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Le cannabis, ou la renaissance d’un médicament «interdit»

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Pur et administré avec soin, le cannabis «est l’un des médicaments les plus précieux que nous possédons». Ces mots ont été écrits en 1890 par Sir John Russell Reynolds, qui faisait l’éloge des propriétés thérapeutiques de cette plante venue d’Inde. Au point de la prescrire, sous la forme d’une teinture naturelle, à sa patiente la plus célèbre: la reine Victoria. Plus d’un siècle plus tard, le cannabis (hachisch ou marijuana) figure sur la liste des substances interdites en raison de ses effets psychotropes. Drogue dangereuse et dévastatrice pour les uns, remède sans égal en pharmacie pour les autres, le cannabis recommence aujourd’hui à être utilisé dans le traitement de maladies graves ou de douleurs chroniques. En Suisse, les malades et les médecins qui ont recours à des préparations à base de cannabis et de THC (son principe psychoactif) sont toujours plus nombreux. Une renaissance liée au destin croisé de quelques pionniers, que swissinfo.ch raconte à travers les histoires de quatre acteurs: un cultivateur, un pharmacien, un médecin et une patiente. Quatre personnages pour illustrer les vertus, mais aussi les limites de l’une des plantes médicinales les plus controversées de l’Histoire.
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Le Cultivateur

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«Disons que nous sommes en Suisse orientale, près du lac de Constance; rien d’autre». Markus Lüdi n’a rien à cacher et il ne craint pas la police. Mais il préfère la discrétion. Ses plants de cannabis indien, qui mesurent jusqu’à deux mètres de hauteur, pourraient attirer l’attention et ce chimiste qui a la passion de la botanique veut tenir les intrus éloignés.

Ici, celui qui a l’habitude de fumer des joints pourrait se faire un petit cadeau, lance-t-il. «Mais il serait déçu». Les plants contiennent environ 5% de THC (tétrahydrocannabinol, le principe psychoactif du cannabis), «une concentration trop basse pour celui qui cherche la défonce», observe Markus Lüdi, en nous accueillant dans sa plantation à ciel ouvert.


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Nous nous trouvons sur le terrain d’une entreprise de recherche et développement de matières premières végétales. C’est ici, non loin de la route principale et des campings avec vue sur le lac que Markus Lüdi loue une parcelle sur laquelle il cultive le cannabis. Entre les champs de maïs et de pommes de terre. Son idée, raconte-t-il, a toujours été de cultiver à ciel ouvert. Sans pesticides ni engrais.

Nous franchissons une clôture métallique. Abrités derrière une toile en plastique, environ 200 plants de cannabis sont arrivés à maturité. Markus Lüdi, en blouse blanche et gants de latex, est prêt pour la récolte annuelle. La partie qui l’intéresse est l’inflorescence (ou la «tête»). C’est là que sont contenus les principes actifs, explique-t-il aux trois employés de l’entreprise locale qui l’aident et dont c’est le premier contact avec la plante. «Nous taillons à la base du rameau. Nous ne perdons rien», précise-t-il.
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Les plants sont le fruit d’une longue sélection, explique Markus Lüdi. Diplômé de l’université de Berne, ce chimiste a fait de nombreux croisements – «en laboratoire, mais aussi à la maison» – avant d’obtenir la variété aux propriétés thérapeutiques souhaitées. Ce qui est important, souligne-t-il, ce n’est pas tant le taux de THC que le rapport entre ce dernier et un autre principe actif du cannabis, le cannabidiol (CBD). «Le THC est la molécule utilisée en médecine. Mais c’est aussi une substance stupéfiante. Une dose correcte de CBD en atténue les effets psychotropes.»

La plante mère, qui donne par clonage naissance à toutes les autres, est gardée en lieu sûr. Markus Lüdi nous accompagne dans une serre moderne, près de la plantation. L’accès est limité et notre entrée est enregistrée. Le local qui contient les plants se reconnaît tout de suite: c’est le seul à avoir les parois vitrées recouvertes de feuilles de papier. A l’intérieur, dans un environnement où la température et l’humidité sont gérées par ordinateur, la nouvelle génération est déjà en train de pousser.

