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Moritz Leuenberger démissionne du Gouvernement

11 heures ce vendredi matin à Berne. Moritz Leuenberger annonce son retrait. Keystone

Le socialiste zurichois a annoncé vendredi sa démission, après 15 ans passés au Conseil fédéral. Il a toujours dirigé le ministère de l'Environnement, des Transports, de l'Energie et de la Communication.

«Ne cherchez pas trop de raisons tactiques» à mon départ, a déclaré le doyen de fonction du Conseil fédéral aux médias. Et de justifier son annonce en juillet par le fait qu’il fallait laisser le temps de préparer la présidence de la Confédération de l’année prochaine, qu’il aurait dû assumer pour la troisième fois selon le tournus traditionnel.

En voyage en Asie du Sud-Est, la présidente actuelle de la Confédération Doris Leuthard a confié à swissinfo.ch qu’elle appréciait la longue expérience de son collègue Leuenberger, ainsi que la surêté de son jugement.

«C’est quelqu’un sur qui vous pouvez compter. Nous avons toujours eu des discussions constructives et intéressantes, même si nous n’étions pas toujours d’accord», a dit la présidente.

Points d’orgue

Moritz Leuenberger démissionnera formellement après la session d’automne et partira à la fin de l’année. Elu en septembre 1995 pour remplacer Otto Stich, il est entré en fonction en novembre de la même année et veut clore son activité gouvernementale sur deux «points d’orgue» à venir concernant des sujets brûlants de son département.

Le percement du tunnel de base du Gothard devrait être achevé en octobre, a détaillé le ministre des Transports. «Avec lui, la Suisse apporte une contribution décisive au développement du continent européen.» La boucle sera ainsi bouclée, le conseiller fédéral ayant entamé son activité avec le message au Parlement sur les nouveaux axes de transport alpin.

Le climat sera à l’honneur au Mexique en décembre. Or la Suisse contribue activement à la préparation du sommet de Cancun qui fait suite à celui de Copenhague, a-t-il ajouté. Cet événement symbolise le fait que son ministère est devenu «un département du développement durable» avec notamment la création de l’Office de l’environnement et celui du développement territorial.

Démission isolée

Moritz Leuenberger quitte seul pour l’instant le Conseil fédéral. Si un autre retrait devait avoir lieu, il pourrait encore intervenir après la session d’automne du Parlement, a indiqué le socialiste, esquivant toutes les questions de tactique.

A la question de savoir si une longue course à sa succession pourrait nuire au parti socialiste avant les élections fédérales de 2011, Moritz Leuenberger a répondu «je ne crois pas». Et d’assurer que ses relations avec son parti, qu’il a informé avant la conférence de presse, n’ont jamais été aussi bonnes que ces derniers temps.

Sa démission n’a en outre rien à voir avec les derniers thèmes traités au Conseil fédéral. «C’est ma décision», a précisé le socialiste. Interrogé sur l’ambiance au gouvernement, il a refusé de critiquer les autres membres du collège et de parler d’un ras-le-bol de sa part.

Volontarisme et passivité

Représentant d’une certaine Suisse urbaine et intellectuelle au Conseil fédéral, Moritz Leuenberger n’a jamais suscité la ferveur populaire. Ce Zurichois de bientôt 64 ans a alterné volontarisme et passivité durant ses quinze ans au pouvoir. Et pendant des années, il a fait la nique pendant des années à ceux qui se plaisaient à spéculer sur son départ. Certains, y compris dans son propre parti, le considéraient en bout de course depuis longtemps.

Ses plus grands succès datent de la fin des années 90. Les préoccupations sur le réchauffement climatique et les remous dans le secteur de l’électricité (crainte d’une pénurie, hausse des prix, libéralisation du marché) ont remis le dicastère «mammouth» dont il a hérité en 1995 sur le devant de la scène.

Surfant sur la vague verte, Moritz Leuenberger est remonté au créneau avec des propositions de mesures pour favoriser les énergies renouvelables et une consommation économe de courant. La crise économique, qui est allée crescendo à partir de 2008, lui a donné un coup de pouce.

Taxe sur le CO2

La majorité bourgeoise a accepté de lâcher du lest en faveur notamment des propriétaires qui entreprennent des rénovations écologiques dans leurs immeubles. Il a réussi à introduire sa taxe sur le CO2 sur les combustibles. Mais il n’est pas près de voir son extension aux carburants. Avec la crise, la droite a réussi à imposer le centime climatique, moins contraignant.

Le Conseil fédéral n’a pas non plus considéré les remous financiers et la débâcle d’UBS comme un argument suffisant pour accorder à La Poste une licence bancaire, même «light». Après ses précédents échecs dans ce domaine, Moritz Leuenberger était pourtant prêt à se contenter d’étendre les activités de Postfinance aux crédits et aux hypothèques, sans incursion sur les marchés boursiers.

En matière de transport, ce partisan du ferroutage et des transports publics urbains a en revanche réussi à augmenter de 1 milliard de francs le fonds pour les grands projets ferroviaires. Cette rallonge était nécessaire pour combler les surcoûts des deux tunnels de base sous les Alpes et la 2e étape de Rail 2000.

