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Minarets et islam: «pot de terre contre pot de fer»?

La Suisse compterait entre 350'000 et 400'000 musulmans aujourd'hui. Une présence beaucoup plus visible que dans les années 1970, où leur nombre était de 16'300. Keystone

Les Suisses votent le 29 novembre sur l'interdiction des minarets. Avec cette initiative, ses promoteurs veulent aussi combattre l'«islamisation rampante» de la société. Info ou intox, le thème a suscité de nombreuses questions lors d'une soirée d'information de l'UDC (droite conservatrice).

«Les minarets serviront-ils un jour à l’appel à la prière?», «Les revendications de la communauté musulmane se sont-elles renforcées?», «Est-il possible de discuter de la validité du Coran?», «Quel est le statut de la femme dans l’islam?»

A l’heure des questions, les mains ont été nombreuses à se lever en fin de semaine passée à Fribourg où la section locale de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) avait organisé une soirée d’information sur le thème «Islam: où est la vérité?».

Pour tenter de répondre à cette question, l’UDC avait convié David Vaucher, président du Mouvement suisse contre l’islamisation (Mosci), et Arnaud Dotézac, professeur de droit et spécialiste en droit islamique. Et tous deux ont mis en évidence un même constat: l’islamisation de la société occidentale est une réalité qu’il ne faut pas occulter.

Car la progression de l’islam «par capillarité» qu’a décrite Arnaud Dotézac est inhérente à cette religion, dont la réalité est à la fois «religieuse, juridique et politique». Elle risque toutefois de susciter un sentiment de «grignotage» de l’Etat de droit, que David Vaucher dénonce. Tout en jugeant utile de le décrypter «à titre préventif».

Aux politiciens d’agir

Demandes de dérogation pour des cours de gymnastique ou de natation, port du voile au travail, refus par un père musulman de rencontrer l’institutrice de son enfant. Stéphane Peiry, député UDC au Parlement cantonal fribourgeois, a énuméré quelques cas concrets dans lesquels les revendications formulées par des musulmans contredisent à ses yeux les principes démocratiques.

«L’islam est, entre autres, l’expression d’une norme considérée comme supérieure à toute autre. A partir de là se pose la question de la hiérarchie des normes dans un pays non-musulman», a analysé Arnaud Dotézac. Or «il y a mille façons consensuelles de gérer cette hiérarchie des normes, à condition qu’on en comprenne la réalité et qu’on n’escamote pas le débat», a-t-il plaidé.

Pour lui, la progression de l’islam ne doit donc pas être vue comme un problème. Eriger des barrières juridiques claires est par contre indispensable. «Aujourd’hui, on laisse faire ce travail aux juges. Or ils le font à géométrie variable. Il faudrait commencer par une définition juridique de ce qu’est une religion», a-t-il souligné afin de mettre la balle dans le camp des politiciens.

A ce sujet, David Vaucher s’est montré plutôt pessimiste. «Du côté occidental, la mauvaise information et le politiquement correct font que personne n’empoigne véritablement le sujet. Du côté des musulmans, on remarque que l’islam nomme toujours les plus fanatiques pour dialoguer avec l’Etat. C’est alors immanquablement la dynamique du pot de terre contre le pot de fer.»

Pas de mémoire de l’islam

Et le président du Mosci de citer les exemples de la Turquie ou de l’Angleterre. «Le but n’est pas de faire peur, mais de faire comprendre comment fonctionne l’islam. Certaines personnes pourraient avoir beaucoup plus peur si on laisse aller les choses dans le sens où elles vont. Arrivé à un certain moment, on le voit très bien en Angleterre, le jihad armé commence à prendre racine et le problème devient alors important», avertit-il.

Tout en reconnaissant que la provenance essentiellement balkanique de la population musulmane en Suisse implique des enjeux différents, David Vaucher estime néanmoins que le risque de tomber dans un «référentiel chariatique et par là totalitaire» existe en Suisse comme ailleurs.

Sur ce point, Arnaud Dotézac déplore que l’Europe n’ait pas ce qu’il appelle la «mémoire de l’islam». «Il y a 20 ans, avec un ami indien à New Dehli, nous avons vu passer trois femmes voilées avec leurs enfants en poussette. Il m’a simplement dit ‘Look, the jiahd is beginning again’ (Le jihad recommence), mais sous la forme d’un constat, sans aucune peur. L’Inde est en jihad depuis 1200 ans, elle a une mémoire de ce qu’est l’islam.»

Un symbole politique ET religieux

Au-delà de l’initiative anti-minarets, c’est bien plutôt la problématique des rapports – de force? – entre démocraties occidentales et islam qui a été débattue au cours de cette soirée d’information. Et c’est sous cet angle qu’a été posée la question qui figure au centre de la votation du 29 novembre.

Chacun à leur manière, les conférenciers ont donné raison aux promoteurs de l’initiative, qui décrivent le minaret comme le symbole d’un islam politique. «L’interdiction des minarets ne résout pas nécessairement le fond du problème. Le Mosci demande pour sa part l’application du principe de précaution à l’extrémisme religieux», a indiqué David Vaucher. Qui dit soutenir l’initiative car elle «permet d’opposer un refus clair à la part conquérante de l’islam».

Partisan d’un moratoire, Arnaud Dotézac a quant à lui expliqué que la finalité de l’islam était l’universalité et que le minaret était de fait un symbole politique, «puisqu’en islam politique et religieux sont liés.»

Pour lui, il ne fait donc aucun doute que, «tôt ou tard, les minarets serviront à l’appel à la prière.» Une raison de plus à ses yeux de «s’adapter au défi de l’islam sans évacuer la question de la définition de l’islam».

Carole Wälti, swissinfo.ch

Votation. Les Suisses se prononcent le 29 novembre sur une initiative contre la construction de minarets.

Interdiction. Ce texte veut inscrire dans la Constitution fédérale la phrase suivante: «La construction de minarets est interdite.»

Construction. La discussion avait été lancée par plusieurs demandes de permis de construire de minarets en Suisse alémanique. Les habitants ont lancé des pétitions pour s’y opposer.

Islamisation. L’Union démocratique du centre (UDC/droite conservatrice) et l’Union démocratique fédérale (UDF/droite chrétienne) ont lancé l’initiative populaire fédérale en mettant en garde contre une «islamisation rampante» de la société.

Aujourd’hui, on estime que la Suisse compte entre 350’00 et 400’000 musulmans (entre 4,5 et 5,2% de la population suisse).

Depuis les années 1970, la communauté musulmane a cru. Selon les recensements fédéraux, la Suisse comptait 16’353 musulmans (soit 0,3% de la population suisse) en 1970.

En 1980, les musulmans étaient 56’625 (0,9% de la population suisse). En 2000, le recensement fédéral dénombrait 310’807 musulmans (4,3%).

La communauté musulmane de Suisse n’est pas homogène. Essentiellement turque dans les années 1970, elle est devenue majoritairement ex-yougoslave en 2000. Au total, une centaine de nationalités y sont représentées.

Pour ce qui est des lieux de culte, les centres islamiques sont estimés à 130 en Suisse.

Quatre mosquées sont munies de minarets (Genève, Zurich, Wangen et Winterthur). Un cinquième a reçu une autorisation de construire à Langenthal (Berne).

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