«Tout le monde m’a dit que ça ne fonctionnerait jamais», nous dit Markus Lüdi en se rappelant des réactions à sa décision de se concentrer sur une plante interdite. C’était à la fin des années 1990 et le chimiste bernois, employé par une société qui produit des essences végétales, était convaincu du potentiel thérapeutique et économique du cannabis. Il pensait qu’un médicament naturel fait avec de la marijuana allait rapidement apparaître sur le marché. Il se trompait.

Il y avait un petit «boom» du cannabis, avec de nouvelles indications dans le domaine médical, raconte-t-il. «Je croyais que la loi serait rapidement modifiée. Mais j’ai attendu plus de dix ans». Le tournant est intervenu en 2008, lorsque le peuple suisse a accepté l’utilisation médicale du cannabis. Mais ce n’est qu’en 2011, avec l’entrée en vigueur de la nouvelle législation, que Markus Lüdi a obtenu l’autorisation, la seule en Suisse, pour produire et vendre une teinture de cannabis.
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Que dit la loi?
La législation suisse interdit la culture, la consommation et le commerce du cannabis avec une teneur en THC supérieure à 1%. Au-delà de cette limite, le cannabis est considéré comme un stupéfiant et sa possible utilisation est soumise à une autorisation spéciale.

En 2008, les citoyens suisses ont rejeté (63%) une initiative populaire qui demandait la dépénalisation du cannabis. Mais lors de la même votation, ils ont accepté la nouvelle Loi fédérale sur les stupéfiants, qui introduit une utilisation contrôlée et limitée du cannabis à des fins médicales (auparavant, c’était uniquement pour la recherche).

Le gouvernement et la majorité de la Chambre basse du Parlement estiment qu’il faut examiner, dans le cadre d’un projet pilote, la faisabilité d’une homologation des médicaments à base de cannabis.

L’utilisation médicale de la plante est légale ou tolérée dans plusieurs pays d’Europe (Allemagne, Italie, Espagne, Portugal et Royaume-Uni notamment) et d’Amérique latine ainsi que dans 23 Etats étasuniens. Elle est en revanche interdite dans la majorité des pays d’Asie et d’Afrique.
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Au milieu de l’après-midi, la récolte est pratiquement terminée. Markus Lüdi est satisfait: il y a dans l’entrepôt un quintal et demi de marijuana. L’odeur âcre de la résine emplit l’air et imprègne les vêtements. Une fois séché, le cannabis sera transporté dans un laboratoire de Berthoud (Burgdorf), près de Berne, pour l’extraction des principes actifs. Un processus finalement simple, observe le chimiste. «On pourrait aussi le faire à la maison».
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Markus Lüdi dispose d’une autorisation exceptionnelle de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Toutes les structures qui ont affaire avec le cannabis doivent satisfaire à des critères de sécurité et la totalité de la production est rigoureusement contrôlée. C’est normal, affirme le chimiste. Il secoue cependant la tête lorsque l’on aborde le thème de la bureaucratie. Cultiver la plante mère, lancer une nouvelle plantation, éliminer les résidus végétaux à la fin de la récolte… il faut présenter une demande pour chaque phase de la production, déplore-t-il.

Il reconnaît cependant que l’obligation d’avoir des permis le protège de ceux qui voudraient faire la même chose. Lui, il a commencé à travailler sur le cannabis «par idéal», dit-il. «C’est une plante qui peut soulager beaucoup de malades gravement atteints». A 60 ans, il espère toutefois récupérer son investissement. L’année 2015 est la première durant laquelle il pourrait vivre uniquement du cannabis. Mais de combien d’argent parlons-nous? «Quelques centaines de milliers de francs par an», confie-t-il les dents serrées. Pour aussitôt ajouter qu’«on ne devient pas riche avec l’herbe».
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Le Pharmacien

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l y a du mouvement dans l’ancien local à vélos. Comme chaque après-midi, Manfred Fankhauser et ses assistants préparent les envois. Le bureau de poste ferme dans quelques petites heures et il n’y a pas de temps à perdre. Attentif, le pharmacien bernois vérifie l’épaisse documentation qui accompagne chaque envoi. Il veut s’assurer que tout le monde recevra sa dose.

