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Pourquoi certains résidents refusent de devenir suisses

swissinfo.ch

La naturalisation reste un sujet de controverse en Suisse. De nouvelles propositions visent à en durcir les conditions. Mais les résidents étrangers en mesure d'obtenir le passeport rouge à croix blanche ne ressentent pas forcément le besoin de s’engager sur le long chemin vers la citoyenneté helvétique.

Une étude commandée par la Commission fédérale pour les questions de migration a constaté qu’en 2010, environ 900’000 personnes en Suisse remplissaient les conditions pour acquérir la citoyenneté helvétique. Or seuls 36’000 résidents étrangers (soit 2% de la population étrangère totale) ont obtenu le passeport suisse l’année suivante.

«En comparaison avec d’autres pays, la Suisse a des critères très stricts pour l’attribution de la citoyenneté, ce qui pourrait expliquer en partie le nombre relativement élevé de personnes ayant le statut d’étranger», avance Halua Pinto de Magalhães, co-président de Second@s Plus, une association de fils d’immigrés basée à Berne.

La demande de nationalité suisse est un processus compliqué, toutes les demandes étant examinées aux niveaux fédéral, cantonal et communal. Les immigrants qui ont vécu en Suisse pendant 12 ans sont en droit de demander la citoyenneté au niveau national.

Mais les exigences sur le temps de résidence au niveau local peuvent varier d’une commune à l’autre.

Les conjoints de citoyens suisses peuvent faire leur demande après 5 ans de vie dans le pays pour autant que le couple a vécu ensemble les 3 années qui précèdent la demande.

Si un couple d’étrangers demande la citoyenneté, seul l’un des deux conjoints doit respecter l’exigence de 12 ans, l’autre devant avoir résidé en Suisse pendant cinq ans.

Et pour les jeunes étrangers nés en Suisse de parents immigrés, les années entre 10 et 20 ans sont comptées doubles.

Les candidats doivent intégrer le mode de vie suisse, être familiers avec les coutumes et traditions suisses, être en conformité avec le droit suisse et ne constituer aucun danger pour la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse.

Autres raisons

Mais en interrogeant des personnes concernées, d’autres raisons surgissent. Citoyenne britannique, Mary Ann Reynolds vit à Appenzell avec son mari canadien: «J’ai vécu 12 ans ici, et mon mari près de 20. Aucun d’entre nous n’est intéressé à devenir suisse. Nous ne comprenons pas une telle motivation de quelqu’un qui est au bénéfice de la nationalité d’un pays bien connu et respecté.»

Bibiana [prénom fictif], elle, vient de Slovaquie, un pays membre de l’Union européenne. «Je n’ai jamais pensé à devenir suisse. Je n’en n’ai jamais eu besoin», explique cette résidente de Berne depuis 14 ans. Son partenaire, d’Amérique du Sud, possède un passeport diplomatique. Le couple prévoit de retourner en Amérique du Sud avant que leur dernier enfant ne commence l’école.

Danois établi dans le canton de Zurich, Per Jessen est, lui, déchiré. Il aimerait devenir suisse, mais pour cela il devrait renoncer à sa citoyenneté danoise. «J’y suis attaché sentimentalement. Ce n’est pas parce que je considère que mon passeport européen est plus précieux que celui de la Suisse.»

Cela signifie-t-il que le passeport suisse est devenu moins attractif au cours des 50 dernières années? Probablement, selon Walter Leimgruber, directeur de l’Institut pour les études culturelles et d’ethnologie européenne de l’Université de Bâle.

«Le passeport d’une Suisse neutre était un assez bon document de voyage dans l’après-Seconde guerre mondiale et à l’époque de la Guerre froide, relève le chercheur. Il a ouvert des portes – par exemple pour les citoyens originaires des Etats membres de l’OTAN ou du Pacte de Varsovie. Aujourd’hui, ces avantages sont quasi inexistants.»

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Renforcement de la loi

Des modifications à la législation sur la naturalisation sont en cours. En mars, le Conseil national (chambre basse du parlement) a examiné les réformes proposées à la loi en vigueur depuis 1952 et révisée à plusieurs reprises. Si les changements qu’il a approuvés sont acceptés par le Conseil des Etats (chambre haute), il sera encore plus difficile d’obtenir la nationalité suisse.

Les opinions sur cette réforme varient considérablement d’un parti à l’autre, notamment entre l’UDC (droite conservatrice) et le Parti socialiste, les deux plus importantes formations du pays.

