«Vanilla connection»: des champs de Madagascar à nos papilles, la vanille a un parfum d’exploitation

La vanille, épice précieuse à la fragrance tant convoitée, a un arrière-goût d’exploitation. De Madagascar à la Suisse, le documentaire «The vanilla connection» plonge dans le monde de la célèbre gousse parfumée, entre travail manuel intense, corruption et fluctuations de prix vertigineuses.
Quand elle ne se hume pas, la vanille s’immisce souvent sur nos papilles, de nos petits yaourts du soir devant la télé aux boules de glace de l’été, en passant par les notes sucrées de votre fragrance préférée.
La Suisse s’approvisionne en cette épice unique pour les parfums haut de gamme, les arômes, la fabrication de chocolat et même le café. Mais la vanille n’est pas facile à obtenir. Et le produit n’est pas donné: en Suisse, deux gousses au supermarché coûtent 6 francs – voire plus.
Dans le documentaire «The vanilla connection – From Madagascar fields to Swiss flavors» du média public SWI swissinfo.ch, les journalistes Dominique Soguel, Carlo Pisani et Gianluigi Guercia ont retracé le parcours des précieuses gousses de vanille, de l’île de Madagascar jusqu’à nos assiettes et eaux de toilette.
>> Voir le documentaire «The vanilla connection – from Madagascar fields to Swiss flavors» (en anglais):
La vanille, une culture délicate provenant essentiellement de Madagascar
Environ 80% de la vanille naturelle mondiale provient aujourd’hui de l’île de Madagascar, dans l’océan Indien. Les champs de vanille de l’«île rouge» sont concentrés dans la région de Sava, au nord-est de l’île, l’une des vingt-quatre régions de Madagascar, dont le nom est un acronyme formé à partir de ceux de ses quatre districts: Sambava, Antalaha, Vohemar et Andapa. Ce terrain tropical est réputé produire la vanille la plus douce au monde.
La culture du vanillier, une orchidée, est extrêmement délicate, et demande beaucoup de temps et de main-d’œuvre. Ses lianes prennent trois ans pour mûrir et produire des fleurs qui doivent être pollinisées à la main 12 heures après leur éclosion. Dans la région de Sava, au village d’Ampanafena, Jean Patrick est cultivateur de vanille. Lui et sa famille font partie de la chaîne d’approvisionnement reliant la vanille de Madagascar à la Suisse.
«Pour la culture de la vanille, il faut beaucoup d’amour et de soins. On ne peut pas le faire sans apprécier cette culture. Il faut en prendre soin comme d’un bébé. Chaque liane, chaque plante nécessite beaucoup de soins», raconte Jean Patrick au micro de SWI.
Et tout cet effort ne porte que sur la culture de la vanille verte. Ce que les consommateurs et consommatrices suisses paient, c’est l’arôme caractéristique de la vanille traitée – les fameuses gousses brunes de nos étales. Ces gousses ont subi un processus qui implique un séchage lent, une transpiration et une fermentation. Les gousses non mûres, trop petites ou endommagées sont systématiquement jetées. Seules les meilleures vanilles sont sélectionnées pour l’exportation.
Dédale administratif pour acheminer la vanille
Les gousses vertes de vanille sont récoltées en juillet et août. Au marché du village d’Ambalamanasy, toujours au nord de Madagascar, un kilo de gousses vertes se vend pour un peu plus de 6 francs – pratiquement le même prix que deux gousses brunes en Suisse, soit environ 8 grammes. Parmi les négociants du marché se trouve Jacquelin Roland, un commerçant basé aux Émirats arabes unis et originaire de Madagascar. Même si la vanille est vendue pour très peu à Madagascar, son prix élevé à l’étranger est justifié, défend-il.