Des médicaments au cannabis sont alignés sur une étagère de la pharmacie. Vingt-quatre casiers pour autant de patients dans toute la Suisse. La majeure partie contient une solution à base de THC. Il s’agit du Dronabinol, un médicament que Manfred Fankhauser prépare directement dans sa pharmacie de Langnau, dans l’Emmental bernois. Il y a ensuite les teintures naturelles, celles de Markus Lüdi, son partenaire d’affaires.

Le téléphone sonne constamment. Ce sont des gens qui ont des questions sur le cannabis, indique le pharmacien. Le cannabis agit contre la nausée et les vomissements chez les patients en chimiothérapie. Il stimule l’appétit chez les malades du sida et soulage des spasmes dus à la sclérose en plaques, explique-t-il. «Les patients se tournent vers moi lorsque les autres médicaments n’ont pas donné de résultats».

En 2007, lorsqu’il a commencé avec le cannabis, les patients étaient au nombre de cinq. Aujourd’hui, ils sont environ 600. Avec de nouvelles demandes chaque semaine, Manfred Fankhauser a engagé une employée pour répondre aux appels. Et le local où il entreposait ses vélos, dans la maison qu’il habite avec sa famille, s’est transformé en un «bureau du cannabis», surveillé et sous alarme. La matière première, du THC pur dans des fioles de verre, est conservée dans un coffre-fort.
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L'affiche de la "Moisson du diable", un film de 1942 qui diabolise la consommation de marijuana.
L'affiche de la "Moisson du diable", un film de 1942 qui diabolise la consommation de marijuana.
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Manfred Fankhauser, 52 ans, a été le premier pharmacien en Suisse à avoir (re)mis le cannabis sur les étagères.
Déjà lorsqu’il était étudiant, il s’intéressait à l’histoire de la pharmacie et à l’utilisation des plantes toxiques.
«Les propriétés curatives du cannabis sativa sont connues depuis des millénaires», explique ce pharmacien responsable d’un cours sur l’histoire de la pharmacie à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich.

Entre 1850 et 1950, il existait en Suisse et dans les autres pays industrialisés plus d’une centaine de médicaments au cannabis, indique-t-il. Il était par exemple utilisé comme remède contre la migraine, la coqueluche, l’asthme et comme somnifère. «Chaque pharmacien pouvait vendre du cannabis avec une relative facilité».

La difficulté d’approvisionnement à la fin de la Seconde Guerre mondiale (la plante était cultivée en Inde), l’apparition de médicaments chimiques plus stables et efficaces ainsi que la diabolisation croissance de la marijuana, qui a atteint son point culminant dans les années 1960 avec une interdiction au niveau international, ont cependant mis fin à son utilisation. Manfred Fankhauser rappelle que «la loi suisse interdisait, pour usage médical, tout ce qui provenait de la plante».

Toutefois, précise-t-il, on ne prévoyait aucune interdiction pour les cannabinoïdes d’origine synthétique. Une faille qui, en 2007, lui a permis d’obtenir l’autorisation d’importer d’Allemagne du THC extrait de l’écorce du citron.

Fils de paysan, Manfred Fankhauser souhaite cependant utiliser l’entier du potentiel d’une plante «sans égal dans le monde végétal». Son idée est un extrait naturel fait en Suisse. Une teinture de cannabis, comme à l’époque de la reine Victoria. A la différence du Dronabinol, la teinture contient non seulement du THC, mais également tous les principes actifs du cannabis, souligne-t-il.

La rencontre avec Markus Lüdi et l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur les stupéfiants, en juillet 2011, marquent le début d’un succès impensable. «Je n’imaginais pas que le cannabis puisse devenir une activité principale. C’est un effet collatéral de la loi dont nous sommes très contents», se réjouit le pharmacien.
L'affiche de la "Moisson du diable", un film de 1942 qui diabolise la consommation de marijuana.
L'affiche de la "Moisson du diable", un film de 1942 qui diabolise la consommation de marijuana.
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Depuis lors, il est surnommé dans tout le pays le «pharmacien du cannabis», ce qui l’amuse. C’est dans sa pharmacie de Langnau – une pharmacie normale au centre du pays – qu’est fabriquée la majeure partie des médicaments au cannabis distribués en Suisse. Dans cette petite commune de la campagne bernoise, cette activité dérange certains. Mais il y a aussi des personnes qui reconnaissant et estiment son travail, ajoute-t-il.