L’UDC estime que «la Suisse a de graves problèmes avec l’immigration. Près de la moitié des crimes commis en Suisse sont commis par des étrangers.»

Au cours des débats parlementaires, la socialiste Silvia Schenker a souligné qu’il y a aussi beaucoup d’étrangers qui méritent de devenir suisses. «Nous ne parlons pas ici de criminels étrangers, de demandeurs d’asile ou de migrants. Nous parlons de gens qui ont vécu en Suisse depuis des années, qui travaillent et paient des impôts.»

Toujours en mars, la ministre suisse de la justice Simonetta Sommaruga a présenté un ensemble de propositions visant à améliorer l’intégration des étrangers.

Les critères nécessaires pour un permis de résidence permanent ou pour l’extension des permis provisoires prévoient notamment des compétences linguistiques permettant de maîtriser les situations quotidiennes. En outre, les immigrants, y compris les membres de leur famille, doivent respecter les valeurs énoncées dans la Constitution suisse, en particulier l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Ils doivent également être prêts à travailler ou suivre des formations et ne pas avoir de casier judiciaire.

Les modifications approuvées par le Conseil national en mars:

• Seuls les étrangers qui possèdent déjà un permis de séjour permanent (C) peuvent déposer une demande.

• Les demandes peuvent être soumises après dix ans de résidence en Suisse (contre 12 actuellement)

• La résidence entre les âges de 10 et 20 ans ne sera plus comptée doublement.

• Si les couples étrangers font une demande conjointe, les deux doivent avoir résidé 12 ans en Suisse.

Libre circulation

De fait, il faut du temps et des efforts pour devenir suisse. En plus d’exiger 12 ans de résidence, le processus de naturalisation peut prendre jusqu’à trois ans et, pendant ce temps, le demandeur ne peut déménager dans une autre commune.

Dès lors, certains étrangers sont satisfaits des avantages conférés par un permis de séjour permanent. Etablis à Appenzell, les Reynolds possèdent deux entreprises. «Nous nous sentons respectés et bienvenus. Un passeport suisse ne ferait pas beaucoup de différence, à part de conférer le droit de vote», témoigne Mary Ann.

Les citoyens de l’UE pensent souvent à deux fois avant d’échanger leurs passeports contre celui à croix blanche, selon le chercheur Walter Leimgruber.

«Pour le moment, ce n’est pas très important d’avoir un passeport suisse ou un passeport de l’UE, parce que vous pouvez voyager dans tous ces pays sans aucun problème et sans aucune différence. Mais personne ne sait si les accords bilatéraux entre la Suisse et l’UE existeront toujours.»

Pour les jeunes hommes, la question du service militaire est également un problème. swissinfo.ch a parlé à plusieurs parents de garçons mineurs qui estimaient que leurs fils devaient pouvoir décider eux-mêmes s’ils voulaient une citoyenneté qui les obligerait à servir dans l’armée.

Quant aux étrangers qui vivent dans les communes où les citoyens se prononcent sur les demandes de naturalisation, ils craignent que leur demande ne soit rejetée.

«Si vous vivez dans une ville, il n’y a pas de problème. La naturalisation est une procédure administrative, souligne Halua Pinto de Magalhães. Mais quand vous vivez dans un petit village, le malaise peut s’installer quand vous connaissez tout le monde et que ces habitants voteront sur l’opportunité de vous donner la citoyenneté.»

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Deuxième génération

Parmi les «secondos» – les étrangers de la deuxième génération qui ont grandi en Suisse – certains ne veulent pas la citoyenneté helvétique. Selon Halua Pinto de Magalhães, ils estiment que la citoyenneté est liée au lieu de résidence, non à la nationalité.

Le chercheur Walter Leimgruber pense que la loi sur la naturalisation «devrait être un encouragement, surtout pour les jeunes qui vivent ici, à devenir des citoyens suisses et à participer à la vie publique. Ça n’a pas de sens d’avoir un grand nombre de jeunes ayant l’impression de faire leur vie en Suisse, sans que personne ne s’intéresse à eux.»

Né en Suisse, le fils des Reynolds a 8 ans. «Il est impossible de le distinguer de ses amis suisse-allemands», explique Mary Ann qui estime pourtant qu’avec «la  double nationalité britannique et canadienne, il a la possibilité de voyager à travers le monde, et je doute qu’il verra la Suisse comme le centre de son univers.»

(Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand)

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