à travailler dans nos champs. Nous devons donc nous tourner vers les pays de l’Est, et notamment vers la Pologne, pour assurer la survie de nos exploitations».

Mais la législation helvétique n’autorise pas ce genre de tour de passe-passe. Alors, pour faire face à la pénurie de travailleurs, de plus en plus d’agriculteurs choisissent de vivre dans l’illégalité.

La situation n’est pas nouvelle. Pour preuve, le résultat d’un questionnaire adressé, en novembre 1999, aux entreprises maraîchères du canton de Vaud: on comptait 140 travailleurs au gris et 70 au noir sur quelque 70 exploitations.

«Depuis quelques années, notre bassin traditionnel de recrutement ne répond plus à la demande, affirme Rolland Stoll, président de l’Office central vaudois de la culture maraîchère. Les conditions de vie des pays du sud de l’Europe se sont nettement améliorées. Et le secteur de l’agriculture suisse n’est pas suffisamment attractif pour régater».

Pour mieux comprendre la situation, nous avons rencontré trois maraîchers vaudois. Leur véritable identité ne sera pas dévoilée. Le premier d’entre eux affirme ne plus employer de travailleurs clandestins.

«Depuis que le Conseil fédéral a décidé d’intensifier sa lutte contre le travail au noir, la situation est devenue beaucoup trop dangereuse, explique Denis. Je ne sais pas comment nous allons nous en sortir. Pour tenter de faire face à la pénurie de main-d’œuvre, nous avons réduit le nombre de cultures. Le bilan de fin d’année nous dira si c’était un bon calcul».

Daniel, lui, continue d’employer des ouvriers au gris. «Ils représentent 20% de mon personnel, déclare t-il. Et ils sont payés selon les normes en vigueur. Parfois, mieux encore».

Et Daniel de s’insurger: «il y a des années que nous fonctionnons comme cela. Tout le monde le sait pertinemment. Et ceux qui le nient ne sont que de fieffés hypocrites. Les cantons et la Confédération ont empoché les impôts que nous payons à la source pour les travailleurs au gris. Ils ont distribué les cartes et encaissé l’argent de l’AVS. Et, aujourd’hui, ils organisent une véritable chasse aux sorcières. C’est parfaitement immoral».

Même colère de la part de notre troisième maraîcher. «La plupart d’entre nous ont joué la carte de la transparence, affirme Sébastien. Confronté à des problèmes de recrutement toujours plus graves, nous avons alerté les autorités. Mais, à ce jour, aucune solution n’a été trouvée. Pire, maintenant, on nous accuse de nous enrichir sur le dos des travailleurs clandestins. C’est inadmissible».

Et Sébastien d’expliquer les difficultés du recrutement, les défections de dernières minutes et la météo qui n’en fait qu’a sa tête. «Nous avons besoin d’une certaine souplesse pour pratiquer notre métier», rappelle-t-il.

Et d’ajouter: «quand il y a un coup de bourre, nous, on ne peut pas faire appel à une entreprise de travail temporaire pour nous dépanner. Alors on prend les Polonais qui frappent à notre porte. Eux, ils font encore ce boulot avec plaisir».

Soulignons tout de même que l’Union suisse des paysans a proposé une liste d’une soixantaine de travailleurs portugais disposés à venir travailler dans les campagnes suisses. A ce jour, seuls une vingtaine d’entre eux ont reçu une offre officielle de la part des paysans.

«Vrai, admet Rolland Stoll. Mais les maraîchers n’ont été informés de cette offre qu’à la fin de mai. Et, à cette période de l’année, il y a bien longtemps qu’ils s’étaient débrouillés tant bien que mal pour former leurs équipes et commencer à travailler».

«Que fallait-il faire, s’interrogent les maraîchers. Renvoyer nos travailleurs pour faire bonne figure?»

Vanda Janka

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