Sa motivation, ce sont ses patients, souligne-t-il. «Quand on écoute les malades, on se rend compte de leur grande souffrance». Manfred Fankhauser rappelle le cas d’un enfant souffrant d’une grave pathologie congénitale. «Il avait des spasmes terribles et criait constamment de douleur. Ses parents étaient désespérés. Avec le cannabis, nous ne l’avons pas guéri, mais les spasmes ont sensiblement diminué», raconte-t-il.
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Manfred Fankhauser ne le cache pas. Le cannabis est une importante source de revenus et représente aujourd’hui 20% de son chiffre d’affaires. En regardant les prix des médicaments, on comprend pourquoi. Un flacon de Dronabinol, le plus petit, est vendu à 220 francs, soit plus d’un franc la goutte.

Le prix est élevé, reconnaît le pharmacien. «C’est surtout une question d’offre et de demande: le cannabis reste un produit de niche». Mais une niche de plus en plus prisée: la concurrence venue de Suisse et de l’étranger augmente et de nouvelles préparations, allant du spray buccal à l’huile de cannabis, sont apparues sur le marché.

Faire un médicament avec du cannabis n’est pas évident, avertit le pharmacien. Les coûts – pour les analyses de laboratoire ou pour les contrôles de qualité et de stabilité du produit – sont élevés et le prix du THC qu’il importe pour produire le Dronabinol est exorbitant: jusqu’à 1700 francs le gramme. La charge administrative, avec des permis à renouveler tous les trois mois, est par ailleurs considérable et, en dépit d’une ouverture progressive, la stigmatisation du cannabis continue à être un obstacle, ajoute-t-il.

Manfred Fankhauser sait qu’il ne peut pas se permettre de se conduire avec légèreté. Il n’est pas question de se tromper avec les dosages ou les envois de médicaments. Il sent derrière lui le souffle de pharmacien cantonal qui est périodiquement appelé à justifier le recours au cannabis face à des politiciens locaux et aux autorités sanitaires. La difficulté, regrette Manfred Fankhauser, est de toujours devoir aller au-delà du tabou de la drogue et de faire une distinction claire entre usage récréatif et utilisation médicale.
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Le Médecin

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Jeune, il a goûté des biscuits au cannabis. Et il a voulu tester en personne les effets de la tisane. «Une expérience amusante», se souvient le docteur Claude Vaney. Mais il redevient immédiatement sérieux: «la défonce à la marijuana, ce n’est pas pour moi et même, je condamne son usage récréatif». Médecin-chef de neurologie à la Clinique bernoise de Crans-Montana (Valais), Claude Vaney n’a pas de doutes: «le cannabis est un médicament». A la différence de la morphine, il ne provoque pas de dépendance et il n’existe pas de seuil létal. On peut s’ôter la vie par overdose de somnifères, mais pas en prenant trop de cannabis, relève-t-il.

C’est l’un de ses patients, il y a une vingtaine d’années, qui lui a fait découvrir le cannabis. «Il m’a dit qu’il fumait des joints pour soulager les douleurs», indique Claude Vaney. Intrigué, le médecin obtient alors des fonds de la Confédération pour étudier les effets du cannabis (administré en capsules) sur les malades atteints de sclérose en plaques. Les résultats de cette étude, la première en Suisse et l’une des rares dans le monde, confirment son hypothèse. «La spasticité objective, que l’on peut mesurer, ne changeait pas. Mais la spasticité subjective, si. Les malades déclaraient se sentir mieux et ils dormaient plus facilement la nuit».
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Les personnes atteintes de sclérose en plaques, une pathologie incurable qui touche environ 8000 personnes en Suisse, ne sont pas les seules à se tourner vers ce neurologue de 63 ans. Il y a aussi des personnes qui souffrent de traumatismes de la moelle épinière (à cause d’un accident de la route ou d’une chute), de fibromyalgie ou de fortes migraines. «Je leur dis de commencer avec de petites doses, même en présence d’autres personnes, et de voir comment ça va. J’insiste sur une chose: le cannabis soulage les douleurs, mais ne soigne pas les maladies».