Entre le marteau et l’enclume

Le geste n’a guère apaisé les Romands, déçus que des options comme la 3e voie CFF entre Genève et Lausanne soient toujours confinées à une étape ultérieure. Une situation qui illustre la position du conseiller fédéral, souvent pris entre le marteau et l’enclume.

Le lobby routier et les milieux économiques craignent son activisme et les entraves à la libre entreprise qui y étaient prétendument liées. Le jugeant incapable de tenir les rênes de son ministère, l’UDC (droite conservatrice) a demandé sa tête à plusieurs reprises.

Les écologistes et les antinucléaires, eux, jugent le Zurichois trop timoré: les premiers l’accusent d’avoir laissé la Suisse se faire dépasser en matière d’innovations alternatives et de lutte contre le CO2, les seconds de ne s’être pas assez battu pour l’abandon de l’option atomique.

Les syndicats et les socialistes dénoncent le démantèlement du service public (Poste, Swisscom, électricité). Ils lui ont régulièrement reproché de faire le jeu du camp bourgeois, par exemple en accélérant l’ouverture du marché postal ou en évoquant une entrée en bourse des CFF, soi-disant une provocation destinée à trouver des solutions de financement. S’y ajoutent son côté «gauche- caviar» et sa discrétion sur les thèmes sociaux.

Collégialité et blog

Les critiques n’ont pas empêché ce fils de pasteur devenu avocat de rebondir. Flirtant avec les limites de la collégialité, il lui est arrivé d’en appeler au Parlement ou au peuple pour arriver à ses fins (relance des parcs naturels, abandon d’un 2e tunnel routier au Gothard) et de distiller ses piques tout en se gardant de monter en première ligne (privatisation de Swisscom).

Ministre de la Communication, Moritz Leuenberger a innové en ouvrant son propre blog, alors que certains de ses collègues snobent le téléphone portable. Ce citadin pur sucre, grand amateur d’art, a aussi toujours pris soin de cultiver son style et sa rhétorique. Las, ses bons mots peinent à passer la frontière des langues. Sans compter qu’une caricature de «roupilleur» lui colle à la peau en Suisse romande.

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Parti socialiste. «La Suisse perd un grand homme d’Etat, fervent défenseur du service public et de l’environnement». Le PS évoque un «impressionnant bilan», marqué notamment par la concrétisation de Rail 2000 et des nouvelles transversales alpines et par le lancement des réformes Rail 2030. Pour les socialistes, Moritz Leuenberger a mis en place l’une des infrastructures de transports les plus modernes d’Europe.

Parti libéral-radical. A droite, on relève l’engagement continuel de Moritz Leuenberger pour son pays. Le parti souligne cependant les énormes chantiers encore ouverts. Dans le domaine ferroviaire, les problèmes structurels et de financement ne sont toujours pas résolus. Les nécessaires réformes et la libéralisation de La Poste avancent aussi trop lentement. Autre gros dossier toujours sur la table: la question de l’approvisionnement énergétique ces prochaines années.

UDC. Sans surprise, la droite conservatrice n’a pas lancé de fleurs au ministre, prenant simplement acte de sa démission. La formation de Toni Brunner préfère se projeter dans l’avenir et convoite le fauteuil du socialiste. Premier parti de Suisse, l’UDC s’estime clairement sous-représentée au gouvernement avec le seul Ueli Maurer et se sent plus légitimée que n’importe quelle autre formation à y occuper deux fauteuils.

Ailleurs. Les réactions sont également contrastées dans les autres milieux. Les CFF expriment leur gratitude à un ministre de tutelle qui a permis aux transports publics de disposer d’une infrastructure efficace et qui a développé une «politique futuriste» du transfert de la route au rail. Le Syndicat autonome des postiers, lui, n’est pas tendre. Il se réjouit de la démission de Moritz Leuenberger, qui a «cautionné et favorisé la politique de démantèlement» opérée par la Poste.

Moritz Leuenberger est né le 21 septembre 1946 à Bienne, il a grandi à Bienne, à Bâle et à Zürich. Après ses études de droit, il ouvre son étude d’avocat à Zurich, qu’il occupe de 1972 à 1991.

En 1969, il entre au Parti socialiste. De 1972 à 1980, il est président de la section de la Ville de Zurich, où il siège au Parlement de 1974 à 1983. De 1886 à 1991, il est également président de l’Association suisse des locataires.

En 1979, il est élu au Conseil national (Chambre basse du Parlement fédéral). Il s’y illustre notamment dans la Commission d’enquête nommée après la démission de la ministre Elisabeth Kopp, prélude à la première affaire des fiches.

En 1991, il est élu au Conseil d’Etat (gouvernement) du canton de Zurich, où il ravit un siège à l’UDC (droite conservatrice).

En 1995, le Parlement l’élit au Conseil fédéral. Il occupera la présidence tournante de la confédération en 2001 et 2006.

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