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Minarets: la Suisse mise en cause à l’ONU

La Suisse ne compte que quatre minarets, dont celui de Zurich. Keystone

Un projet de résolution contenant un paragraphe sur l’interdiction des minarets circule au sein du Conseil des droits de l’homme, à Genève. Une initiative indépendante des attaques répétées de la Libye.

«Le Conseil des droits de l’homme condamne fermement l’interdiction de la construction de minarets… qui sont des manifestations d’islamophobie … de telles mesures participent à alimenter la discrimination, l’extrémisme et les préjugés, conduisant à la polarisation et à la division avec de dangereuses conséquences non voulues».

Ces quelques lignes ont été ajoutés mercredi à un projet de résolution en 21 points portant sur la diffamation des religions, en circulation parmi les Etats de l’OCI (Organisation de la conférence islamique) et du groupe africain depuis le début de cette session annuelle. Le texte doit être soumis au Conseil lors du vote des résolutions, prévu le 25 ou le 26 mars.

La Suisse visée

Bien que l’énoncé ne cite aucun pays nommément, il ne fait pas de doute qu’il se réfère à l’interdiction de constructions de minarets en Suisse, voté par référendum le 29 novembre dernier.

Contacté par téléphone, Raphaël Saborit, porte-parole du Département fédéral (ministère) des Affaires étrangères (DFAE), rappelle que «sur le principe, la Suisse exprime son désaccord sur le concept même d’une résolution consacrée à la diffamation des religions présentée régulièrement dans le cadre de l’Assemblée générale de l’ONU et du Conseil des droits de l’homme».

«La Suisse défend la liberté religieuse qui a pour objectif de protéger le droit de chaque citoyen croyant de pratiquer librement sa religion et non la religion elle-même». Et d’ajouter: «S’agissant, dans ce projet de résolution, de la mention de l’interdiction des minarets, la Suisse se prononcera le moment venu [ndrl: à la fin du mois, au moment des votes des résolutions] au Conseil des droits de l’homme.

Le porte-parole a tenu à préciser qu’une rencontre bilatérale avait eu lieu le 2 mars à Genève entre la ministre Micheline Calmy-Rey et le secrétaire général de l’OCI, Ekmeleddin Ihsanoglu. «Cette rencontre a permis un large échange de vues sur le sujet», a commenté Raphaël Saborit.

Le projet de résolution, avec son ajout sur les minarets, tombe dans un contexte chaud. Rappelons que la Libye a appelé le 25 février les Etats et les citoyens musulmans au djihad (guerre sainte) contre la Suisse. Et trois jours plus tard, elle a décrété un embargo économique. Mouammar Kadhafi a aussi appelé les 22 Etats membres de la Ligue arabe à exprimer leur solidarité avec Tripoli dans son conflit avec Berne.

Relativisation

Toutefois, les organisations de défense des droits de l’homme relativisent l’influence de la Libye, qui ne fait pas partie des Etats membres du Conseil des droits de l’homme. Selon ces ONG, le projet de résolution, de même que le paragraphe sur les minarets, sont l’initiative du Pakistan, porte-parole des pays de l’OCI au Conseil.

Pour Hossam Bahgat, directeur de l’Initiative égyptienne des droits personnels, une organisation reconnue pour son sérieux en matières de libertés, Kadhafi ne serait pas pris au sérieux dans les pays arabes. «Les populations se moquent de lui, tandis que les Etats sont plus retenus mais n’en font pas beaucoup cas», affirme-t-il.

Et de rappeler que Tripoli s’apprête à accueillir le prochain sommet de la Ligue arabe les 27 et 28 mars, raison pour laquelle, selon lui, ces pays ont appuyé la Libye dans la condamnation des minarets, sans se prononcer pour autant sur l’appel au djihad.

Hossam Baghat précise approuver la condamnation de l’interdiction des minarets, mais pas dans le contexte de la résolution en circulation qui «résume tous les aspects négatifs sur la diffamation des religions. Ce concept va à l’encontre du droit international et favorise les violations des libertés dans le monde arabe.»

Les ONG vont consacrer ces prochains jours à tenter de convaincre les Etats arabes de modifier le texte de la résolution et la rendre compatible avec le droit international. En commençant par se débarrasser du concept de diffamation des religions et le remplacer par «incitation à la haine nationale et religieuse.» Une revendication qui revient comme les vagues sur le devant la scène onusienne des droits humains.

Carole Vann / InfoSud, swissinfo.ch

Le 29 novembre 2009, 57,5% des Suisses ont accepté l’initiative populaire de la droite religieuse et conservatrice interdisant la construction de nouveaux minarets.

Gauche-droite. Selon l’analyse Vox, réalisée sur un échantillon représentatif de 1008 citoyens dans les deux semaines qui ont suivi le vote, les sympathisants de gauche ont voté à plus de 80% contre l’initiative et ceux de droite à plus de 80% pour. Les partis du centre-droit avaient recommandé le rejet de l’initiative. Mais leurs sympathisants se sont majoritairement prononcés en sa faveur. Cette divergence ne s’était pas vue lors des précédents votes concernant les étrangers.

Niveau de formation. Il a également joué un rôle important. L’initiative a été approuvé à 76% chez les personnes ayant effectué un apprentissage, mais à seulement 35% chez celles ayant fait des études supérieures.

Confession. Tant les protestants que les catholiques ont voté à environ 60% en faveur de l’initiative, bien que leurs Eglises recommandaient le «non».

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