A doses thérapeutiques, le risque d’un effet psychotrope est extrêmement réduit et les effets collatéraux sont habituellement légers. Au pire, il existe une sensation de vertige ou de tachycardie, relève le médecin. Des absorptions prolongées de THC à fortes doses peuvent en revanche avoir une incidence sur les fonctions cognitives et psychomotrices. Selon certains spécialistes, le THC conduirait à la schizophrénie. En réalité, le THC agit sur une prédisposition génétique et il n’y a aucun lien de causalité entre schizophrénie et consommation de cannabis, déclare pour sa part Claude Vaney.

Ce médecin né à Lausanne ne se fait pas d’illusions. Le cannabis n’est pas la panacée. Son expérience lui montre qu’il a un effet bénéfique dans 30 à 40% des cas. «Son potentiel est cependant loin d’être connu», souligne-t-il. Les connaissances de plus en plus importantes sur les récepteurs du THC et des autres cannabinoïdes dans le corps humain pourraient peut-être conduire à la découverte de potentialités thérapeutiques inattendues, pense le médecin.

Le professeur Rudolf Brenneisen a passé pratiquement trente ans à étudier les plantes psychotropes et les principes actifs du cannabis. A la tête du Groupe de travail suisse pour les cannabinoïdes en médecine, cet ancien consultant du Laboratoire sur les narcotiques des Nations unies estime que la plante a encore beaucoup à offrir. «Je n’en connais pas une autre qui ait son potentiel», affirme-t-il.

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Comme le cultivateur et le pharmacien, le médecin doit aussi demander une autorisation spéciale à l’OFSP. Aux yeux de la loi, c’est à lui d’assumer l’entière responsabilité de la prescription de cannabis. Pour Claude Vaney, qui a assisté des centaines de patients, il s’agit d’une «formalité» et aucune de ses demandes n’a jamais été refusée. «Tous les médecins pourraient le faire», dit-il. Il reconnaît cependant que pour bon nombre de ses collègues, qui ignorent souvent cette possibilité ou qui sont «trop paresseux pour s’y intéresser», le recours au cannabis reste exclu.

Les médecins qui prescrivent du cannabis sont en augmentation (350 durant les cinq premiers mois de 2015 contre 250 sur la même période de 2014), mais ils restent une «minorité», souligne Gert Printzen, membre du comité central de la Fédération des médecins suisses. L’utilité du cannabis pour des indications thérapeutiques déterminées n’est pas remise en discussion et on dispose d’excellentes publications scientifiques à ce sujet, écrit-il dans sa réponse à swissinfo.ch. S’exprimant à titre personnel, le président de la Société suisse de neurologie, Renaud Du Pasquier, estime lui aussi que l’utilisation de cannabis à doses thérapeutiques pour certains patients, en particulier ceux souffrant de sclérose en plaques, «semble assez bien acceptée».

Les réticences, observe Claude Vaney, sont plus présentes dans l’opinion publique et dans le monde politique. Quand on parle d’usage thérapeutique du cannabis, la composante politique entre toujours en jeu, constate-t-il. Drogue et médicament devraient cependant être dissociés, espère-t-il.
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Mais pour Andrea Geissbühler, policière et députée de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) à la Chambre basse du Parlement fédéral, cette séparation n’est pas si claire. «Le cannabis reste une drogue et le risque d’abus est élevé. Généraliser la distribution de médicaments représente un pas vers la légalisation», estime cette politicienne qui est depuis toujours opposée à une dépénalisation de la marijuana. En outre, poursuit-elle, la réaction du patient au THC est imprévisible. «Il n’y a pas suffisamment d’études; on manque de certitudes». C’est aussi pour cette raison, note-t-elle, que le cannabis ne figure pas sur la liste des médicaments remboursés par l’assurance maladie de base.

C’est une substance avec des bienfaits thérapeutiques et il vaut la peine d’essayer, insiste le docteur Claude Vaney. Les patients ne cherchent pas l’effet psychotrope, mais simplement une relaxation, un sentiment de bien-être, observe-t-il. «Quant à celui qui recherche la défonce, j’imagine qu’il aura plus de succès en se procurant de l’herbe dans la rue qu’en buvant des gouttes achetées en pharmacie».
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La Patiente

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Monika Koella a des douleurs partout. Dans le dos, au cou, dans les articulations et à l’abdomen. Il lui manque une partie de l’intestin et un neuro-stimulateur implanté sous sa peau envoie constamment des impulsions électriques à son cerveau. Malgré une quarantaine d’interventions chirurgicales et d’innombrables analyses, cette femme de 58 ans n’est pas en mesure de donner un nom à sa maladie.