En plus du traitement que les gousses vertes subissent pour finir en gousses brunes, «le temps que la vanille arrive chez tout le monde, elle passe par tellement de canaux différents», explique-t-il. Et il faut obtenir du gouvernement une autorisation pour l’exporter. «C’est la loi, et cet accord n’est pas bon marché. Dans cet accord, l’exportateur malgache paie pour le coût du transport, le droit de transit. Il y a tellement de ces coûts avant qu’elle n’atteigne la destination finale.»
Avant d’être exportée vers l’Europe, la vanille doit passer par plusieurs étapes administratives et contrôles de qualité. À Sambava, la capitale de la région productrice de vanille de Madagascar, les commerçants se lamentent que le groupe d’entreprises autorisées à exporter soit de plus en plus petit, la bureaucratie plus épaisse et les autorisations plus coûteuses.
Fluctuation des prix
Autre problème, et de taille, les prix de la vanille à l’exportation – les gousses brunes, donc – ont fortement fluctué au fil des années en raison des cyclones, des mauvaises récoltes et de la spéculation du marché. En 2018, une année record, le prix moyen était de 450 dollars le kilo. Il a parfois atteint jusqu’à 600 dollars le kilo. Des milliers de personnes ont même abandonné les cultures de base comme le riz au profit de cette prometteuse gousse verte, qui n’est même pas utilisée dans la cuisine malgache.
Sauf que le prix de la vanille a chuté drastiquement ces dernières années. De nombreux producteurs de vanille retirent leurs enfants de l’école et renoncent aux soins médicaux, incapables de joindre les deux bouts.
C’est le cas de Jean Marco Betombo, lui aussi cultivateur de la vanille depuis 2016, quand les prix frôlaient des records. Mais après des années de bas prix, il témoigne. Aujourd’hui, il a du mal à s’en sortir. «Les fluctuations de prix ont un impact sur nos vies, car nous faisons des projets basés sur les anciens prix. Mais, tout comme le prix de la vanille, ces projets sont instables et s’effondrent».
La chute semble d’autant plus inexorable qu’à la suite d’une décision gouvernementale, les prix de la vanille à l’exportation ont été libéralisés entre 2023 et 2024. Le prix du kilo de gousses brunes de vanille, anciennement fixé à 250 dollars, est devenu libre, «avec un plancher non officiel de 40 dollars, qui dans les faits s’est très vite imposé comme le prix de référence», relate la journaliste Marie-Pierre Olphand dans une émission de Radio France internationaleLien externe.
Le rôle de la Suisse
En Suisse, Philippe Mena, négociant de vanille basé dans le canton de Vaud, fournit principalement la précieuse épice aux chocolatiers. Mais ce qui rend le pays puissant sur le marché de la vanille, c’est la présence de deux géants de l’industrie des parfums et des arômes, Givaudan et Firmenich.
En dépit de cette position de force, le négociant explique que le principal défi auquel font aujourd’hui face les exportateurs suisses reste la corruption, «très élevée à Madagascar». Impossible, sans passer par la corruption, d’obtenir une licence d’exportation.
Pour Philippe, le côté sombre de la vanille est définitivement le prix dérisoire payé aux agriculteurs. «Comment pouvons-nous expliquer que les agriculteurs ne reçoivent que 10% du prix que nous (les exportateurs) payons en Europe? À long terme, ce n’est pas durable. Et le risque est que l’agriculteur coupe toutes les lianes de vanille s’il ne peut plus vivre avec ce prix».
La vanille, avec ses prix volatils, n’est pas seulement un problème pour les habitants et habitantes de Madagascar. Elle a aussi un impact sur l’environnement. Quand les prix augmentent, les gens empiètent sur les forêts naturelles pour planter la délicate plante productrice.
Même si le gouvernement a interdit la déforestation, il ne peut rien faire face à l’appât du gain. Et la vanille est bien plus lucrative que le riz. Ces deux cultures sont certes une source de subsistance, mais, avec le bois de chauffage, elles sont surtout des moteurs importants de la déforestation.
Traduit et adapté de l’anglais par Julien Furrer, RTS/sj

En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.