Les médecins n’ont pas pu poser de diagnostic, nous dit-elle dans son appartement de Berne. Les douleurs au dos, croit-elle, sont dues à un vieil accident de la circulation, alors que l’arthrose, elle l’a probablement héritée de sa mère. «Quant aux problèmes d’estomac, je ne sais pas: ils sont peut-être la conséquence de tous les médicaments que j’ai pris», affirme-t-elle. Une seule chose est sûre: les douleurs chroniques l’accompagnent depuis plus de trente ans.
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Les balades à moto avec Roland, son mari depuis 30 ans, ne sont plus qu’un lointain souvenir. Elle a arrêté depuis longtemps de travailler comme employée de commerce. Aujourd’hui, même des choses simples comme faire la cuisine ou aller faire les courses sont souvent impossibles. Elle reste le plus clair de son temps à la maison, couchée sur le lit. Si elle sort, c’est pour aller chez le médecin, dit-elle ironiquement. Ou bien, comme aujourd’hui, pour une brève promenade dans le quartier avec son chien. «Mes journées sont très ennuyeuses», soupire-t-elle.

Dans le séjour de l’appartement, elle nous parle de sa souffrance. Elle a tout essayé pour calmer les douleurs. Depuis les analgésiques à des doses toujours plus fortes jusqu’aux opiacés et aux traitements spéciaux. En vain. Régulièrement, le soulagement initial s’estompait et les effets secondaires devaient toujours plus insupportables. Son expression est le miroir de ce qu’elle a vécu. Parfois souriante, mais subitement avec le visage sombre, pratiquement à retenir ses larmes. Pour dormir et oublier ainsi ses douleurs, elle fumait un joint, raconte-t-elle. «Ce n’était pas la meilleure solution. L’effet durait peu et je ne pouvais pas fumer constamment».

Puis, un jour, une amie lui a montré une brochure. «On y parlait d’un médicament au cannabis, le Dronabinol. Je l’ai trouvé intéressant et j’ai voulu essayer». Après trois ans, le cannabis est encore sa «planche de salut», dit-elle. Elle continue à prendre son cocktail quotidien de sept médicaments. Elle ne peut pas en prendre moins. Mais depuis qu’elle a découvert les gouttes de Manfred Fankhauser, le pharmacien de Langnau, elle a réduit sa consommation d’opiacés et de somnifères. Et elle dit se sentir relativement bien au réveil. «Je ne me sens plus K.O. comme c’était le cas avec les somnifères».


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Douze gouttes par jour, d’habitude en soirée, ne sont pas suffisantes et Monika Koella voudrait augmenter la dose. Non pour renforcer l’effet, mais pour répartir les gouttes sur toute la journée et avoir ainsi toujours une certaine quantité de THC dans le sang. «C’est une belle sensation, dit-elle. Mais cela n’a rien à voir avec l’effet, plus fort, d’un joint».

Mais chaque goutte est précieuse. Son flacon, qui dure moins de deux mois, coûte presque 900 francs. Un coût qui, pour l’heure, est couvert par son assurance maladie. Mais la femme craint que l’assurance interrompe le remboursement. Elle aurait d’ailleurs le droit de le faire. L’assureur, explique Christophe Kaempf, porte-parole de l’organisation des assureurs maladie santésuisse, peut décider de rembourser ce médicament à titre exceptionnel si, notamment, un «bénéfice élevé» est prouvé et s’il n’existe pas d’autres traitements efficaces autorisés.

Environ la moitié des requêtes déposées auprès des assurances maladie débouchent sur une décision positive, indique l’OFSP. Pour Margrit Kessler, députée verte libérale, ce n’est pas suffisant. Présidente de l’Organisation suisse des patients, elle souhaiterait une reconnaissance automatique et facilitée des médicaments naturels au cannabis. La procédure d’autorisation est compliquée et les prix des médicaments sont trop élevés, écrit-elle dans une motion. Dans le système actuel, observe-t-elle, de nombreux patients souffrant de douleurs chroniques préfèrent se soigner illégalement. Au début juin, une large majorité de la Chambre basse a accepté sa motion. Le gouvernement se dit quant à lui favorable à une étude, afin de «clarifier les questions scientifiques, méthodologiques et juridiques liées à l’utilisation de fleurs de cannabis.»

De son côté, l’OFSP communique que, dès 2017, il sera possible de présenter une demande d’autorisation via Internet, «ce qui devrait simplifier et raccourcir la procédure», indique sa porte-parole Catherine Cossy.

D’ici là, Monika Koella préfère doser ses gouttes avec précision. Parfois, même le Dronabinol n’a plus d’effet. Mais pour elle, vivre sans son «flacon miracle» serait inimaginable. «Il m’a rendu une partie de ma vie», affirme-t-elle.

Qualifier le cannabis d’«aspirine du 21e siècle», comme le font certains, est excessif, estime Manfred Fankhauser. «Pour pratiquement toutes les indications thérapeutiques pour lesquelles il est utilisable, il existe aussi d’autres médicaments valables». Le pharmacien espère cependant que le patient puisse accéder au cannabis rapidement, et pas seulement en dernier recours. «Si un médecin le juge opportun, une simple ordonnance devrait suffire».

«C’est seulement une question de temps avant que le cannabis ne fasse définitivement son retour en pharmacie», affirme, avec conviction, le professeur Rudolf Brenneisen. «Il suffit de regarder ce qui se passe dans plusieurs Etats américains ou en Uruguay». Optimiste, le docteur Claude Vaney prévoit que dans cinq à dix ans, l’utilisation du cannabis sera répandue en Suisse. Il ne faut pas s’attendre à ce que les malades de sclérose en plaques dansent de joie après avoir absorbé du THC, avertit-il. «Mais la vente libre de cannabis à fins thérapeutiques pourrait les aider à vivre mieux».





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Impressum

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Auteur: Luigi Jorio
(
Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

Photos: Thomas Kern

Vidéo: Carlo Pisani

Production: Giuseppe Ciliberto

@SWI swissinfo.ch


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Le temps de la récolte

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Gouttes de cannabis

Le cannabis contient environ 5% de THC (tétrahydrocannabinol), la substance psychotrope de la plante, qui a également des effets thérapeutiques.

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Les têtes sont nettoyées des feuilles et des brindilles. Un travail fait entièrement à la main, qui exige patience et minutie.

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Après séchage et nettoyage, il ne reste qu’un quart environ des 150 kilos de matière brute récoltés initialement.

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Environ 40 kilos de fleurs de cannabis sont conservés dans une chambres froide.

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Les fleurs sont ensuite trempées dans une solution alcoolique à 70%.

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Pour extraire le THC et les autres cannabinoïdes, la solution est mélangée à température ambiante pendant au moins une demi-heure, avant d’être filtrée.

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Le procédé est répété deux ou trois fois.

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Le but est d’obtenir une solution qui contient 10 mg de THC par millilitre.

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A partir de quelque 40 kg de fleurs de cannabis, le chimiste obtient environ 120 litres de teinture.

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Toutes les phases de la production sont normalisées et les données consignées par écrit.

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La teinture de cannabis sera ensuite vendue en pharmacie.

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Une journée ennuyeuse

Brève promenade avec son chien.
Pour Monika, ce sera le seul
moment de détente hors de la maison.


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Monika a commencé en 2012 à prendre du Dronabinol, un médicament à base de cannabis. Mais elle ne peut pas pour autant renoncer à son cocktail de pilules quotidien.

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Tout a commencé par un simple mal de dos et des douleurs aux articulations.

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«Quand je travaillais encore, il m’arrivait plus souvent de rentrer en ambulance qu’en bus», se souvient Monika.

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Une bonne partie des
travaux domestiques repose
sur les épaules de son mari Roland.

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Même la cuisine est souvent une activité trop fatigante pour Monika.

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Sur le lit avec son chien. C’est ainsi que Monika passe le plus clair de sa journée.

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Avant de se retrouver invalide,
elle était employée de commerce
dans une banque.


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«Les problèmes d’estomac
viennent certainement de tous
les médicaments que j’ai avalés».


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«Mon médecin m’a dit un jour que j’avais de l’arthrose aux vertèbres cervicales comme une femme de 80 ans. Alors que j’en avais à peine 40».

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Souvenir d’une vie désormais passée.

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Monika Koella: «Ma journée est plutôt ennuyeuse».

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Chapitre 6 Impressum

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